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Doit-on encore s’astiquer devant les scènes d’August Ames ?

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Le web est ainsi fait. On erre tranquillement sur les tubes pornographiques, à la recherche de quelque croustillante séquence à même d’étancher notre soif d’auto-érotisme. Puis au hasard d’un clic compulsif sur une vignette aguicheuse ou un titre salace, elle apparaît, généralement dénudée et rayonnante, souriant à la caméra d’un cadreur gonzo, prête à se livrer aux émoustillantes fantaisies sexuelles dont elle a le secret. Le déroulement est relativement invariable. Après un teasing verbal d’usage, elle se défait des derniers atours qui cachent encore ses inoubliables courbes, révélant sa superbe poitrine voluptueuse et dorée, son ventre délicat, son fabuleux derrière rebondi, resté à jamais intouché. La fellation commence alors. Ses lèvres pulpeuses glissent, courent sur le sexe de son partenaire, centimètre par centimètre, tout en douceur au début, puis de plus en plus fougueusement, furieusement, jusqu’à ce que d’abondants flots de salive cristalline se répandent sur son menton, sur ses joues et sur l’entrejambe de l’anonyme qui ne mesure sans doute pas sa chance. Elle se relève soudain, lumineuse comme toujours, pour mieux s’assoir sur le bord d’un canapé aux couleurs criardes et commencer à se caresser avec sensualité. Son cou d’abord, ses seins, ses hanches. Ses doigts contournent son nombril pour mieux plonger entre ses jambes, qui s’écartent délicatement. Alors, à la frontière du mordoré et du cramoisi, ils écartent deux lèvres scintillantes d’excitation et…

Stop !

Arrêtez-tout, rien n’y fait. Tout y est, et pourtant la magie n’y est plus… Qu’est-ce qui a bien pu changer pour qu’hier encore, elle nous fît l’effet du premier catalogue de lingerie tombé entre nos mains adolescentes et qu’aujourd’hui, on se sente seul, mélancolique, devant son ordinateur, le sexe désespérément flasque et triste recroquevillé dans la main ?

On cherche désespérément ce qu’il y a de différent dans ses yeux alors que c’est dans les nôtres que tout a changé. Peut-on encore s’astiquer devant les scènes d’August Ames ?

Août, August. Huitième mois de l’année, huit mois qu’elle nous a quittés. Les tubes porno, eux, ne connaissent pas le recueillement et continuent de nous suggérer, au gré d’un algorithme de recherche indifférent au sort des humains, les métrages les plus populaires de l’actrice disparue. Et après tout, est-ce un mal ? 

Bannir August Ames de son répertoire onaniste, au nom d’une décence mal placée, c’est la condamner à l’oubli, car qui, dans 10 ans, se souviendra encore de sa moue naïve, de son regard espiègle, de sa poitrine mutine, de sa volupté de chaque instant, si plus personne n’ose s’en émerveiller ? Comme toutes les actrices légendaires parties trop tôt, Marilyn Monroe, Françoise Dorléac, Jayne Mansfield, comme toutes les chanteuses fauchées par la vie, Janis Joplin, Amy Winehouse, comme tous les artistes qui n’ont eu qu’une poignée de décennies pour rendre le monde plus beau, de James Dean à Aaliyah en passant par Jeff Buckley, son talent, son art ne continuera de vivre que si un public continue de le célébrer.

Certes, la petite mort semble terriblement vaine au regard de la grande, la vraie, la définitive, qui nous renvoie à la figure notre impuissance existentielle. Pourtant l’œuvre des icônes artistiques de notre temps n’est jamais aussi flamboyante et admirée que lorsque ces légendes passent sur l’autre rive. Pourquoi en serait-il autrement pour le porno ? Gémissements, succions et éjaculations serait indignes d’un hommage. Mais y a-t-il meilleure célébration de la pulsion de vie que l’orgasme, les effusions de fluides sexuels, les corps qui s’étreignent passionnément, les visages déformés par le plaisir ?

 

Il n’y a pas de honte à avoir à revivre les plus grandes performances des actrices porno défuntes comme on l’a toujours fait de leur vivant, les joues rouges, le cœur battant et le sexe gonflé. Et si le deuil, le recueillement et la tristesse doivent temporairement nous empêcher de jouir pleinement de cette pulsion de vie si farouchement affirmée, alors apprécions-les malgré tout pour ce qu’elles sont : de grands moments de porno. Là où, plus que n’importe où ailleurs, les corps, les visages, les talents sont jugés interchangeables par des hordes de profanes, honorons les mémoires pornographiques d’August Ames, de Shyla Stylez, de Yurizan Beltran, d’Amber Rayne, d’Olivia Lua, d’Olivia Nova, de Karen Lancaume et de toutes les autres que je ne peux citer.

Alors, Eros sera plus fort que Thanatos

Titulaire d'une maîtrise en cinéma, auteur d'une Porn Study à l'Université Paris VII Diderot, Clint B. est aujourd'hui chroniqueur de l'actualité porno.

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