Suivez-nous

Décryptages

La bande dessinée érotique fête ses 50 ans ! (2/2)

Publié

le

Retrouvons Nicolas Cartelet, éditeur chez Dynamite et responsable du domaine bd-adultes.com pour la suite de sa rétrospective sur ces 30 ans de bandaisons dessinées…

Fin de siècle, retour au placard ?

Ce grand mouvement d’expansion de la BD érotique s’interrompt au tournant des années 1990. Les premiers signes d’affaiblissement de la presse et le renforcement de la censure dans ce domaine fragilisent les éditeurs : Elvifrance met la clé sous la porte en 1992, et enterre sa vingtaine de publications. Les revues de Jean Carton continuent d’exister mais restent cantonnées à un public de plus en plus restreint – Bédé Adult’ et Bédé X disparaissent en 2005, un an après La Poudre aux Rêves. Malgré quelques sursauts bienvenus, tels la création de la revue puis de la collection Selen par les éditions Vents d’Ouest, qui mettent en avant des créateurs essentiellement italiens, Luca Tarlazzi et Giovanna Casotto en tête, ou la traduction retentissante de Druuna, chef-d’œuvre de science-fiction érotique signé Paolo Eleuteri Serpieri, chez Bagheera, le marché de la bande dessinée pour adultes se crispe, et les censeurs ne faiblissent pas : les rayons dédiés périclitent dans les librairies, et le genre devient affaire de connaisseurs ; l’édition de BD érotique est désormais un marché de niche.

Par réaction, libérée des contraintes de censure liée à l’édition grand public, la bande dessinée érotique « durcit » ses scénarios et fait tomber un à un tous les tabous de la sexualité ; en d’autres termes, elle s’affirme de plus en plus en versant sans complexe dans la pornographie. Les éditions Media 1000 créent la collection « Confessions Érotiques BD », de petits poches très pervers essentiellement écrits et dessinés par des auteurs français. Les éditions Dynamite et les éditions Tabou, nées à cette époque et principaux acteurs du marché, poursuivent le travail de Jean Carton en éditant les grands auteurs révélés par CAP, et en en découvrant d’autres – Duvet, Baldazzini, Filobédo… La production anglaise, peu connue à l’international, est révélée par Dynamite avec l’édition française des œuvres d’Erich von Götha, maître du genre historico-pornographique. Vaille que vaille et malgré le rétrécissement de son horizon, la BD pour adultes tient le choc.

Pornographie et patrimoine

Les perspectives de ventes s’amenuisant, il devient logiquement de plus en plus dur pour un auteur de BD érotique de vivre de son art : après une période faste et foisonnante en la matière, la production des artistes ralentit avec les années 2000, et les éditeurs se reposent de plus en plus sur leurs valeurs sûres, à savoir les auteurs de « l’âge d’or » de l’érotisme, les années 1980. Ainsi Glénat fait-il son beurre, au sein de la collection Drugstore, grâce aux nombreuses rééditions de Manara, Rotundo, Liberatore… sans compter Serpieri, récemment relancé en superbes albums ayant caracolé en tête des ventes tout au long de l’année 2016. La même tendance à la réédition patrimoniale est observée du côté de la bande dessinée pornographique, où Dynamite se repose sur les figures rassurantes de von Götha, Ardem, Bruce Morgan… De petits éditeurs comme Rebecca Rills ou Ange participent également à cette animation, et ce sont les œuvres de Kovacq, Coq, Mancini qui sont remises à disposition du public, le plus souvent dans de jolies éditions cartonnées.

Aux difficultés financières s’ajoute donc cette concurrence déloyale : difficile pour un jeune auteur d’exister au milieu de ces grands noms de l’érotisme. Certains y parviennent toutefois et constituent un espoir pour le renouveau du genre, comme en témoigne le succès fulgurant d’Olaf Boccère, au début des années 2010, avec son titre Chambre 121, ou encore l’irruption de nouveaux auteurs italiens – toujours eux ! – sur la scène française : les éditions Tabou confient à Trif le soin de revisiter les contes célèbres à la sauce érotique (Blanche Neige, Cendrillon, Raiponce…), quand Axel publie sa Chambre de verre chez Dynamite (janvier 2017), titre audacieux explorant l’intimité sexuelle et psychologique d’une camgirl.

Internet, un renouveau pour la BD érotique ?

On l’a compris, l’histoire de la bande dessinée érotique n’est pas un long fleuve tranquille, et si le genre a des bases solides, la question de son avenir reste ouverte. On voit malgré tout se dessiner, déjà, les contours d’une production de plus en plus inégale, à double vitesse : d’un côté la bande dessinée pornographique, pure et dure, lue et appréciée d’un public limité mais fidèle, et de l’autre une production « grand public », à l’érotisme soft, plus esthétique que masturbatoire, soutenu par les libraires et la presse ; ainsi le succès récent – et retentissant – d’Esmera, par Zep et Vince, ou les bandes dessinées pleines de sensualité de Joann Sfar (récemment Tu n’as rien à craindre de moi et Fin de la parenthèse) ; voir aussi, dans le registre du sexe « décalé », « humoristique », les auteurs défendus par les Requins marteaux (collection BD cul), tels Bastien Vivès (Les Melons de la colère) ou Nine Antico (I love Alice), dont le succès d’estime ne faiblit pas.

Mais alors, si elle est reléguée aux enfers des bibliothèques et cachée même de ses lecteurs, quelle place peut encore occuper la BD pornographique ? Peut-être, justement, le dernier espace de liberté totale laissé aux mauvais genres : Internet. Internet où la sexualité et son expression s’épanouissent naturellement, et où les amateurs de BD pour adultes ont pris l’habitude de venir chercher des titres introuvables ailleurs ; Internet, aussi, où les auteurs produisent désormais « directement », proposant leurs créations à la lecture et au jugement de la communauté sur leurs sites et autres blogs. Discrète, bon marché, la BD érotique au format numérique bat tous les records de téléchargement légal (oui, légal !) : véritable précurseur en la matière, les éditions Dynamite, impliquées dans le livre numérique dès le début des années 2000, lancent en 2015 une plateforme dédiée exclusivement au genre, bd-adultes.com. Des auteurs nés à l’ère digitale s’emparent des nouveaux codes et pratiques de la sexualité illustrée : le trait ultranumérique de James Lemay (Norse) et les BD en 3D de Marc Ali (Ses mains sur ma peau), d’inspiration vidéoludique, cartonnent en séduisant un public de jeunes adultes. Il faut enfin signaler, car on ne peut plus l’ignorer, la déferlante récente du manga et son impact sur la jeunesse occidentale : le hentai, genre pornographique le plus souvent échangé et lu sur des forums de discussion entre amateurs, devient le mode de lecture excitatoire privilégié pour des générations entières de jeunes lecteurs. Si, en France, les éditions Taifu mènent une véritable politique d’achat de droits et de traduction en la matière, le reste des éditeurs reste frileux, essentiellement par méconnaissance du marché japonais. Un pan entier de la bande dessinée érotique reste donc à défricher : voilà un beau défi pour le XXIe siècle !

Ancienne actrice de X des années 80, reconvertie dans le journalisme et éditrice de sites Internet X. Sous pseudonyme dans un souci de discrétion, mais toujours bien informée des dessous du milieu.

Populaire

Merci de désactiver votre bloqueur de publicité pour accéder à ce site.

ADBLOCK a cassé ce site en voulant supprimer son contenu publicitaire.
Désactivez ADBLOCK pour consulter nos articles.