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Agnès Giard : « Nous sommes tous intéressés par la façon dont les autres jouissent !».
La journaliste et anthropologue Agnès Giard, spécialiste des sexualités alternatives et de la pop culture japonaise, signe un recueil passionnant de 58 chroniques issues de son blog Les 400 Culs. Ses articles érudits, drôles et incisifs, secouent nos certitudes sur la sexualité et questionnent les conformismes de notre époque.
Peux-tu nous présenter ton parcours, et ton travail de recherche ?
J’ai commencé dans le journalisme. Comme j’aimais écrire et faire des enquêtes, je me suis orientée dans cette voie en pensant naïvement que j’allais pouvoir modifier le discours journalistique tel que je le percevais à l’époque : la mise en scène d’un drame permanent, destinée à créer chez les gens le sentiment que si l’on ne s’informe pas, on risque de ne pas pouvoir influencer le cours de l’histoire. Les médias essaient de nous faire croire que nous sommes acteurs de l’histoire : il se passe quelque chose aujourd’hui, vous en faites partie, restez en ligne ! Les gens sont maintenus dans cet état de fébrilité. Je voulais insuffler un autre discours, mais ça n’a jamais marché ! Cet échec m’a conduite à écrire des livres, notamment sur le Japon, ou je me rendais régulièrement. J’ai soutenu une thèse en anthropologie. Quand je suis devenue docteure, je me suis rendue compte que je ne pouvais pas redevenir une journaliste « normale ». Après avoir démissionné de tous les médias ou je travaillais, en ne gardant que Libération, l’essentiel de mon activité est devenue une activité de recherche.
Tu continues à travailler sur les partenaires virtuels au Japon ?
C’est devenu mon principal sujet de recherche. Mon premier travail était consacré aux love dolls, les poupées pour adultes au Japon. La question était : s’agit-il de poupées pour des hommes célibataires frustrés, misogynes et revanchards ? La réponse était non, évidemment. Au Japon, le mariage est devenu hors d’atteinte pour la majorité des gens. Le modèle matrimonial japonais est celui de l’homme pourvoyeur. Un homme doit gagner au moins 4 millions de yens pour pouvoir épouser une femme. Seulement 15 % des hommes de 20 ans y arrivent, 30 % dans la tranche d’âge au-dessus. Pour les femmes, se marier signifie renoncer à faire carrière, pour s’occuper des enfants. Les Japonaises, dans leur grande majorité, ne veulent plus se sacrifier pour un mariage qui peut devenir problématique : si jamais le mari perd son travail, tout le monde se retrouve à la rue. Dans ce contexte, posséder une poupée, c’est manifester, de façon provocante, qu’il y a un problème. On sait que l’on est condamné à mourir seul, et l’on se met en scène dans un faux couple, pour manifester cet échec collectif. Cela m’a amenée à m’intéresser à des outils beaucoup plus répandus que les love dolls : des maris ou des épouses de substitution, qui sont numériques. L’industrie des jeux vidéo de simulation amoureuse concerne pratiquement un Japonais sur deux. Beaucoup de gens manifestent leur colère par l’intermédiaire d’une compagne ou d’un compagnon téléchargeable sur smartphone. La version plus élaborée, c’est l’épouse holographique, ou encore le petit copain en réalité augmentée.
Comment es-tu devenue journaliste spécialisée dans la sexualité ?
J’étais spécialisée arts déviants/underground/Japon chez Nova Magazine. Je fais partie de cette génération qui a vu apparaitre les ordinateurs et Internet. A l’époque, c’était une euphorie incroyable. J’ai travaillé dans toute la presse cyber. A l’époque, l’Internet était underground, c’était le fief des cyberpunks, des gens qui allaient sur Internet pour élaborer de nouvelles utopies. Un jour, Jean Francois Bizot [rédacteur en chef de Nova] me propose la rubrique « sexe ». A l’époque, je n’y connaissais rien ! J’ai relevé le défi, et je me suis aperçue que deux discours s’affrontaient. D’abord, celui de la presse masculine, qui incitait les hommes à rester célibataires, hédonistes, sur le modèle : « montres, bagnoles et belles pépés » ! Ce discours a été modélisé par la revue Playboy, véritable programme idéologique. Hugh Hefner proposait un lifestyle totalement nouveau : un homme d’intérieur « moderne », raffiné, élégant, célibataire, qui reçoit ses copines chez lui. Cette presse correspond au modèle de la révolution sexuelle, qui consiste à être au centre d’un réseau de sex friends. Toutes les revues masculines vont s’en inspirer. En parallèle, il y avait le discours de la presse féminine, avec la femme cherchant un mec pour lui assurer une protection : « ne vous donnez pas trop vite, mesdames, sinon vous allez être dévalorisées ! », etc. On pourrait croire que ces deux discours sont opposés, mais en fait ils se rejoignent. Dans les deux cas, on ne fonctionne que par rapport à l’autre sexe.
J’ai eu une idée, qui m’a été inspirée par Michel Maffesoli, le sociologue des tribus urbaines. A l’époque, dans le Paris des années 80, je trouvais ça merveilleux, ce melting pot des communautés, la world food, la world music… Il y avait une ouverture sur d’autres modes de vie. Rétrospectivement, je pense que nous avons été embarqués dans une saloperie sans nom. Mais bon, à l’époque, je trouvais ça très tentant. Et donc, j’ai décidé de parler des communautés étranges qui peuplent vos villes. La première que j’ai rencontrée a été celle des fesseurs. Ils se réunissaient deux fois par mois, dans un restaurant, avec des badges : un bleu pour le fesseur, un vert pour le fessé, un vert pour le switch. Il y avait des initiations, des formations, des diplômes, des séances de démonstrations en public, et des règles. Moi, j’adore ça ! J’aime tout ce qui est ritualisation des relations sexuelles. Ensuite, je me suis rendu compte que l’anthropologie était la méthode idéale pour approfondir toujours plus cette démarche d’enquête.
Comment a commencé ta collaboration avec Libération ?
Nova magazine a fini par mourir, et Libération m’a contactée pour me proposer de continuer ce que je faisais. Libération voulait fédérer un lectorat sur la version numérique. J’ai fait partie de l’équipe des blogueurs qui devaient attirer les lecteurs sur la version en ligne du journal. D’ailleurs, aujourd’hui, je suis la seule rescapée.
Pourquoi ?
Parce que les rubriques consacrées au sexe fonctionnent toujours mieux que les autres. Enfin, je suppose. Pour certains articles, j’atteignais jusqu’à 150 000 lecteurs par jour !
Tu as écrit plus de 1200 articles pour le blog Les 400 Culs, sur quels critères as-tu effectué ta sélection pour ce recueil ?
C’était compliqué. L’idée, c’était de ne pas mettre des articles bout à bout. Un message doit se dégager de l’ensemble. Les articles doivent se renvoyer les uns aux autres, chaque article amplifiant le message du précédent. Le lecteur doit avoir l’impression d’être happé par une pensée en expansion.
Tu as commencé à écrire tes articles en 2007. Quels sont les plus grands changements qui ont eu lieu depuis, dans la sexualité ?
La diabolisation est terrifiante. Les médias, mais aussi les institutions, les galeries, les musées, etc., s’autocensurent en permanence, de peur d’être attaqués sur les réseaux. Exprimer simplement son opinion, dès lors qu’elle peut être taxée de mauvaise, ce n’est plus possible.
Tu penses à quel domaine en particulier ?
La question des identités sexuelles, des morphologies, des canons de beauté…
Et la question des minorités sexuelles ?
J’ai écrit un article sur les LGBTQIA+, qui est dans le recueil. Je suis assez offensive sur ce sujet. D’ailleurs, je suis un peu inquiète des répercussions possibles de mes positions. Je vais peut-être finir par perdre mon travail ! Je ne prétends pas apporter de réponses définitives. Mais j’ai beaucoup de questionnements sur la validité des stratégies adoptées par ceux qui prétendent défendre les gens appartenant à ces minorités. Selon moi, la division en catégories formant des petites chapelles, y compris les « grosses » catégories : homo, hétéro, etc., c’est dangereux. Nous sommes dans des pratiques qui sont devenues des identités. Nous étions dans le faire, c’est devenu de l’être. La question est : suis-je réductible à des pratiques ? Moi, je n’ai pas envie qu’on me réduise à n’être qu’une « femme cis SM ». Non, je suis capable de comprendre et d’entrer dans la tête des personnes avec qui je parle, et partager des envies. C’est en cela que le métier de journaliste est passionnant. On peut poser des questions à des gens dont la sexualité nous est complètement étrangère, et se rendre compte que leurs mots nous touchent. Par exemple, après avoir parlé avec des gens qui se définissaient comme altocalciphiles (excités par le son des talons aiguilles), je suis devenue hyper sensible au son des talons. J’ai appris énormément de choses en questionnant les gens, et je les ai intégrées à ma propre sexualité. Nous sommes tous intéressés par la façon dont les autres jouissent. Tu te fais embrasser les paupières ? Tiens, j’ai envie d’essayer aussi ! L’un des plus beaux cadeaux que la vie peut nous offrir, c’est de toujours découvrir de nouvelles zones érogènes, qu’elles soient physiques ou mentales.
Quelle est ta chronique préférée dans ce livre ?
Celle qui est consacrée à une exposition organisée par le mari de John Giorno, Ugo Rondinone, au palais de Tokyo. C’est une véritable déclaration d’amour à John Giorno. Je n’ai jamais été aussi émue. Dans cette exposition, il n’était question que de laisser une trace derrière soi. On s’éclate, on se fait baiser par des dizaines de mecs, mais à la fin, on va mourir. Qu’est-ce qu’on fait avec ça ? Cette chronique me tient à cœur, surtout en ce moment, où j’ai l’impression que la mort nous entoure. J’ai le sentiment que je n’en ai plus pour très longtemps, et je me dis : je me suis bien amusée…
Agnès Giard, Les 400 Culs, Chroniques culottées sur les sexualités modernes, éd. La Musardine, 328 p., 19,50 €.
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