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Amandine Jonniaux : « Le marché de la sextech représente 122 milliards de dollars de chiffre d’affaires  ! »

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Amandine Jonniaux est journaliste, spécialisée dans la cybersécurité, les droits du numérique et les objets connectés. Elle dirige la rubrique « sextech » dans le Journal du Geek. Dans Oh my gode, son premier livre, elle raconte l’évolution des « jouets sexuels » et révèle les enjeux d’une industrie très lucrative et encore peu écologique… 

Pourquoi vous êtes-vous intéressée à ce sujet ?

À la base, je traitais uniquement des sujets liés à la sextech ou à la porn tech, et je me suis rendu compte que c’était un moyen d’interroger plein d’autres choses : le consentement, l’éducation sexuelle, notre rapport à la pudeur, aux tabous. Ce sujet des sextoys m’intéressait beaucoup, mais je ne pouvais pas forcément le traiter sur mon média.

Votre livre s’ouvre sur une partie historique. Vous expliquez que pendant la Préhistoire, et dans l’Antiquité, les sextoys étaient à la fois des substituts phalliques et des objets de culte.

Exactement, pour l’Antiquité, nous avons des documents écrits qui sont assez explicites sur l’usage masturbatoire de ces objets, mais pour la Préhistoire, on ne saura jamais. En tout cas, cela a suscité beaucoup de fantasmes.

Plusieurs sculptures phalliques gravées figurant des prépuces rétractés ou absents, des piercings, des cicatrices et des tatouages. Circa 12 000 av. J.C © Javier Angulo / Hospital Universitario de Getafe, Espagne

À travers l’histoire des sextoys, on se rend compte de la manière dont le rapport à la sexualité varie selon les civilisations. Au Japon, par exemple, leur usage est complètement décomplexé.

Oui, c’est très intéressant. En débutant l’écriture de mon livre, j’avais tendance à considérer que la libération des mœurs s’était faite de façon assez linéaire et progressive. Ce n’est évidemment pas du tout ça. Ça dépend énormément de la société dans laquelle on vit. C’est impressionnant de voir à quel point, en Asie, ce ne sont pas les mêmes mœurs ni les mêmes tabous.

En Occident, les sextoys ont d’abord été utilisés avec un alibi médical.

Oui, on a beaucoup raconté qu’au 19ᵉ siècle, on masturbait les femmes avec des vibromasseurs sous couvert de traitement médicaux, mais ça n’a jamais été documenté. Par exemple, il n’existe aucune preuve que l’on utilisait des vibromasseurs pour soigner l’hystérie. À l’époque, si on avait constaté le moindre intérêt pour ces pratiques, des gens en auraient parlé, en bien comme en mal. D’ailleurs, la vibrothérapie faisait l’objet d’énormément de critiques. Mais cette psychose autour de l’hystérie, et la vibrothérapie sont arrivés au même moment. On les a très vite associés. La vibrothérapie était censé tout guérir, c’était une forme de charlatanisme. Par contre, quand les vibromasseurs électriques sont arrivés dans la sphère privée, officiellement pour raffermir les rides ou les muscles, on a très vite compris leur intérêt pour la masturbation. Ce n’est pas pour rien que dès 1921, on trouve un vibromasseur dans un film pornographique, utilisé par des actrices déguisées en infirmières ! 

En tout cas, aujourd’hui, la caution médicale existe. Elle est même très présente.

Oui, c’est toujours mieux perçu par le grand public, quand les fabricants utilisent des éléments de langage sur le bien-être holistique, la santé sexuelle… Ça dédramatise l’usage des sextoys. Aujourd’hui, on assiste à une remédicalisation de la sextech. 

Personnellement, j’aime beaucoup les dilatateurs rectaux du docteur Young [vendus comme remède miracle à partir de 1892] ! 

Oui, c’est assez hilarant ! Ils n’ont pas fait long feu, on s’est rendu compte que porter ces dispositifs sur une période prolongée n’était pas forcément une bonne idée ! 

Publicité pour les dilatateurs rectaux du docteur Young, revue médicale de Detroit, 1905

L’histoire des sextoys se confond avec celle de la masturbation, qui a été accusée de tous les maux. C’est ce qui explique que l’on n’ait pas parlé de l’usage sexuel de ces instruments, pendant très longtemps…

Oui, à l’époque de Tissot, qui publie son essai sur l’onanisme en 1760, on percevait la masturbation comme monstrueuse, provoquant l’hypertrophie du clitoris, la sénilité, la folie… À cette époque, la masturbation était pointée du doigt pour des raisons médicales, qui reprenaient les condamnations religieuses du Moyen Âge.

Le marché des sextoys s’est développé sous l’impulsion des féministes, qui à partir des années 60 ont commencé à revendiquer leur droit au plaisir… Vous évoquez notamment Betty Dodson.

Oui, mais les sextoys, à l’époque, étaient plutôt conçus par les hommes et pour les hommes. Betty Dodson était initiatrice d’une nouvelle approche : en tant que féministe, je me réapproprie mon corps et mon plaisir en utilisant des sextoys qui ne sont ni phalliques, ni pénétrants, comme le Magic Wand. Mais dans les années 60-70, cette libération reste confidentielle, et confinée dans des milieux urbains et militants. La femme lambda ne découvrira le Magic Wand que vingt ans après. En plus, on trouve au sein des mouvements féministes deux courants de pensée : les pro-sexe, et les plus radicales, qui vont dire : « en plus de prendre en charge le plaisir de notre partenaire masculin, on doit aussi prendre en charge le nôtre ! »

Les publicités pour les sextoys, toujours plus glamour…

Aujourd’hui, le marché des sextoys pour hommes s’est développé, mais pendant très longtemps, ils n’ont été destinés qu’aux femmes.

Oui, les premiers sextoys étaient en général des godes réalistes, phalliques. Mais c’était toujours le public masculin qui était en charge de l’achat. Les sex shops étaient pensés uniquement pour les hommes, à l’époque. Les magasins à destination des femmes sont apparus assez récemment, vers le début des années 2000. C’est l’époque de la diffusion de la série Sex and the city, qui va démocratiser le rabbit et le Magic Wand à l’échelle internationale. C’est aussi le moment où Internet va propulser le sex shop dans la sphère privée. On peut acheter des sextoys ou on veut, quand on veut, sans devoir se rendre dans des sex shops un peu glauques.

La suite logique, c’est l’ouverture des love stores

Oui, c’est beaucoup plus engageant ! On ne parle plus de sexe, mais d’amour (rires) !

C’est d’ailleurs à partir de ce moment que sont apparus les sextoys flashy, un peu régressifs…

Oui, pour les gens qui hésitent, qui ont peur, c’est un formidable moyen de sauter le cap ! Ce sont des sextoys que l’on peut montrer, offrir…

En 1998, le rabbit apparait dans la série Sex and the city

C’est devenu un énorme marché, aujourd’hui…

Oui, le marché de la sextech représente 122 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2024. Évidemment, cela inclut aussi les applications, les cosmétiques… 

Les sextoys pour hommes sont curieusement absents de votre livre.

J’ai essayé de l’évoquer, mais l’angle des sextoys pour femmes s’est rapidement imposé. Les sextoys pour hommes, ça reste un domaine très empreint de préjugés. J’aurais aimé en parler davantage.

Le nouvel enjeu pour les sextoys en ce moment, c’est l’écologie…

Oui, la sextech doit commencer à se poser de vraies questions sur son impact environnemental. C’est un marché relativement nouveau qui cristallise encore des tensions. Quand l’Europe décide de passer en USBC pour avoir un chargeur universel pour tous les appareils électroniques, elle ne prend pas en compte les sextoys. C’est tout un pan de la technologie, qui pèse très lourd, et qui est complètement squizzé. C’est dommage, car ce sont des produits tech, avec des batteries qui ont un poids non négligeable sur l’environnement. D’autant plus qu’il n’y a pas de seconde main, on a tendance à jeter à la poubelle ses vieux sextoys parce qu’on n’ose pas les recycler dans son magasin de quartier.

Le best seller Womanizer devient écolo !

Il faudrait aussi une plus grande régulation sur les matériaux…

Oui, les sextoys sont intimement liés à la santé. Quand on voit que certains phtalates sont interdits dans les produits pour bébé, les produits alimentaires… Les sextoys sont en contact avec les muqueuses. C’est comme si on se mettait ces objets dans la bouche, en termes de transmission de molécules. Il n’existe aujourd’hui aucune législation. Les marques, même les plus importantes, ne respectent pas la législation concernant les phtalates et les additifs. Tous les sextoys, ou presque, sont made in China. Le fabricant chinois va juste délivrer un certificat de conformité européen sur le silicone qu’il utilise. Il n’existe aucun test. C’est la bonne foi du fabricant !

Les sextoys à piles, ça existe encore ?

Oui, pour les toys à moins de 50 euros. La majorité des sextoys se chargent en USB, mais la fiche qui rentre à l’intérieur n’est jamais la même. C’est problématique, car si on a plusieurs sextoys, on se retrouve avec autant de fils ! Mais le pire, c’est qu’il existe encore des sextoys à usage unique. Womanizer a encore un sextoy qui ne se recharge pas ! On l’achète juste pour tester la technologie ! Le toy dure trente minutes. D’un point de vue écologique, c’est une aberration.

Quel conseil donneriez-vous pour choisir un sextoy ?

Évitez les sextoys transparents ou translucides. C’est de la polychlorure vinylique, élastifiée avec des phtalates. Ce sont les toys les moins chers. S’ils sont mis en contact les uns avec les autres, ils vont fusionner, ce qui est vraiment dégueu ! Pour les sextoys sans moteur, il faut miser sur le bois, l’acier inoxydable, le verre borosilicate. Pour les sextoys à moteur, on opte pour le tout silicone, de grade alimentaire ou biomédical. C’est le matériau le plus safe. Il a tous les avantages : il est souple, inerte et sans danger. Dans sa fabrication, on peut en varier la densité. En plus, il ne bouge pas avec le temps. Évitez aussi les toys qui imitent la texture de la peau, prétendument sans phtalates !

Quel est selon vous le meilleur sextoy ?

En ce moment, la vraie bonne surprise, c’est le Ona, de Blush Intimacy. Un petit stimulateur clitoridien aspirant, conçu en France, très simple d’utilisation, et très efficace ! Il reste assez abordable. C’est important, car dans ce domaine aussi, les prix explosent ! 

Amandine Jonniaux, Oh my gode, Une enquête vibrante sur les dessous des sextoys, éd. La Musardine, Coll. L’Attrape-Corps, 256 p., 18 €. 

Oh, my gode

Pierre Des Esseintes est auteur et journaliste, spécialisé dans les questions de sexualité. De formation philosophique, il est également sexologue. Il a publié, aux éditions La Musardine, Osez la bisexualité, Osez le libertinage et Osez l’infidélité. Il est aussi l’auteur, aux éditions First, de Faire l’amour à un homme et 150 secrets pour rendre un homme fou de plaisir.

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