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Camille Moreau, auteure de Lire, Écrire, Jouir : « J’ai toujours été très excitée par les mots ! »

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Dans son dernier livre, la philosophe Camille Moreau nous invite à un voyage sensuel au cœur du texte érotique. Pourquoi jouissons-nous de l’écrit ? Peut-on aimer un texte comme un corps ? Le plaisir procuré par l’écrit serait-il aussi fort, si ce n’est plus, qu’une expérience réelle ? L’auteure a bien voulu nous éclairer sur ces questions…

Comment vous êtes-vous rendu compte que l’écriture pouvait être cause de jouissance ?

Cela vient de mon expérience personnelle. J’ai toujours été très excitée par les mots, ceux qu’on m’adressait comme ceux que je pouvais lire dans les livres érotiques que j’ai découvert très jeune. Ensuite, il m’est venu l’envie d’aller vérifier si ce n’était qu’une disposition personnelle, ou si cela pouvait s’appliquer à chacun. C’est ainsi qu’est née l’idée de cette recherche, qui m’a occupée pendant presque six ans !

Vous parlez beaucoup, dans votre livre, de la lettre d’amour qui aurait pour fonction de pallier l’absence. C’est la raison d’être de la littérature érotique ?

Si la lettre peut en effet pallier l’absence de l’être aimé, j’explique également que ce palliatif est une illusion, et peut se révéler mortifère. Mais la fonction de la littérature érotique est différente : elle est selon moi un dispositif à fantasmes, c’est-à-dire à la fois un outil d’introspection sexuel (suis-je attirée par telle pratique, est-ce que cette idée m’excite, etc…) et un ouvroir à la rêverie qui peut faire naître des désirs, provoquer d’autres fantasmes encore, et déclencher une envie de faire l’amour, parfois bestiale et immédiate, parfois au contraire plus raffinée, comme une envie de baiser mieux, avec plus d’intentionnalité et de sophistication. Sans compter le plaisir simple de la lecture qui met – bien évidemment – en émoi, et qui se suffit parfois à lui-même.

Avez-vous déjà raconté par écrit l’une de vos expériences sexuelles ?

J’écris toujours en partant de ma propre expérience, et même si Lire, écrire, jouir est un ouvrage purement philosophique, les questions que j’aborde me sont profondément liées. Mais c’est la première fois que je n’aborde pas directement mes expériences. Dans mon livre précédent (Manifeste d’érotologie, NBE éditions), je racontais en détail des expériences sexuelles que j’avais vécue, pour les observer ensuite au prisme de la philosophie. Récemment, j’ai également publié une nouvelle, dans la revue Ouroboros (n°4), qui, bien qu’elle soit rédigée à la troisième personne, relate en effet un épisode de ma vie érotique personnelle. Je suis partisane d’une philosophie expérimentale, c’est-à-dire que j’ai à cœur de vérifier dans l’expérience si les principes que je défends fonctionnent effectivement. De manière privée, j’écris beaucoup autour de mes expériences, mais pas dans une optique de publication (pour le moment du moins).

Qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui, à l’heure du porno illimité sur Internet, on lise encore de la littérature érotique ?

Il y a une différence fondamentale entre la représentation audiovisuelle de la sexualité et l’écrit. Lorsqu’on lit, les images qui viennent à l’esprit sont construites en nous (c’est ce qu’on appelle la régrédience) alors que dans l’érotisme visuel, ces images nous sont imposées par un réalisateur. Du fait de cette différence, les deux médias n’ont pas le même effet sur notre esprit, et convoquent différemment nos corps. La littérature érotique ou pornographique favorise l’identification aux personnages, ce qui n’est pas le cas dans la pornographie audiovisuelle. De même, la littérature érotique a souvent une composante fantasmatique proche des contes de fées, c’est-à-dire que les décors sont souvent fabuleux, les orgasmes cosmiques, les échanges parfaits, les destins exceptionnels. Il est rare de nos jours de trouver une telle imagination dans la pornographie, du moins dans celle disponible de manière illimitée sur Internet.

Quelle est selon vous la langue la plus érotique ? Pourquoi ?

Au risque d’énoncer un lieu commun, l’italien est une langue qui peut provoquer chez moi des frissons incontrôlables. Mais il n’y a jamais de langue aussi érotique que celle que l’on comprend et maîtrise, car les nuances de sens et les sous-entendus font partie de ce qui est le plus érotique dans le langage. De même, chaque niveau de langage a son charme sexuel, la langue châtiée pour sa préciosité et les réminiscences qu’elle évoque, la langue vulgaire pour sa liberté et son ton direct qui invoque immédiatement des images.

Faites-vous la différence, en littérature, entre érotisme et pornographie ?

Non. Comme je l’explique dans mon ouvrage, il est très difficile de différencier érotisme et pornographie (je suis par ailleurs preneuse de toute définition objective qui serait capable de départager les deux, avis aux lecteurs qui voudraient s’essayer à l’exercice !). Michela Marzano avait offert une définition intéressante, où elle disait que la pornographie représentait des corps morcelés, transformés en objets, où aucun individu ne pouvait émerger, tandis que l’érotisme représentait des sujets maîtres d’eux-mêmes, dans leur entièreté corporelle. Mais dans le cas de la littérature, la différence n’a pas lieu d’être car le medium texte implique la présentation d’un sujet entier, maître de lui-même. Et si l’on veut parler de différence pornographie/érotisme en termes d’intensité, ce n’est pas valable non plus pour la littérature, dans laquelle « le graveleux et la grâce » s’entremêlent sans cesse.

Que pensez-vous du projet « Hysterical literature », dans lequel des femmes sont filmées en train de se masturber, tout en lisant de la littérature érotique ?

Je trouve ce projet formidable, j’en avais d’ailleurs utilisé l’exemple dans ma thèse (qui est en réalité le point de départ de ce livre). Par ailleurs, il ne s’agit pas toujours de littérature érotique, parfois c’est simplement de la poésie ou un texte neutre, pourtant les participantes ont relaté que c’est bien les mots en eux-mêmes qui parfois déclenchaient leur jouissance. Ce travail a été très précieux pour ma propre recherche, et je conseille aux internautes d’aller découvrir eux-mêmes s’ils ne connaissent pas !

Quelle place accordez-vous à la littérature érotique dans votre vie ?

Physiquement, à observer les bibliothèques qui envahissent chaque mur de mon appartement, beaucoup de place ! Blague à part, j’en ai fait le centre de ma vie philosophique, et elle a longtemps présidé à ma vie personnelle. Je me suis identifiée à beaucoup d’héroïnes (et de héros parfois), j’ai eu envie de tenter des expériences, d’imiter certaines situations, et d’écrire à mon tour, à mes amants et amantes, ou pour moi. Elle était si présente dans ma vie qu’il m’est déjà arrivé de congédier un amant parce qu’il refusait de lire un livre érotique que je lui avais offert ! Je suis moins extrémiste aujourd’hui, mais je n’envisage pas la vie sans textes érotiques, que je lis sans cesse, aussi bien pour mon travail que pour mon plaisir.

Quel texte érotique vous a le plus marquée ? Pourquoi ?

Sans hésitation aucune, Emmanuelle, qui a changé ma perception de la vie amoureuse et qui m’a faite telle que je suis. Si je me suis autorisée des choses qui étaient encore taboues lorsque j’étais plus jeune, c’est grâce à ce livre, qui m’a rendue maîtresse de mes désirs, et qui ne mérite pas la réputation qu’il a. Emmanuelle n’est pas une bluette pornographique pour amateurs de femmes-objets, c’est un véritable ouvrage de tradition littéraire, empreint de philosophie, exigeant et qui préfigure toutes les transformations sociétales que le monde occidental a connu dans la seconde moitié du XXe siècle (l’écriture date environ de 1958 et présente déjà des idées qu’on ne verra en public qu’en 1968 !). Sans compter qu’il est terriblement excitant.

La phrase la plus érotique, selon vous ?

«  Toujours rassasiée et jamais satisfaite », qui est tirée du magnifique poème de Marie Nizet, La Torche.

Le mot de la langue française le plus érotique, selon vous ?

« Attends ». Mais qui ne saurait avoir sa valeur sans son jumeau : « viens ».

Lire, Écrire, Jouir, Camille Moreau, éd. La Musardine, 312 p., 19 €.

Pierre Des Esseintes est auteur et journaliste, spécialisé dans les questions de sexualité. De formation philosophique, il est également sexologue. Il a publié, aux éditions La Musardine, Osez la bisexualité, Osez le libertinage et Osez l’infidélité. Il est aussi l’auteur, aux éditions First, de Faire l’amour à un homme et 150 secrets pour rendre un homme fou de plaisir.

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