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Jalousie : l’ennemie intime du couple

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La jalousie peut devenir une malédiction pour un couple, et même relever d’une véritable pathologie. Comment en démonter les mécanismes pour s’en sortir ? Et dans le porno, comment ça se passe ? Explications.

« Tous les soirs, se souvient Karine, cadre de 45 ans, j’attendais qu’il aille prendre sa douche pour fouiller son téléphone. Parfois, je lui faisais les poches. Une nouvelle carte de visite, un numéro griffonné sur un bout de papier, n’importe quoi devenait l’indice d’une trahison. J’essayais de déceler des changements, même infimes, dans son comportement. J’avais perdu toute rationalité. Il avait beau se justifier, me prouver son innocence, ça ne changeait rien. Un jour, ça l’a tellement excédé que nous nous sommes séparés. »

N’avez-vous pas déjà entendu des histoires comme celle-là ? On dit que la jalousie est liée à l’amour, mais que faire lorsqu’elle devient invivable ? La jalousie, qui exprime la peur de perdre l’être aimé et son amour exclusif, s’accompagne d’un sentiment d’insécurité, et d’un manque de confiance en soi. Par exemple, la jalousie peut consister à être bouleversé par les attitudes de séduction de celui qu’on aime, ou même par le plaisir – imaginaire – qu’il éprouve en notre absence. Avec la jalousie, c’est toute notre conception de l’amour qui est en jeu.

Quand commence la jalousie ?

Elle naît dans la petite enfance. Tous les enfants sont jaloux de leurs parents et de leurs privilèges. Dans Psychanalyse des contes de fée, Bruno Bettelheim analyse les causes de la jalousie à partir du complexe d’Œdipe. La jalousie ressentie à l’égard d’un parent du même sexe doit faire place à un processus d’identification. Si celui-ci échoue, il est probable que la jalousie dominera la vie affective de l’enfant, puis de l’adulte.

Il est difficile pour un enfant de jalouser ouvertement l’un de ses parents. Tellement difficile, qu’il va projeter ses propres sentiments sur ce parent. Ainsi, au lieu d’avouer sa jalousie, il prétendra que c’est le parent qui est jaloux de lui. C’est ainsi que l’enfant cherchera à s’affirmer, à travers un sentiment de supériorité.

Si cette jalousie persiste à l’âge adulte, on acceptera difficilement l’altérité. Le jaloux fait assez mal la différence entre lui et les autres. Selon le sexologue Gérard Leleu, « ce sont ces angoisses de l’enfance qui sont réactivées par l’adulte jaloux (…) La relation de couple exacerbe d’autant plus la jalousie qu’inconsciemment, on tente de faire renaître le duo primitif mère-enfant ». Le drame de la jalousie, dans un couple, n’a donc rien à voir avec la réalité. Le jaloux rend son partenaire responsable d’un drame qui le dépasse.

Peut-on aimer sans être jaloux ?

Selon l’écrivain Christian Bobin, « rien ne ressemble plus à l’amour et rien ne lui est plus contraire, violemment contraire. Le jaloux croit témoigner, par ses larmes et ses cris, de la grandeur de son amour. Il ne fait qu’exprimer cette préférence archaïque que chacun a pour soi-même. Dans la jalousie, il n’y a pas trois personnes, il n’y en a même pas deux, il n’y en a soudain plus qu’une en proie au bourdonnement de sa folie : je t’aime donc tu me dois tout » (La plus que vive, Gallimard, 1996).

Le jaloux exprime sa frustration à l’égard de tout ce qu’il ne pourra jamais posséder de l’autre : les sentiments qu’il a éprouvés pour d’autres, ou ses expériences sexuelles passées. Le jaloux ne supporte pas de ne pas avoir été le premier, le seul et l’unique !

Mais « toi plus moi », ça ne fera jamais un. La fusion passionnelle est un fantasme qui renvoie à la relation avec la mère, et à l’époque où nous étions au centre de toutes ses attentions. Pour éviter ce sentiment dévorant, il faut resituer son amour dans la réalité de notre vie sociale.

Si l’on éprouve de la jalousie, il faut apprendre à accepter l’idée que nous ne sommes pas le centre d’intérêt unique de la personne avec qui nous partageons notre vie. Si l’autre cherche à s’affirmer dans son individualité, s’il s’intéresse à d’autres personnes, ce n’est pas pour cela que nous perdons son amour. Ce que nous perdons, c’est le miroir qu’il nous tendait, où l’on pouvait s’admirer, idéalisé par l’autre.

Si l’on n’éprouve aucune jalousie, il est d’autant plus difficile d’accepter celle de l’autre. Le jaloux considère que ses crises sont des preuves d’amour, alors qu’elles ne seront perçues que comme des agressions. Le jaloux comprendra le manque de jalousie de l’autre comme un manque d’amour.

Chacun vit sa relation de couple en fonction de son propre code amoureux, mais il faut admettre que la jalousie peut être une véritable malédiction ! Elle est pernicieuse, car celui qui en souffre cherche à la cacher. Il est difficile de s’avouer jaloux. Au cinéma, au théâtre, le jaloux est toujours un personnage ridicule. La honte qu’il éprouve l’empêche souvent d’analyser son état.

La psychanalyse distingue trois formes de jalousie : la jalousie concurrentielle, la jalousie délirante, et la jalousie projetée.

La jalousie concurrentielle est la plus fréquente. Elle remonte au complexe d’Œdipe, quand l’un de nos parents nous interdisait l’accès à celui du sexe opposé. Nous avions peur de ne pas être préférés. Le rival est perçu soit comme semblable à nous (en mieux), soit à l’opposé de ce que l’on est. Dans ce conflit, on se sent inférieur, et l’on redoute de ne pouvoir l’emporter.

Caroline, 43 ans, vit et travaille avec son mari dans la restauration : « Je réussis bien dans mon job, mais je n’arrive pas à trouver un équilibre. Je suis dévorée par la jalousie. Je n’embauche que des employées que je trouve laides. Je me sens mal lorsque mon mari parle à une cliente un peu trop jolie. Lui, il ne sait pas comment me rassurer. En cas de crise, je deviens hystérique, puis je me mure dans le silence. Je ne sais pas s’il va continuer à me supporter longtemps ! »

Cas typique de jalousie concurrentielle, Caroline redoute la concurrence des autres femmes, et aucune preuve d’amour ne la rassure, car ne se considérant pas comme « aimable », elle ne peut croire en la sincérité de son mari.

La jalousie délirante

Il s’agit d’une forme de jalousie pathologique. Le jaloux est convaincu que l’autre le trompe, et dans son délire, se persuade de sa culpabilité. Il est impossible de raisonner la personne qui souffre de ce type de jalousie. Le jaloux pathologique se reconnaît à ces trois comportements :

1 Il « flique » en permanence la personne aimée, à travers une surveillance constante de son emploi du temps.

2 Il cherche à isoler son partenaire de sa famille, de ses amis, et contrôle tout son réseau de communication (e-mails, réseaux sociaux, téléphone…).

3 Il harcèle son partenaire de remarques déplacées, désobligeantes. Cette stratégie de manipulation vise à placer son partenaire dans un état de dépendance absolue.

Attention, cette forme de jalousie met en danger l’intégrité psychique de la personne qui en souffre, et menace gravement son partenaire de vie. Le jaloux pathologique peut devenir dangereux. Une prise en charge thérapeutique s’impose. Si vous remarquez ce type de comportement chez votre partenaire, prenez de la distance.

La jalousie projetée

La jalousie peut consister également en une projection de ses propres fantasmes sur son partenaire. Le jaloux, incapable de se contenter d’une sexualité monogame, va naturellement imaginer qu’il en est de même pour celui ou celle qui partage sa vie. Le jaloux n’assume pas ses fantasmes, et les attribue à l’autre. Il s’inscrit donc dans une stratégie d’évitement de la culpabilité.

Que faire si la jalousie est installée à l’âge adulte ? Les psychologues affirment que le lien entre attachement et jalousie peut être reprogrammé.

Tout d’abord, il faut comprendre comment le processus de la jalousie s’enclenche. Pour cela, il faut plonger dans l’enfance. Les sentiments d’abandon, d’humiliation, d’exclusion, ont souvent des racines anciennes. Qu’est-ce qui a pu déclencher les premières crises ? Il faut tenter de définir les motivations inconscientes de la jalousie en la remettant en perspective.

À l’âge de huit ans, Tristan a été traumatisé par la séparation de ses parents, quand son père a quitté sa mère pour une autre femme. Son enfance et son adolescence ont été bercées par les réflexions acerbes de sa mère sur les femmes : « ton père m’a quittée pour une salope, d’ailleurs, tu verras, quand tu seras plus grand, ce sont toutes les mêmes, méfie-toi ! » Les relations de Tristan avec les femmes ont été par la suite très compliquées : « je souffrais, explique-t-il, d’une terrible jalousie, que je ne comprenais pas, jusqu’à ce qu’un jour je réalise que j’étais presque rassuré quand l’une de mes compagnes me trompait : je me disais alors que ma mère avait raison… » L’inconscient a plus d’un tour dans son sac !

Il faut également comprendre comment la relation se construit. Souvent, le jaloux a du mal à saisir ce qui fonde l’attachement de l’autre. Il redoute donc tous les rivaux potentiels, et vit dans l’angoisse perpétuelle de la perte. Il faut, dans ce cas, retrouver confiance en son couple, redécouvrir ce qui en fait la richesse, le caractère unique.

Si tout cela ne suffit pas, on peut évidemment consulter. Le psychiatre Alain Krotenberg (auteur de L’Envie d’aller mieux, avec Luc Patry, Payot, 2001), reçoit dans son cabinet hommes et femmes jaloux dont la souffrance est devenue insupportable. Grâce à des thérapies cognitives et des jeux de rôles, il aide à prendre conscience du caractère excessif du comportement jaloux.

Si les proches peuvent participer à ces jeux de rôles, ils doivent néanmoins comprendre qu’ils n’ont aucun moyen d’aider leur compagnon. « Je n’arrêtais pas de dire à mon mec que je l’aimais, confie Nadia, 28 ans, mais ça ne suffit pas. Il n’y rien à faire. Si vous rentrez dans ce jeu, tout finit par se retourner contre nous, et vous n’osez plus rien faire. J’ai perdu mon job, mes amis. J’ai fini par quitter mon mec, je n’en pouvais plus. »

Cette volonté d’exercer une emprise sur l’autre est révélatrice d’un état de dépendance affective. Le thérapeute enseignera au jaloux les bases de l’autonomie et de la confiance en soi. Il est fréquent qu’il ne se sente pas à la hauteur.

Et dans le porno, comment ça se passe ?

On peut supposer que le métier de performer dans le X s’accommode assez mal de la jalousie. Pourtant, le milieu du porn compte des couples épanouis et équilibrés, qui distinguent parfaitement leur métier et leur vie privée.

On ne s’étendra pas, ici, sur les faits divers sordides qui touchent parfois le porno « pro-am », lorsque les compagnons des hardeuses vivent mal la notoriété de leur moitié (à laquelle ils ont souvent contribué). Ce fut le cas, notamment, pour la malheureuse Anne Derouck, plus connue sous le pseudo de Carla Sinclair, qui, encouragée par son mari à tourner des films X, a été retrouvée au domicile conjugal avec quatre balles dans la tête, en 2009. Le mari jaloux a été condamné à 25 ans de prison. Mais ces drames restent heureusement marginaux, et les performeurs en couple savent, en général, gérer intelligemment leur carrière en « équipe ».

Ainsi, Cassie Del Isla, en couple avec Dorian, ont commencé à travailler dans le porno quelques mois seulement après leur mariage. Mais comme dans tous les couples durables, quelques ajustements ont été nécessaires. « Il faut établir des règles pour protéger son couple, expliquait Cassie à J&M magazine en 2019. Des règles, ça veut dire, par exemple, éviter de faire du gringue aux acteurs et actrices ! » « Nous sommes de gros baiseurs, convenait Dorian dans la même interview. Nous aimons baiser avec d’autres personnes, mais nous n’avons pas besoin de rapports de séduction. »

Rico Simmons, acteur X et réalisateur pendant plus de quinze ans, a vécu en couple avec plusieurs actrices, notamment Milka Manson. Il avoue : « Le sujet de la jalousie, ça revient souvent dans mes pensées et conversations. Je ne l’éprouve plus depuis longtemps. Je pense que j’ai été guéri il y a de nombreuses années, à mes débuts, lorsque j’étais avec Milka. Dès lors, j’ai compris que je devais mettre ce sentiment de côté, car c’est l’un des plus toxiques qui soit, avec la vengeance. Je l’ai dompté en comprenant qu’il faisait plus fuir une personne que la retenir. » 

Et ses compagnes, éprouvaient-elles de la jalousie, à cause de son activité ? « Oui, poursuit-il, et c’est presque plus dur pour moi de subir la jalousie des autres que la mienne, parce que je n’ai pas beaucoup de prise dessus. Mais avec le temps et la discussion, je réussis à faire comprendre que mes sentiments changent négativement quand on me met la pression et, qu’au contraire, je me sens plus libre et en phase avec la personne lorsqu’on laisse de côté ce sentiment toxique. » La jalousie : et si c’était les gens du porno qui en parlaient le mieux ? Laissons le mot de la fin à Rosa, l’épouse de Rocco Siffredi, qui a répondu avec humour, alors qu’on la questionnait sur la jalousie : «Moi, au moins, contrairement à beaucoup d’autres femmes, je sais toujours où est mon mari » !

Pierre Des Esseintes est auteur et journaliste, spécialisé dans les questions de sexualité. De formation philosophique, il est également sexologue. Il a publié, aux éditions La Musardine, Osez la bisexualité, Osez le libertinage et Osez l’infidélité. Il est aussi l’auteur, aux éditions First, de Faire l’amour à un homme et 150 secrets pour rendre un homme fou de plaisir.

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