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Agalmatophilie : et si les sex-dolls étaient un fantasme antique ?

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Du grec « agalma » (statue, image) et « philia » (amour), l’agalmatophile est celui qui éprouve un goût irrationnel et irraisonné pour les statues. Plus qu’un simple attrait esthétique devant la beauté majestueuse d’un chef d’œuvre de marbre, une sensation à laquelle n’importe qui peut être sensible, finalement, l’agalmatophilie relève d’une véritable attirance sexuelle pour les corps pétrifiés. Cette paraphilie est sans doute aussi ancienne que la sculpture elle-même, puisqu’on en trouve des évocations jusque chez les maîtres antiques de la discipline : les Grecs. 

L’agalmatophilie compte deux mythes fondateurs. Le premier apparaît dans l’œuvre tragique du poète Euripide, Alceste. L’héroïne qui donne son nom à l’œuvre est mariée au roi Admète, qui jouit de la vie éternelle à la condition que quelqu’un le remplace dans la mort à la fin du délai octroyé par le précédent sacrifié. Alceste consent à offrir sa vie à son époux, ce dernier lui promettant, en échange, de faire sculpter une statue à son effigie qu’il installera dans le lit conjugal et chérira autant qu’il la chérit elle-même : « Représenté par la main experte des sculpteurs, ton corps sera étendu sur mon lit ; auprès de lui, je me coucherai, et l’enlaçant de mes mains, appelant ton nom, c’est ma femme chérie que je croirai, bien qu’absente, tenir dans mes bras… »

Le second mythe est celui qui donne son nom « commun » à l’agalmatophilie : le pygmalionisme. Pygmalion, tel que décrit dans les Métamorphoses d’Ovide, est un sculpteur de Chypre, qui vit reclus, isolé des femmes de son île, de monstrueuses harpies cannibales. Il se promet de sculpter, dans l’ivoire le plus pur, une femme « d’une beauté avec laquelle nulle femme ne peut naître ». Evidemment, le virtuose tombe éperdument amoureux de sa création et perd peu à peu le goût de vivre, son affection laissant sa bien-aimée de marbre. Aphrodite, pour qui toute quête de la beauté est une marque de dévotion, se manifeste alors à lui et, devant son désespoir, consent à donner vie à la statue.

Si ces légendes constituent des hommages lyriques au talent des sculpteurs de l’époque, elles témoignent aussi de l’admiration ambiguë, quasi-charnelle, que les grecs vouaient aux statues elles-mêmes. Et, de la statue d’Amazone de l’empereur Néron à la profanation de l’Aphrodite de Cnide, l’histoire antique relate nombre de marques d’affection beaucoup plus littérales à l’endroit de ces sculptures.

L’agalmatophilie ne s’est toutefois pas éteinte avec la modernité, et il existe un cas tout à fait notable au cours de notre vingtième siècle : le gisant de Victor Noir. Moins que sa biographie (un journaliste victime d’un assassinat politique), c’est la postérité de l’homme qui nous intéresse aujourd’hui et notamment le sort réservé à sa statue, un gisant de bronze, conservé au cimetière du Père Lachaise, dont les proportions anatomiques sont, disons, avantageuses. Une légende romantique veut qu’un contact intime avec la statue favorise la fertilité. 

La patine qu’à acquis le bronze au niveau du sexe et, plus étonnamment, autour de la bouche du défunt dépasse vraisemblablement le cadre de la superstition pour révéler toute l’assiduité et la fantaisie des pygmalionistes du siècle dernier.

Plus récemment encore, ce fétichisme trouverait-il un essor nouveau à travers l’apparition des sex-dolls ? Improbable. Et pourtant…

Que font les propriétaires de ces sex-toys de nouvelle génération, sinon revivre le mythe d’Admète ou de Pygmalion ? Croire à une perfection artificielle, née de main d’homme mais absoute des imperfections humaines, la blancheur du marbre remplacée par la douceur du silicone, le nombre d’or par le 95D. Surtout, fantasmer la virginité absolue, un corps inerte mais offert qui n’attend qu’une seule chose, qu’on lui invente une personnalité, une psychologie, une âme. La différence ? La fonction éminemment et ouvertement sexuelle de ces poupées. À moins que…

Après tout, les statues antiques n’avaient-elles pas une dimension sexuelle, elles aussi ? Certes, à moins d’être muni d’une mèche à béton en guise de sexe, toute tentative de pénétration de la Vénus de Milo semble exclue. Remarquez tout de même, qu’à l’inverse, il est parfaitement possible de s’empaler sur un phallus de marbre. On rétorquera que sculpter des nus est un canon esthétique de la Grèce antique, totalement détaché de considération érotique. Vraiment ? Que je sache, la déesse Athéna n’est jamais représentée nue, pour la simple et bonne raison qu’elle est l’incarnation de la discipline martiale, et qu’elle porte une armure en conséquence. C’est Aphrodite qui est représentée nue, justement pour évoquer le charme, la fécondité, le plaisir charnel. Si ça, ce n’est pas de l’érotisme ? A fortiori, le nu artistique n’est jamais que la pornographie boursouflée de considérations esthétiques. Un sexe reste un sexe, qu’il soit peint au plafond d’une chapelle des mains même de Michel-Ange ou griffonné dans la marge d’un cahier par un adolescent tourmenté par ses hormones.

Toute proportion gardée (n’allons quand même pas mettre sur un même plan l’œuvre d’un maître-artisan qui a traversé les siècles avec un jouet sexuel qui finira déchiré lors d’un élan d’amour trop fougueux de son propriétaire), les sex-dolls ne sont rien d’autre que la dernière déclinaison d’un fantasme sexuel qui nourrit la psyché humaine depuis les débuts de la civilisation, les héritières des statues qui occupaient cette fonction en leur temps…

Titulaire d'une maîtrise en cinéma, auteur d'une Porn Study à l'Université Paris VII Diderot, Clint B. est aujourd'hui chroniqueur de l'actualité porno.

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