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Bio/Milieu du X

Lucile Bellan : « Notre vision de l’amour romantique est totalement arbitraire ! »

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La journaliste Lucile Bellan, spécialisée dans l’intime et le témoignage, revendique dans son dernier livre, Polyamoureuse, sa liberté d’aimer au pluriel. Loin de la simple confession, son livre interroge nos fonctionnements amoureux, arbitrairement basés sur la monogamie.

Comment définissez-vous le polyamour ?

Le polyamour, c’est le fait de pouvoir aimer plusieurs personnes en même temps, et de le vivre. Il existe une infinité de polyamours, définis selon les rencontres. On peut être polyamoureux avec deux, trois, quatre personnes, et six mois plus tard, il peut y avoir un bouleversement du polycule, la forme de relation amoureuse et familiale autour de la personne polyamoureuse. C’est une relation vivante et très changeante, une relation de la remise en cause.

Vous racontez dans votre livre que vous avez découvert le polyamour et la bisexualité en même temps…

Oui, les deux me sont tombés dessus au même moment ! J’étais mariée avec un homme, avec qui j’ai eu des enfants, et c’était une période de ma vie ou il fallait que je performe le couple et la maternité pour que tout fonctionne au mieux. Et c’est à ce moment-là que je suis tombée amoureuse d’une femme. Je n’ai pas eu une grande surprise en découvrant ma bisexualité. Mais vivre une vraie histoire d’amour avec une femme, c’était une première pour moi.

La vie en trouple, c’est aussi du polyamour ?

Oui, pour moi le trouple, c’est un cas particulier de polyamour. Les gens qui sont en trouple essaient de s’arranger pour vivre totalement ensemble. Mais en général, le polymamour recouvre des relations plutôt parallèles, connues et consenties de tous les protagonistes.

Pourquoi avez-vous ressenti le besoin de raconter votre expérience ?

Je fais beaucoup de recherches sur les sujets qui m’intéressent. Avant de découvrir le mot polyamour, j’étais déjà polyamoureuse ! Je suis allée chercher des références culturelles, universitaires, des témoignages. Je me suis retrouvée avec une bibliographie très américaine, très référencée du côté de San Francisco, avec des communautés qui n’étaient pas de ma génération. Or, je voulais écrire un livre qui s’adresse au gens qui ont une trentaine d’années, avec des problèmes d’adultes. Ceux pour qui le polyamour n’est pas un effet de mode de jeunesse, ni un délire de baba des années 70. On rencontre aujourd’hui des « darons » polyamoureux, qui vivent cela comme ils le peuvent, en fonction de ce que la société leur permet de faire. Les témoignages que j’ai recueillis sont ceux de personnes de ma génération. La société bouge beaucoup sur ces questions liées à l’intime et aux modèles familiaux. Pour moi, il y avait aussi un point à faire, sur mes dix ans de polyamour, avec deux relations très différentes.

Vous avez fait du polyamour votre mode de vie. Vous n’imaginez pas revenir à une relation de couple plus classique ?

En monogamie exclusive ? Non. Ça n’a jamais été sur la table. Ce serait juste s’enfermer pour s’enfermer. J’ai déjà vécu deux divorces, je ne me vois pas dire à quelqu’un : « OK, essayons la monogamie exclusive ». Ça me parait illusoire. Je préfère me dire que l’autre personne et moi-même avons la possibilité de vivre quelque chose avec un contrat moral qui va être : on se raconte tout pendant que les choses arrivent, ou après. Pour moi, la monogamie, ça n’a plus de sens.

Ça apporte du piment dans la sexualité, de raconter à l’autre ce que l’on vit ?

Je crois vraiment que dans le polyamour, les relations se nourrissent. Plus on vit dans une relation amoureuse qui fonctionne, plus l’autre relation bénéficie du bien-être qu’on a à ressentir cet amour. C’est pareil pour la sexualité, évidemment. Plus on prend de plaisir, plus on a envie d’en prendre.

Dans le mode de vie polyamoureux, vous vivez en alternance avec une personne puis l’autre ?

C’est le cas. J’ai trois enfants, et mes enfants sont prioritaires sur le reste. On s’organise en fonction de moments ou l’on est le plus libre. Je me suis toujours organisée pour que mes enfants ne soient pas lésés, et pour que mes relations puissent s’épanouir. Ça nécessite des ajustements. Il arrive toujours un moment ou l’on va se sentir plus mal que l’autre. Il va falloir être plus présent pour lui. C’est l’adaptation permanente.

Vous parlez de votre relation avec votre mari et votre partenaire, sont-ils eux-mêmes polyamoureux ?

Non, ce sont des personnes mono romantiques. Elles ne sont pas capables d’avoir plusieurs amours, mais ne sont pas monogames exclusives.

Le polyamour impose des règles de vie strictes ?

Je trouve que oui. Je me suis retrouvée à m’imposer davantage de règles que dans la monogamie. Justement parce que je sortais des règles, je me suis obligée à m’en créer. Principalement pour monter à mes partenaires que je les respecte. Par exemple, je me suis inventée une règle un peu débile et qui n’a aucune justification : il faut un laps de temps de vingt-quatre heures avant de coucher avec une deuxième personne. Dans le polyamour, les règles qu’on invente sont fatalement arbitraires. Cela peut être, par exemple : « tu peux tout faire sexuellement, sauf telle pratique, il faut que tu me racontes tout, dans les détails, dans un laps de temps donné… ». Pour être une bonne polyamoureuse, il faut respecter les règles ! Je suis assez inflexible avec moi-même !

Ce ne serait pas plus simple de faire des plans à trois ?

J’ai toujours été avec des personnes qui n’avaient pas d’orientations sexuelles compatibles, donc ça résout le problème ! J’ai été avec deux hommes hétérosexuels, puis avec une femme lesbienne et un homme hétérosexuel. Je sais que ça pourrait arriver, mais ça ne s’est pas présenté.

Le polyamour, c’est un moyen de diversifier sa sexualité ?

A titre personnel, en tant que personne bisexuelle, ça m’a libérée, je me sens beaucoup plus complète quand je suis en couple avec deux personnes en même temps. J’ai besoin de cette diversité. Quand on amène un élément nouveau, ça relance forcément la sexualité. C’est aussi pour cela que la monogamie exclusive ne me convient pas.

Vous dites que le polyamour, ce n’est pas seulement une sexualité, c’est aussi un changement de civilisation.

Historiquement, nous nous sommes imposé collectivement des choses sur le couple, la famille… Notre vision de l’amour romantique est totalement arbitraire. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas remettre en cause ce qui a été mis en place il y a des siècles. On nous a bourré le mou avec l’amour éternel, le couple homme-femme, la jalousie comme façon d’exprimer son amour… En fait, l’enjeu était surtout de savoir qui était le père des enfants. C’était donc un contrôle du corps des femmes, qui allait de pair avec le contrôle de la société par l’église. Ce qui m’agace, c’est qu’on débarque tous dans la vie avec un schéma préétabli : l’hétérosexualité monogame, avec un modèle de couple tiré de films de Disney. Certains passent des années à souffrir pour se conformer à ces schémas. Il faut se poser la question : qui suis-je ? Comment j’aime ? Comment je veux aimer ? Pour moi, faire un livre sur le polyamour, c’est aussi dire aux gens : êtes-vous sûrs de ce que vous êtes ? Je ne pense pas que tout le monde soit polyamoureux, c’est très difficile de le vivre, pour de nombreuses raisons, notamment financières ou organisationnelles. Parler du polyamour, c’est questionner les gens sur leur monogamie. Bien sûr, d’autres modèles existent : la non-exclusivité, le couple libre, le libertinage… Il y a aussi le modèle de la non-relation. On peut être célibataire et très heureux.

Vous écrivez : « c’est parce que je suis perméable que je suis polyamoureuse ». Vous pourriez expliquer cette phrase ?

Oui, c’est une petite théorie personnelle. En tant que journaliste, c’est important pour moi de rester perméable aux choses et aux gens. Je ne veux pas me blinder, je veux toujours ressentir quelque chose. Pour le polyamour, c’est pareil. C’est parce que je suis toujours ouverte à ressentir les choses, l’émotion, ce qui se passe dans le regard de l’autre. C’est une forme de romantisme personnel. Cette perméabilité au monde passe fatalement par une petite mise en danger. Je prends le risque d’aller vers les gens, de leur parler, même si je ne les connais pas. 

Quelles sont les principales difficultés que vous avez rencontré dans votre parcours de polyamoureuse ?

D’abord, la difficulté d’être une femme qui assume d’avoir des désirs sexuels. Le jugement qui arrive tout de suite, c’est : « ton mari est un cocu, et toi une salope » ! Ça m’oblige à être plus responsable, plus « bourgeoise » que les autres. Je ne veux pas que les gens associent polyamour et libertinage. Je respecte les libertins bien sûr, mais le polyamour ce n’est pas ça. Certaines personnes monogames en couple se sentent blessés par mon mode de vie. Ils ne supportent pas qu’on remette le leur en question. Ce que je sens à travers cela, c’est beaucoup de frustration. C’est comme si ces gens-là essayaient de me faire comprendre qu’on ne peut pas faire péter le système comme ça, même s’il est complètement pourri ! Enfin, le levier des enfants a été très fort dès le début de mon polyamour. On m’a dit que mes enfants allaient être traumatisés, et qu’on allait me les retirer en cas de divorce !

Et vos enfants, justement, ils sont au courant de votre mode de vie ?

Oui, bien sûr, il n’y a aucun problème. Pour eux, ça n’a rien à voir avec la sexualité. Ils comprennent seulement que leur maman a plusieurs amours en même temps !

Recueillir des témoignages a été difficile ?

Les polyamoureux sont très secrets. Il y a une peur du jugement des autres. C’est compliqué à gérer, surtout quand on est parent. J’ai été très touché des réponses que j’ai reçues. Les témoins m’ont donné de leur intimité, comme une reconnaissance pour avoir mis en lumière cette « communauté ».

Après des études de philosophie et de psychologie, Mathilde Leriche débute une carrière dans l’enseignement. Puis, à l’âge de trente ans, curieuse de nouvelles expériences, elle découvre le libertinage, et se passionne pour la sexualité humaine.

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