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Hardeurs, l’impossible reconversion : le slut-shaming institutionnalisé

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Connaissez-vous le point commun entre hommes politiques et pornstars ? Ce sont les seules professions où on continue de vous traiter de « salope » 10 ans après que vous ayez cessé d’exercer. 

Ha, ha, ha…

Vous trouvez ça drôle, ça ne l’est qu’à moitié. Outre-Atlantique, cinq actrices se sont foutues en l’air en moins de trois mois, par suicide ou overdose. Bien peu s’en émeuvent, invoquant au mieux la conclusion logique d’une vie de débauche, la conséquence inévitable d’une course à l’excès (certains auront même été jusqu’à formuler ce souhait à leur encontre). C’est pratique l’excès, c’est toujours celui des autres, on peut s’en laver les mains. Ce n’est malheureusement pas aussi simple et, s’il est présomptueux de se prévaloir des raisons profondes de ces disparitions, il est néanmoins possible d’incriminer un facteur à risque, commun à toutes, : l’immense pression sociale qui pesait sur leurs épaules, noyée autant qu’il a été possible dans l’alcool et les antidépresseurs.

Des fans, toujours en demande de nouvelles scènes, de nouvelles pratiques, de plus gros seins, de plus belles fesses, aux stalkers érotomanes qui compilent noms de famille, adresses personnelles, numéros de téléphone, en passant par les tombereaux d’injures et de menaces déversés par les haters sur les réseaux sociaux, le tout sous le regard d’une société civile complaisante qui vient planter sa banderille, à l’occasion, pour se racheter une virginité, la vie de pornstar est un sacerdoce, un chemin de croix qui s’est trop souvent fini, ces derniers temps, de la pire des manières. Si au moins le fait de prendre sa retraite du porn-business permettait d’échapper à ça. Même pas…

Car on a beau jeu, en France, de s’indigner d’un tel sort, en regardant orgueilleusement son voisin américain comme un puritain réac’, alors que, parallèlement, trois événements comparables ont lieu ici, dans une indifférence aussi coupable que générale. 

Dans le Gard, le surveillant d’un lycée, dont le passé d’acteur porno gay a resurgi, par l’entremise d’élèves qui ont exhumé ses performances, s’est vu consécutivement harcelé par les lycéens (autant pour son choix de carrière que pour ses préférences sexuelles), puis sommé par la responsable de l’établissement de renoncer à son poste. Les travailleurs du sexe, persona non grata à l’éducation nationale, au même titre que les pédophiles. Alors qu’il aurait été possible de tirer des bénéfices de son expérience professionnelle, en matière de pornographie et de vie privée, pour sensibiliser les adolescents à ces questions, arguments que défend d’ailleurs l’intéressé, on stigmatise les ex-hardeurs pour mieux fermer les yeux sur les problèmes de harcèlement et de circulation de pornographie qui semblent avoir cours dans l’établissement. Le syndicat CGT Educ’action s’est emparé de l’affaire, et entend protéger le collègue menacé.

Parallèlement, à Bourges, une aide à domicile a été licenciée pour avoir tourné dans une scène porno, sous prétexte que la vidéo portait atteinte à la réputation de son employeur. Le slut-shaming institutionnalisé. L’employeur s’arroge un droit de regard sur la sexualité de ses employés, et peut condamner à un licenciement tous ceux qui dérogeraient à la conception des mœurs acceptables dans son entreprise. La jeune femme a porté l’affaire aux prud’hommes.

Le 15 janvier, l’ex-actrice Nikita Bellucci, retraitée depuis bientôt un an, dénonçait les propositions indécentes qu’elles recevait de la part d’adolescents à peine en âge de recevoir un cours d’éducation sexuelle et enjoignait les parents à surveiller activement l’usage que leurs enfants font d’internet. Elle n’a reçu, pour toute réponse, qu’une avalanche d’insultes, gratuites et déplacées, lui rappelant que lorsqu’on a fait du porno, on ne mérite que le mépris, et que son avis, aussi pertinent soit-il, n’avait pas le droit de cité. Une preuve, s’il en est, de la répugnance et du dénigrement, perpétuels et parfaitement intégrés, que notre société voue à ceux qui font et qui ont fait de la sexualité une profession. 

En 2018, en France, le travail pornographique et, a fortiori, le travail sexuel en général, sont toujours vus comme une souillure immarcescible, non seulement au niveau populaire, mais bien souvent aussi au niveau institutionnel. Devons-nous, à notre tour, attendre une vague de morts violentes pour espérer voir les choses changer ? 

 

Titulaire d'une maîtrise en cinéma, auteur d'une Porn Study à l'Université Paris VII Diderot, Clint B. est aujourd'hui chroniqueur de l'actualité porno.

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