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Didier Dillen, auteur de La fabuleuse histoire de la levrette : «  On a reproché à la levrette de procurer trop de plaisir ! »

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Si vous pensez que tout a déjà été dit sur les positions sexuelles, un conseil : plongez-vous dans l’excellent livre de Didier Dillen consacré à la levrette ! Érudit, intelligent et drôle, cet ouvrage montre comment cette position éclaire toute la sexualité humaine de la préhistoire à nos jours. En traversant les siècles, on constate que la levrette, adorée par les Grecs et les Romains, puis condamnée par l’Église au Moyen Âge, s’est vue peu à peu réhabilitée et même glorifiée, jusqu’à devenir la position préférée des Français ! Entretien avec un auteur qui prend rarement les devants… 

Comment vous est venue cette étrange idée d’écrire un livre sur la levrette ?

Assez banalement, je dois dire. En collectant des informations pour mes articles et mes précédents ouvrages, cette question de la levrette a attiré plusieurs fois ma curiosité. Il y avait, entre autres, ce débat assez pittoresque entre préhistoriens au milieu du XXe siècle sur la vie sexuelle de Cro-Magnon, et le fait de savoir si l’homme préhistorique était assez « raffiné » au départ pour se livrer à autre chose que le rétro-coït. Ce qui, en soi, est déjà révélateur d’un certain état d’esprit au sujet de cette position. Et puis, il y avait toutes ces condamnations morales et religieuses concernant la levrette, que j’avais découvertes plus en détail au cours de l’écriture d’un de mes autres livres (La vie amoureuse des Belges) notamment dans le recueil de pénitences de l’évêque Burchard de Worms, qui a eu un grand retentissement au Moyen Âge. C’était à la fois cocasse et surprenant de constater les interdits touchant une position somme toute assez banale. A partir de là, j’ai tiré le fil, et je me suis aperçu qu’il y avait sans doute moyen d’en faire un livre. Cela dit, j’étais loin de m’imaginer au départ l’ampleur que ce sujet allait prendre !

Ce livre vous a-t-il demandé beaucoup de recherches ?

La préparation d’un livre, c’est toujours beaucoup de travail, mais c’est vrai que de tous ceux que j’ai écrits, c’est celui qui m’a pris le plus de  temps et d’énergie. Cela tient notamment au fait que les informations dont j’avais besoin étaient assez éparpillées. Par exemple, pour savoir ce que les hommes et les femmes de l’Antiquité pensaient de la levrette ou ce qu’en disaient les théologiens et médecins du Moyen Âge, il a fallu consulter des sources souvent assez disparates. Chaque source intéressante amenait souvent aussi son lot de nouvelles questions ou de nouvelles sources à consulter ou à recouper. Bref, en tout, il m’a fallu plus de deux ans et demi de travail pour mener ce projet à bien.    

Quelle civilisation s’est montrée la plus tolérante vis-à-vis de la levrette ?

Au vu de ce que l’on possède comme éléments historiques, c’est sans conteste la Grèce et la Rome antiques. Non seulement ces deux civilisations ne semblent pas avoir considéré cette position comme immorale, bestiale ou contre-nature, mais c’est même plutôt l’inverse ! On la retrouve en tout cas mentionnée ou représentée un peu partout, et pratiquement jamais de façon négative : dans les pièces de théâtre, les poésies comiques, sur la vaisselle en céramique ou les lampes à huile, et jusque sur les murs des maisons romaines, où les fresques érotiques sont monnaie courante. Les Grecs de l’Antiquité semblent par exemple avoir eu une fascination pour cette position, de même que pour les fesses en particulier ! C’était vrai également pour la sodomie, et également chez les Romains. Cela va même plus loin, puisque durant une bonne partie de l’Antiquité gréco-latine, le sexe à la papa va être considéré comme le moins naturel des emboîtements amoureux !

Pour quelle raison la position de la levrette n’est-elle pas considérée comme « naturelle », notamment par les Chrétiens ?

Ce n’est pas toujours très clair dans les explications des théologiens et des prêtres. Comme je le dis dans mon livre, on fourre dans les pratiques contre-nature toutes sortes de choses, comme la levrette, les rapports anaux, l’homosexualité, même la masturbation. Parfois, le mot sodomie est utilisé pour parler de pratiques contre-nature, sans plus de précision. « Vous connaissez la position naturelle ? » (comprenez  le missionnaire), est ainsi une des premières questions que les prêtres posent à confesse. Mais il ne vient à l’idée de presque personne d’expliquer en quoi elle serait plus naturelle justement. Ca tient, je pense, entre autres aux fondements mêmes de la religion chrétienne, qui fait de l’homme une créature supérieure aux autres animaux. Il est au sommet de la création. Il lui est même ordonné de dominer celle-ci. En gros, les théologiens du Moyen Âge estimaient que la nature « supérieure » de l’homme devait l’amener à ne pas agir comme un simple animal, notamment en matière sexuelle. La levrette étant censée être la position animale par excellence, elle était dès lors indigne de l’homme. Là-dessus se sont greffées aussi toutes sortes de condamnations vis-à-vis de la levrette. On lui a reproché son caractère diabolique, car seul le diable, les démons et les sorcières forniquent dans ce genre de position ! On l’a également accusée de ne pas favoriser la fécondation (confusion avec la sodomie?), ce qui est contraire au but du mariage chrétien. On a aussi reproché à la levrette d’être trop lascive, de procurer trop de plaisir ou d’y inciter (les femmes notamment) ce qui était également contraire à la doctrine chrétienne, où la sexualité dans le mariage était vue comme un pis-aller par rapport au célibat, mais devait être pratiquée sans plaisir ni désir excessifs. Histoire de ne pas détourner le chrétien de son devoir envers Dieu !  

Aujourd’hui, la condamnation morale d’une pratique sexuelle comme la levrette paraît totalement absurde. Selon vous, en sera-t-il de même, à l’avenir, pour d’autres pratiques sexuelles ? Lesquelles ?

C’est vrai qu’elle paraît absurde. Mais je ne suis pas sûr que les condamnations qui touchent la levrette aient complètement disparu. Elle passe toujours pour une position un peu à part, ce qui explique sans doute en partie son succès. On la considère encore parfois comme trop animale, dominante, voire dégradante ou misogyne, bien qu’elle puisse être pratiquée aussi bien par des partenaires hétérosexuels, qu’homosexuels ou avec une femme pénétrant un homme. Certains peuvent peut-être s’en servir pour rabaisser l’autre. Mais, a priori, je ne vois pas de raison de lui coller une étiquette d’infamie, et je ne vois pas en quoi il y aurait plus de domination dans la levrette que dans le missionnaire, ou l’Andromaque. Cette dernière position, il faut le rappeler, était jadis vue comme une atteinte au prestige et à l’autorité du mâle ! Ce qui fait évidemment rire aujourd’hui. On se demande pourquoi il en irait différemment de la levrette. Quant au côté animal, en boutade, je dirais que certains grands singes baisent bien comme des hommes, alors pourquoi ne pas faire l’amour comme des animaux (que nous sommes d’ailleurs) ! D’autres pratiques seront-elles réhabilitées à l’avenir de la même façon que la levrette. Franchement, je ne sais pas. J’ai l’impression d’assister plutôt à un durcissement des mœurs sur la sexualité en général, de voir moins de tolérance. Et je ne me risquerai pas à faire des pronostics !   

Pourquoi la levrette est-elle une position tellement appréciée ?

Il y a sans doute plusieurs raisons. Une des explications tient peut-être dans sa réputation un peu sulfureuse justement. Comme vous le savez, il n’y a pas de meilleur aiguillon érotique que l’interdit ! Cela tient sans doute aussi à la vue, exquise, qu’elle offre au partenaire pénétrant. Par voie de conséquence, c’est une position particulièrement peu pudique pour la personne à quatre pattes, qui peut en exciter plus d’une ou d’un mais aussi en rebuter d’autres. Elle permet aussi une pénétration profonde, et peut être source de plaisir chez certaines femmes.

Pourquoi la levrette est-elle liée à la sodomie, alors que cette dernière est possible dans bien d’autres positions ?

Il y a sans doute plusieurs raisons, là aussi. Notamment, comme je l’ai évoqué plus haut, parce qu’au Moyen Âge, le terme de sodomie est une catégorie fourre-tout, si j’ose dire, qui ne désigne pas nécessairement une pénétration anale, mais qui peut désigner toutes les positions contre-nature, comme la levrette. Bref, les deux iront souvent de pair pendant longtemps. Dans la littérature ou l’iconographie érotiques classiques, pas seulement  européenne, c’est la position qui revient le plus souvent lorsque l’on parle de pénétration anale. Encore aujourd’hui. Quand vous tapez sodomie sur un moteur de recherche d’image, c’est en majorité cette position qui apparaît, mais ce n’est clairement pas la seule évidemment. C’est aussi pour des raisons anatomiques, comme je l’explique dans le livre. Il est souvent plus facile de pratiquer la sodomie en levrette que dans une autre position. C’est en tout cas la posture qui semble la première à venir à l’esprit.

Vos conseils pour une levrette réussie ?

J’ai l’impression que c’est assez subjectif et personnel. Pour certains, une levrette en mode alangui peut être très agréable, alors que d’autres préféreront entonner la charge de la brigade légère ! Avoir deux partenaires à peu près de la même taille aide aussi, ou alors il faut recourir à des accessoires.  Il faut peut-être privilégier un lit ou une surface assez douce, car la levrette peut faire mal aux genoux ! Monsieur sera bien aimable de consacrer de l’attention au clitoris de Madame, qui se trouve être facilement accessible dans cette position, c’est l’un de ses avantages.   

Que faut-il éviter, en levrette ?

Pour l’homme, sans doute d’être trop pressé, trop excité aussi, car c’est une position qui favorise une éjaculation rapide. 

Maia Mazaurette et Damien Mascret se sont demandé dans un livre éponyme : « peut-on être romantique en levrette » ? Et vous, qu’en pensez-vous ?

Bien sûr, on peut être romantique en levrette. Il n’y a pas besoin pour ça de se regarder les yeux dans les yeux. Ce qui compte, c’est l’intention que l’on y met.  

Quel auteur a, selon vous, donné la description la plus excitante de la levrette ?

« En levrette », d’Alphonse Gallais, est un de mes préférés, et un des plus excitants, à mon avis. Il y a de la douceur, du stupre, de la jouissance, de la poésie, des mots crus et des mots d’amour. En voici un extrait : 

« Reste encore!… Ah! mignon… elle raidit encore!

Restons ainsi, petit… comme se font les bêtes…

Ça va loin… C’est meilleur qu’autrement… Quelles fêtes

Que ces chocs en mon fond… Je veux… jusqu’à la mort!

Ah! tu mouilles encore… je mouille aussi, mon ange…

Prends-moi… c’est bon! trop bon… Ah! je me sens mourir!

Ne te retire pas… chéri!… je veux jouir…

J’aime bien, par derrière… on va loin… ça démange… »

(« En levrette », Alphonse Gallais, in DOTOLI G., Anthologie de la poésie érotique française, éd. Hermann, 2010, pp. 741-743.)

La fabuleuse histoire de la levrette, Didier Dillen, éd. La Musardine, Coll. L’ Attrape-corps, 304 p., 18 €. 

Pierre Des Esseintes est auteur et journaliste, spécialisé dans les questions de sexualité. De formation philosophique, il est également sexologue. Il a publié, aux éditions La Musardine, Osez la bisexualité, Osez le libertinage et Osez l’infidélité. Il est aussi l’auteur, aux éditions First, de Faire l’amour à un homme et 150 secrets pour rendre un homme fou de plaisir.

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