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Safeword, le mot de la fin
Souvent réduit à sa composante athlétique, le sexe n’est pourtant pas qu’une affaire de corps. C’est aussi un jeu de l’esprit. En effet, quelle plus grande jouissance que de partager avec son partenaire non seulement la chaleur d’un coït mais aussi l’intimité d’un fantasme, un secret coquin, absurde et ésotérique ? Au plus profond de cette fiction romantique, libre alors à chacun de s’inventer des rôles : plombier stakhanoviste de la tuyauterie, princesse en détresse, matriarche impitoyable ; pour enfin vivre à deux (ou plus) toutes les fantaisies salaces que l’on se raconte habituellement dans sa tête. Il n’est toutefois pas de jeu amusant sans règles rigoureuses. Et dans le cas présent, il en est une incontournable : que chacun des partis puisse, à tout moment, arrêter les frais, si la situation vire moins à l’extase qu’à l’inconfort. C’est tout le principe du safeword, un mot de sécurité prévu pour mettre fin aux ébats dans l’instant. Mais quels sont les secrets de ce fameux mot magique ?
Mot doux
Populariser à travers l’esthétique BDSM, on imagine bien souvent le safeword désespérément gémi par monsieur, à travers un bâillon, alors que madame s’apprête à lui travailler tendrement la rondelle à l’aiguillon à bétail. Or, il n’est pas nécessaire de verser dans l’atteinte à la dignité humaine pour avoir l’usage d’un mot de sécurité. Tout divertissement qui implique de mettre « ce bout-là » dans « ce trou-là » suggère cooptation. Et puisqu’on se passerait tous très bien de formalités contractuelles dans ces moments de passion, avoir le bouton « OFF » sur le bout de la langue est un luxe qui change la laborieuse gymnastique des corps en un gracieux ballet de vices et de perversions. En outre, c’est le mot doux ultime, qu’on ne dit qu’à la toute fin d’un moment de partage. Il se doit par conséquent d’être choisi avec soin.
Mot-clé
Pour être efficace, un safeword doit répondre à quatre critères :
- D’abord, et bien entendu, il doit être facile à mémoriser. En premier lieu, parce qu’il doit pouvoir être prononcé dans l’urgence ; ensuite car il doit être compris tout aussi vite par l’autre, afin qu’il puisse couper court aussitôt. Certaines activités particulièrement intenses, shibari par exemple, peuvent exiger quelques précieuses secondes pour être totalement interrompue. La compréhension est essentielle, et l’incompréhension ne peut en aucun cas être une excuse.
- Le corollaire est qu’il doit être facile à prononcer, au risque de bafouiller dans le feu de l’action. « Acétylsalicylique » est certes mnémotechnique, mais il n’est efficace que contre la migraine.
- Il doit être incongru, pour ne pas être involontairement activé pendant les (d)ébats. Ça a l’air bête, dis comme ça, mais gros mots, parties du corps, membre de la famille (si, si), on a tôt fait d’évoquer un sujet glissant lors d’un dialogue un brin salace. Et pouf ! On se regarde avec l’air bête en se demandant où l’on reprend. Non, penser absurde, penser improbable.
- Il doit être coopté. Vous ne voulez pas vous retrouver à meugler « Barracudaaaaaa ! » comme un étrange fétichisme sexuel sous les yeux circonspects de l’amant(e) qui a amoureusement préparer ce gode-perceuse rien que pour vos petites fesses. Les safewords, on en parle avant et au mieux, on les partage.
Mots croisés
Oui, le safeword se pratique aussi au pluriel. C’est du moins une question de préférence. Certains préfèrent limiter les interventions extradiégétiques au strict minimum, d’autres au contraire se rassurent à l’aide d’une graduation codée. Les safewords choisis peuvent alors entretenir un rapport les uns avec les autres, à l’instar du feu tricolore : « vert », tout va bien ; « orange », on flirte gentiment avec les limites ; « rouge », on arrête tout. L’idée derrière cette nuance est avant tout d’indiquer à l’autre le degré de vigilance exigé selon la situation.
Mot fléchés
Nuance ou non, les choses de l’amour nous privent parfois de mots, l’orifice requis étant momentanément sollicité. C’est pourquoi il est judicieux de savoir traduire ses safewords en expressions corporelles. Tout comme son pendant verbal, le « safemove » (puisqu’on devrait le nommer ainsi) se doit de satisfaire aux quatre critères : simplicité, clarté, absurdité et cooptation. On préférera du coup la gestuelle de cinéma muet à l’authentique langage des signes, malheureusement trop méconnu. Baisser le pouce, taper trois fois contre un meuble, claquer des doigts ou faire l’hélicoptère, à chacun de trouver le gimmick qui rompra l’ambiance le plus vite. À noter que les interactions physiques (pincements, caresses, morsures…) sont ici déconseillés, rapport à la troisième condition.
Modèle (et de lui…)
Outre les couleurs, « red » ou « rouge » ayant été popularisé par la saga Fifty Shades, certains champs lexicaux ont particulièrement la côte auprès des amateurs de sexualité cryptée. Ainsi, fruits et légumes -attention aux bananes et autres aliments phalliques-, animaux exotiques ou préhistoriques et surnoms ridicules se taillent la part du lion en matière de sécurité sexuelle, mais rien ne vous empêche d’innover. Références littéraires (Cyrano, Ratus…), vocabulaire agricole (charrue, binette…), marques d’aspirateur ; finalement, peu importe le coupe-circuit que vous choisissez, pourvu qu’il vous corresponde, qu’il trouve d’instinct le chemin de vos lèvres lors de l’instant critique.
À l’heure où notre société explore enfin toute la complexité de la notion de consentement, le safeword pourrait en définitive s’imposer comme l’impératif éthique à toute relation saine, l’assurance d’une compréhension mutuelle et instantanée à n’importe quel moment. Finis alors les quiproquos douteux, les interprétations maladroites, les transgressions innocentes et les non-dits destructeurs. Quand c’est « barracuda », c’est « barracuda » !
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