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Bernard Joubert : « Les pouvoirs publics ne se préoccupent plus de censurer la BD depuis la fin du siècle dernier ! »

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Le porn en vidéo c’est bien, mais il serait dommage de négliger la BD érotique… L’écrivain, journaliste et éditeur Bernard Joubert, spécialiste incontesté de la censure, vient de sortir un nouvel ouvrage de référence, Les trésors cachés de la BD érotique. De véritables pépites, signées d’auteurs célèbres ou méconnus, sont rassemblées dans ce recueil particulièrement hard et excitant, à découvrir absolument !

Quelle a été votre méthode de travail pour rassembler ces « trésors » méconnus ?

Elle a consisté à beaucoup lire, ou plutôt relire. En tant que journaliste, les décennies précédentes, j’ai collaboré à beaucoup magazines de BD érotiques, en France et à l’étranger, et fréquenté leurs éditeurs, ce qui a été l’occasion de me constituer des collections complètes. Pour les grands formats, ça se chiffre en un millier de numéros (et pour les petits formats plus de dix mille, mais ils n’étaient pas concernés pour ce livre). Je les ai consultés un à un, dressant de longues listes d’histoires intéressantes que j’ai affinées peu à peu. Cette étape a duré deux mois. J’avais bien sûr une idée des auteurs que j’allais être tenté de choisir, il n’y en a pas un que j’ai découvert à cette occasion, mais je tenais beaucoup à ce que ma sélection se fasse après relecture, et pas sur le seul critère du dessin. De ces magazines proviennent les deux tiers de l’anthologie. Et pour un tiers, ce sont des BD isolées dans d’autres supports — un art-book étranger, un comix underground, un fanzine photocopié…

En quoi une BD peut-elle être qualifiée de « trésor » ?

Dans le cadre de ce livre, un trésor se devait de remplir trois critères : la qualité du dessin (quel que soit le style, réaliste, caricatural, mignon ou trash), l’originalité du scénario (concept, dialogues) et la rareté de sa publication (ne pas avoir été publié en album en France). Il y avait une autre contrainte, que ce soit une histoire courte d’une quinzaine de pages maximum. Soft ou hard, hétéro ou gay, peu importe, mais, surtout, qu’il y ait quelque chose qui titille le cerveau. Je suis critique envers nombre de BD érotiques, jamais d’un point de vue moral, mais parce qu’elles se contentent de répéter ce qui a déjà été fait, sans effort, comme on fabrique un hamburger qui ressemblera aux hamburgers consommés avant lui. De bons dessinateurs viennent à l’érotisme avec l’idée qu’ils dessineront des scènes de sexe, ce qu’ils adorent faire, sans avoir à se casser la tête. Mais moi, une BD, je la lis, je ne me contente pas de regarder les images. J’aime ressentir des émotions, être surpris, que les personnages aient de la consistance… Enfin, bref, c’est comme pour un comic book de superhéros, si le scénario se limite à des personnages en costume bariolé qui se tapent dessus, c’est insuffisant, même si les combats font intrinsèquement partie du genre.

Pourquoi ces productions se sont-elles retrouvées cachées ?

Ces histoires n’avaient jamais été traduites, ou l’avaient été seulement en presse. Même si vous êtes un « érotobédéphile » aguerri, je suis sûr que, sur cette cinquantaine d’histoires, vous en connaîtrez à peine deux ou trois, vues il y a longtemps dans un magazine que vous avez depuis égaré.

Comment vous est venue cette passion pour la BD érotique ?

Je m’intéresse à tous les genres, les derniers articles que j’ai livrés aux Cahiers de la BD sont sur Spider-Man et les techniques narratives, mais comme nous ne sommes qu’une poignée à vraiment bien connaître la BD porno et son histoire, on fait souvent appel à moi. Et puis, en tant que journaliste, ma spécialité est la censure, or tout ce qui est érotique en a été la cible, au moins dans le passé. J’avais écrit un Dictionnaire des livres et journaux interdits dans lequel un millier de BD érotiques étaient référencées.

Quelle est selon vous la période la plus faste pour la BD érotique ?

De tous les magazines (Bédé adult’ et Bédé X en France, Kiss comix en Espagne, Sizzle aux USA, Selen en Italie…), le meilleur a été Blue, en Italie, de 1991 à 2009. L’éditeur de ce mensuel, Francesco Coniglio, publiait des titres dans tous les genres, humour, horreur, avant-garde, et est un vrai fan de BD, comme le sont en France Jacques Glénat ou Guy Delcourt. Si une bande était bonne, mais sans grand potentiel commercial, il la passait quand même, comme l’aurait fait le responsable de Métal hurlant ou de Charlie mensuel. C’était une démarche inhabituelle dans l’érotisme où il n’y avait jamais l’ambition d’être de bons éditeurs, seulement de gagner de l’argent facilement. Kiss comix en Espagne, de 1991 à 2011, a aussi été l’œuvre d’un bédéphile, Josep María Berenguer, ce qui a permis l’émergence de quelques pépites — j’en montre dans mon livre —, mais avec moins d’ambition, il s’était lancé sur ce créneau parce que sa maison périclitait par ailleurs. Quant à Jean Carton, l’éditeur de Bédé adult’ (1979-2005), il n’avait aucun goût, ce sont les hasards du commerce qui l’avaient amené là. Le pire pouvait côtoyer le meilleur sans qu’il le remarque.

À l’heure où l’on trouve du porno en accès gratuit et illimité sur Internet, la BD érotique a-t-elle encore un avenir ?

Si susciter une masturbation est le but, trois minutes de porno gonzo seront toujours plus efficaces que mille pages de Guido Crepax. Mais même le plus bourrin des lecteurs attend de la BD qu’elle soit une création artistique, ou au moins de l’artisanat consciencieux. Quel que soit le genre de la BD, d’ailleurs, le temps de travail d’un dessinateur reste le même, réaliser un album lui prend des mois. En plus de l’aspect artistique, les scénarios sont un gros atout. Un bon dialogue dans une bulle reste un bon dialogue, alors que, mal joué devant une caméra, il ne fonctionne plus. Enfin, les représentations sexuelles peuvent s’immiscer dans des albums qui sont un polar ou une comédie sans pour autant faire tomber l’œuvre dans un ghetto. Avec les films, quelle galère pour montrer du sexe non simulé et ne pas être mis à l’écart d’un large public !

Les comportements souvent « virilistes » que l’on trouve souvent dans la BD érotique ne contribuent-ils pas à ringardiser le genre ?

C’est possible, mais, comme je vous le disais, je n’utilise jamais la morale pour juger les œuvres de fiction. Le danger, selon moi, c’est le conformisme, quand toutes les créations s’orientent dans une même direction en s’imaginant que c’est ce qu’attend le public. Donc, le motif de la femme soumise, c’est un défaut si c’est par conformisme, si l’auteur se contente d’accumuler des clichés. Mais l’inverse est aussi vrai, le porno woke n’est nullement un gage de qualité et mène aux mêmes impasses.

Avez-vous un auteur de prédilection ?

On n’a jamais écrit un scénario de BD porno aussi dense que celui de Lost Girls (Filles perdues) d’Alan Moore, qu’a dessiné Melinda Gebbie — une BD se revendiquant woke, d’ailleurs. Moore a scénarisé les meilleures BD de superhéros et d’horreur, et le jour où il s’est lancé dans le sexe, il n’a pas baissé de régime. Donc Lost Girls est pour moi le chef-d’œuvre. Mais, plus léger, j’aime beaucoup ce que fait Bastien Vivès dans la collection 

« BD-Cul » — il vient d’en sortir un troisième, toujours drôle. Je me rends compte que je vous cite des auteurs qui ont fait reculer la censure… C’est la cerise sur le gâteau.

Quel souvenir gardez-vous de vos années à la Musardine [de 2002 à 2008], en tant que directeur de collection ? Quels auteurs avez-vous contribué à faire découvrir ?

C’était il y a vingt ans, l’anniversaire sera en novembre. La Musardine allait mal après l’échec de plusieurs beaux livres coûteux. La vente des romans de gare Média 1000 était depuis longtemps en déclin, la collection « Osez… » n’existait pas encore, les banques faisaient des problèmes et Claude Bard, le fondateur et directeur d’alors, m’a demandé de concevoir un label BD en me prévenant qu’on n’était pas sûrs de finir l’année. En plus, c’était à un moment où les librairies ne voulaient plus de BD érotiques et où les maisons existantes (IPM, La Poudre aux rêves) coulaient. C’est donc dans la plus mauvaise période qu’on a lancé Dynamite, dont je me suis occupé de 2002 à 2008 — et qui existe toujours, sous la direction d’Anne Hautecœur et Nicolas Cartelet. Pour réduire les coûts, je me chargeais aussi des traductions, des lettrages et des maquettes. On a publié ainsi une quarantaine d’albums avant que je ne parte, et la BD a aidé La Musardine à se sortir de sa mauvaise passe, ce qui est un bon souvenir. En revanche, je ne me suis pas trouvé à la hauteur pour organiser des créations. Les trois ou quatre tentatives qu’on a faites, avec de bons auteurs, ont eu des résultats en dessous de ce que j’espérais. Diriger les auteurs, je ne sais pas le faire, me suis-je rendu compte à cette occasion. Ou alors, il faut que je participe avec eux à l’œuvre. Pour les histoires courtes de Magenta, j’ai travaillé avec les italiens Pes et Guerra en orientant la version française, qui était la première édition, vers le maximum d’humour. J’ai dû batailler pour qu’existe cette série, par la suite rééditée chez Delcourt et Hachette. Donc on peut dire que j’ai contribué à la faire découvrir, pour répondre à votre question. Mais beaucoup d’auteurs que j’ai publiés ne m’avaient pas attendu pour être connus : Pichard, Baldazzini, Ignacio Noé, Giovanna Casotto, Erich von Götha, Jacobsen, Ardem, Bruce Morgan, Paula Meadows…

La BD érotique a-t-elle été, et est-elle encore, une cible pour la censure ?

Les pouvoirs publics ne se préoccupent plus de censurer la BD depuis la fin du siècle dernier ! En 1997, La Musardine éditait la revue Confessions BD, à laquelle je participais, qui a été interdite par Jean-Pierre Chevènement. J’ai découvert l’arrêté d’interdiction dans le Journal officiel que j’avais l’habitude de consulter pour préparer mon dictionnaire. Claude Bard n’était pas au courant et a pu arrêter juste à temps l’impression d’un nouveau numéro qui, sinon, lui serait resté sur les bras. Mais tout ça, c’est fini. Ce qui reste, c’est la pratique de l’autocensure, la crainte de susciter des polémiques, de n’être pas dans certains points de vente. Prenez les deux revues qu’on trouve encore en kiosques, Blandice et les numéros hors-série de l’Immanquable, elles sont soft parce que, si elles ne l’étaient pas, elles seraient rangées à côté de Hot vidéo, là où les lecteurs de BD n’iraient pas les chercher. Il en est de même pour la mise sous plastique des albums que pratiquent certains éditeurs — dont Dynamite, ce qui fut la raison de mon départ. Ils vous diront qu’ils y sont obligés par la censure, mais ce n’est pas le cas, aucune loi ne leur impose ça. Ils le font à la demande de leur distributeur, de ses représentants ou de quelqu’un qui leur a prétendu que c’était obligatoire en passant dans le bureau, mais ce sont simplement des gens qui se mettent d’accord pour procéder ainsi, parce que ça leur facilite le travail.

Vous êtes l’un des plus grands spécialistes de la censure. Où en est la liberté d’expression, selon vous, aujourd’hui ?

Diable ! Quelle question pour finir ! Je me vois obligé de la ramener à peu de chose pour pouvoir y répondre. La mienne, de liberté d’expression, n’est pas terrible. Mais je crois que même Donald Trump, le cul sur ses milliards, se plaint d’être horriblement ostracisé.

Pierre Des Esseintes est auteur et journaliste, spécialisé dans les questions de sexualité. De formation philosophique, il est également sexologue. Il a publié, aux éditions La Musardine, Osez la bisexualité, Osez le libertinage et Osez l’infidélité. Il est aussi l’auteur, aux éditions First, de Faire l’amour à un homme et 150 secrets pour rendre un homme fou de plaisir.

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