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Dirty talk : le manuel ultime

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Loin d’être vains, ou bêtement grossiers, les jurons ont une profonde fonction physiologique ; si profonde que même en cas de graves pathologies affectant les circuits du langage, l’on conserve la capacité de proférer des insanités. Délicieusement cathartique, le fait d’éructer des gros mots soulage le stress et la douleur, augmente le rythme cardiaque, améliore les performances physiques. Ce sont les bienfaits de la lalochézie (du grec « lálos », parler, et « khézō », déféquer). Or, rien de plus naturel, dans ce moment de passion contenue qu’est l’acte d’amour, que de quérir bien-être et apaisement au moyen de quelques grossièretés tendrement susurrées. Là sont les fondements du dirty talk. Malgré tout, l’art du « parler sale » ne saurait se résumer à un étalage d’injures incontrôlées. Un brin de vocabulaire s’avère souvent essentiel pour jouir pleinement de cette authentique discipline rhétorique sans verser dans la caricature. Le thesaurus ci-après est justement adressé à ceux qui rêvent de repousser toujours plus loin les limites de l’éloquence grivoise.

Supplément crudité

« Dis-lui ce que tu vas faire, ce que tu es en train de faire, ce que tu as fait. » Voici, selon Dan Savage, chroniqueur spécialisé en sexualité, le b.a.-ba de la pratique. En effet, inutile de chercher midi à quatorze heures et d’inventer des histoires à dormir debout -ça, c’est du roleplay, et ce n’est pas forcément incompatible. Pour s’exciter par la parole, il suffit bien souvent de se dire les choses franchement, crûment. Mais encore faut-il trouver les mots appropriés.

Le secret est dans la réification, réduire l’être (soi-même ou son partenaire) en une somme de d’organes, d’objets, d’outils dont on use pour son bon plaisir, sans aucun regard pour le respect dû à la personne qui en dispose. Dans sa grande richesse, la langue française offre heureusement de très nombreux vocables douteux pour qualifier nos vénérables anatomies. Et puisqu’une image vaut souvent mieux qu’un long discours, il existe une pléthore d’analogies possibles pour accentuer la profanité du propos : métaphores mécaniques, vocabulaire alimentaire, propositions guerrières… Le tout est de les marier thématiquement.

Sexe masculin : queue, vit, bite, teub, pine, chibre, guiche, dard, raideur, zob, zgueg, mât, manche, cigare, lance, sabre, matraque, marteau, matos, machine, piston, missile, fusée, banane, concombre, aubergine, saucisse, sucette…

Testicules : couilles, boules, burnes, balloches, joyeuses, valseuses, jumelles, bonbons, dragées…

Sexe féminin : vulve, vagin, chatte, teuch, con, cramouille, craquette, lèvres, fente, trou, antre, source, étui, fourreau, cheminée, hangar, four, moule, abricot, mille-feuilles, berlingot…

Poitrine : seins, meules, loches, mamelles, nichons, nichons, nibards, pêches, melons, pastèques, obus, boobs, tétons, tétines, pastilles, rustines…

Fessier : cul, derrière, postérieur, séant, pétard, miches, lune, popotin, oignon, trou, boîte, rondelle, pastille, lucarne, œil-de-bœuf, trognon…

Bouche : face, gueule, bec, gorge, suçoir, entonnoir, clapet, claque-merde, boîte…

Fluides : sperme, sève, cyprine, mouille, foutre, jus, crème, sauce, purée, cartouche, sueur, pisse, merde…

-« Ô mon amour, pilonne donc ma cramouille baveuse de ta chaude et raide lance… »

Adjectif Lune

« Bite », « chatte », « couille », ça va bien cinq minutes. On a passé le stade des gros mots de cours d’école. Il est temps désormais de muscler son jeu en apportant un peu d’élégance, que dis-je, un peu de lyrisme à ce déballage scatologique. Et pour une bonne emphase, rien ne vaut un bel adjectif ! Car les organes susmentionnés, au regard de la performance qu’ils s’apprêtent à produire, méritent d’être célébrés dans toute leur obscène et désirable singularité. Ainsi, il convient de ne pas simplement évoquer « sa queue », mais « sa bonne grosse queue gorgée de sève », de ne pas modestement citer « sa fente », mais « sa belle petite fente brûlante de désir et avide de foutre tiède ». C’est bien plus poétique, non ?

Les incontournables : raide, roide, dur, ferme, rigide, beau/belle, grand, large, épais, gros, énorme, plein, vigoureux, profond, mouillé, trempé, gorgé, gonflé, ruisselant, visqueux, gluant, baveux, dégoulinant, chaud, brûlant, bouillant, tiède, frais, avide, inlassable, insatiable, nymphomane, dévergondé, obsédé, sale, crade, dégoutant, dégueulasse, immonde, répugnant, obscène, cradingue, malpropre, malsain, malappris, mal embouché, malpoli, mal dégrossi…

Dalida critiquait les Paroles ; Michel, lui, fait des promesses…

Sardou for ever

Décrire, c’est bien ; raconter, c’est mieux. Car au fond, ce qui est excitant dans le dirty talk, ce ne sont pas tant les mots prononcés que les actes qu’ils promettent. Le grand Michel, dans son infinie sagesse, s’est ainsi fait prophète pour signer la love song la plus torride de tous les temps. Égrainant une à une les conséquences des sévices qu’il est sur le point d’infliger, il ponctue chaque déclaration d’un incontestable « Je vais t’aimer ! », rappelant l’inéluctabilité de la sentence. Le dirty talk n’est rien de moins que cela : un petit jeu de pouvoir, un dialogue d’autorité où chacun y va de son irrépressible requête, de son impérieuse injonction, de son serment quant au plaisir dont l’autre va se voir gratifié. « Pâlir », « rougir », « flamber », « jurer », « prier », « supplier », la maîtrise du verbe est donc primordiale dans cet exercice, afin de retranscrire avec justesse tout le graphisme de l’action. Avec un soupçon d’imagination et deux-trois notions de vocabulaires, on peut alors dépeindre les hyperboles sexuelles les plus excitantes.

Verbes appropriés : chauffer, allumer, mater, monter, dresser, raidir, bander, durcir, mouiller, couler, suinter, baver, offrir, donner, infliger, prodiguer, gratifier, prendre, utiliser, user, attraper, pénétrer, saillir, baiser, piner, tirer, tringler, défoncer, déglinguer, démonter, déboîter, dilater, écarter, explorer, pilonner, bourrer, labourer, fourrer, farcir, limer, poncer, polir, lustrer, astiquer, branler, enfiler, enfoncer, empaler, clouer, marteler, matraquer, malmener, humilier, disgracier, soumettre, subir, rudoyer, foudroyer, secouer, tamponner, cartonner, péter, casser, éclater, vider, pomper, sucer, gober, avaler, manger, lécher, bouffer, presser, palper, masser, peloter, fesser, claquer, plaquer, terminer, finir, achever, remplir, gicler, juter, foutrer, cracher, repeindre, salir, souiller, crier grâce, supplier, implorer, vénérer, honorer, réclamer, prier, hurler, aboyer, gémir, couiner, chouiner, grouiner, meugler, beugler…

Moule à gaufre !

Noms, verbes et adjectifs, les éléments essentiels du discours sont à présent réunis pour permettre à chacun de mettre des mots gracieux sur toutes les envies perverses qui l’animent durant ces instants d’intimités. C’est maintenant et seulement maintenant qu’il convient de verser dans la grossièreté gratuite, dans l’injure crasse, en tant que ponctuation. D’où l’intérêt de connaître sur le bout des doigts les champs lexicaux idoines, ou plutôt ad hoc, comme dirait le Capitaine.

Des insultes, on en trouve à la pelle. Il serait donc dommage de ne cracher que des « Salope ! » entre chaque proposition. Point de sexisme ici, tout le monde en prend pour son grade, et notamment les mâles à qui l’on peut adresser tel quel les épithètes féminines, pour une offense plus grande encore. Allumeuse, pétasse, pouffiasse, salope, salaud, fumier, connard, bâtard, clochard(e), enculé(e), crevure, roulure, raclure, souillure, obsédé(e), pervers(e), vicieux(se), vicelard(e), cagole, chagasse, canaille, rustre, lécheur(se), bouffeur(se), mangeur(se), suceur(se)…

Pute, traînée, catin, putain, ribaude, tapin, gigolo, maquereau… Bien entendu, l’imagerie de la prostitution s’avère vite incontournable. Mais attention, en plus de perpétuer un stigma à l’encontre de ce si beau métier, un tel parti-pris condamne parfois à conclure les ébats en laissant 150 balles sur la table de chevet avant de se rhabiller en catimini. Réfractaires aux jeux de rôle s’abstenir.

Si la perspective d’un rapport tarifé avec votre cher et tendre vous laisse de marbre, le registre purement ordurier vous apportera certainement de quoi disgracier autrui avec originalité. En effet, le concept de souillure, généralement méprisé, épouse à merveille toute la dimension salace d’un rapport sexuel. À citer donc sans modération : poubelle, décharge, garage, bordel, trou, seau, sac, déchet, ordure, vide-couille, crasseux(se), souillon(ne), pisseuse, crasse, merde, crotte…

En outre, du « chien de la casse » à la « chatte en chaleur », il est tout un bestiaire qui n’attend que d’être invoqué pour témoigner l’intense considération animale que l’on éprouve pour son prochain : chien(ne), chiennasse, clébard, clebs, cabot, toutou, chatte, cochon(ne), porc, goret, pourceau, truie, lapin, rat, blaireau, belette, bœuf, étalon, bourrin, génisse, mâle, femelle, rut, chaleur…

Nous pourrions finir sur la liste des qualificatifs sexistes, racistes, homophobes qui trouvent leur moment de grâce dans cette parenthèse enchantée sublimant la violence verbale complice. Mais plutôt que de risquer un procès, pourquoi ne pas conclure sur un petit rappel ? Dans le cadre de la conversation d’amour, rien n’est, de prime abord, abusif. Au contraire même, ce petit jeu sans conséquences révèle toute sa saveur lorsque l’outrage confine à l’outrance. Toutefois, au même titre que le geste, la parole peut réveiller des traumatismes, petits ou grands, des insignifiants complexes que l’on cache aux odieuses discriminations que l’on subit. Aussi, à l’instar de toute autre pratique sexuelle, il convient donc de borner avec son partenaire l’étendue de ce fantasme, pour en exclure les attaques ad personam. Voilà en somme, la quintessence du dirty talk : bafouer sans jamais blesser.

Titulaire d'une maîtrise en cinéma, auteur d'une Porn Study à l'Université Paris VII Diderot, Clint B. est aujourd'hui chroniqueur de l'actualité porno.

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