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L’Amour à la bouche, quand le X connaissait la musique
Le temps est au rétro dans la culture porn. Après la folie VHS des années 80, exhumée dans le livre Rayon X de Claude Gaillard et Guillaume Le Disez, ce sont les années 70 qui sont mises à l’honneur à travers la bande originale de l’Amour à la bouche, premier film de Gérard Kikoïne, rééditée par le label The Omega Productions Records. Premier opus de leur collection Amour à la française, qui entend faire redécouvrir « les bandes originales de l’âge d’or du cinéma X français », le disque lève le voile sur un pan méconnu du cinéma érotique d’alors : la musique. En l’occurence, la musique de Ted Scotto alias Yan Tregger, compositeur underground et pourtant essentiel.
1974 est une année charnière pour l’érotisme français. Bien que la fameuse loi X ne naisse que l’année suivante, la censure étatique quant à la chose pornographique commence à accuser le coup, questionnée par une société en pleine libération sexuelle. C’est le moment que choisit Gérard Kikoïne pour s’atteler à son premier film, l’Amour à la bouche. Formé au doublage dans la société de son père, spécialisée dans la discipline, et au montage sonore en intégrant notamment l’équipe du légendaire Abel Gance qui réédite son Napoléon, que le cinéaste juge massacré par les producteurs, Kikoïne baigne alors dans l’industrie de la production cinématographique, la conception sonore étant un secteur-clé du cinéma post-synchronisé de l’époque. Son premier métrage, que l’on qualifierait volontiers de « softcore » de nos jours, préfigure ce que sera la suite de sa filmographie, un cinéma érotique, libéré et décomplexé, un cinéma du plaisir de faire, de montrer et de voir. Surtout, cette œuvre inaugurale met en perspective, pour la génération actuelle, la conception bien différente qu’on se faisait du porno dans les années 70.
En cette période faste, la pornographie filmique n’a pas encore été condamnée au ghetto culturel dans lequel elle se trouve aujourd’hui, exclue des salles et bannie des milieux artistiques. En 74, l’érotisme n’est rien de plus qu’un genre cinématographique comme les autres. On parle alors pas de films porno, mais de films « d’amour », comme on traite de films d’horreur ou de films de guerre. Aussi, ils sont réalisés par d’authentiques faiseurs, des gens de cinéma tels que Kikoïne, qui s’entourent d’acteurs traditionnels -le terme d’ « acteur porno » n’a de toutes façons pas de sens à l’époque-, de techniciens conventionnels et de musiciens grand public pour mener à bien leurs projets. Et c’est ainsi que la bande originale de l’Amour à la bouche fut composée par, tenez-vous bien, l’auteur du générique des Shadoks.
Il serait injuste, quoique pas forcément déshonorant, de résumer la carrière de Ted Scotto au générique de la série de Jacques Rouxel. Auteur, compositeur, interprète, arrangeur, chef d’orchestre, Scotto fait partie des petites mains méconnues de l’industrie musicale française depuis plus de 50 ans. Il collabore avec Aragon, Francis Blanche, Jean-Jacques Annaud à ses débuts ; il crée le groupe disco M.B.T. Soul en 1977 ; il écrit la symphonie « Starlight » pour le onzième Festival International de Paris du Film Fantastique et de Science-Fiction ; il revendique un double Disque de Platine avec son album Nature dans les années 2000. Et ce ne sont que les grandes lignes de son CV.
Evidemment groovy, la bande originale qu’il signe pour Gérard Kikoïne sous le pseudonyme de Yan Tregger est bien plus nuancée et profonde que ce que l’on pourrait attendre de la musique d’un film polisson. Si l’on retrouve bien entendu les riffs de basse funky amenés à devenir les canons de la porn music sur les titres l’Amour à la bouche ou Transgression, le reste de l’œuvre évoque tantôt les envolées lyriques bouleversantes d’un Michel Legrand des grandes heures (Plaisir solitaire), tantôt la Tristesse de Chopin, sur la très intimiste mélodie au piano de Naïveté charnelle. Après quelque détour du côté de l’expérimental et de la musique de chambre, l’exercice s’achève magistralement sur le remarquable Fin de partie, un titre à donner des frissons d’élitisme hispter à tout amateur de synthwave qui se respecte.
En outre, la bande originale de l’Amour à la bouche est une pépite injustement enfouie par quarante années de négation de l’art pornographique. Editée pour la première fois sur support physique, sa redécouverte se révèle essentielle, autant pour sa réussite formelle que pour la perspective qu’elle offre sur l’histoire artistique du X. Elle paraîtra le 20 juillet prochain, en CD et en vinyle, chez The Omega Productions Records, à la faveur d’un tirage limité à 500 copies pour chaque support.
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