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Bio/Milieu du X

It’s just love : c’est que de l’amour !

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Événement du dernier festival international Unseen Photo Fair d’Amsterdam, l’exposition de la jeune photographe française Sophie Ebrard, It’s just love, retrace une aventure de quatre années sur les tournages porno du britannique Gazzman. Le résultat : des clichés argentiques élégants et sensibles sur l’envers du décor. L’expo va bientôt débuter une tournée internationale. Rencontre.

Propos recueillis par Pierre Des Esseintes.

La Voix du X : Quel est votre parcours en tant que photographe ?

J’ai une formation commerciale. Je ne suis photographe que depuis six ans. J’ai travaillé dans la publicité pendant dix ans, et à la suite d’un sérieux burnout, j’ai décidé de faire quelque chose qui me plaise vraiment. Quand je me suis lancée dans la photo, je n’ai jamais vraiment galéré, les commandes sont arrivées très rapidement. Après un an de travail, j’ai eu envie de m’intéresser au corps et à la sexualité. Mon premier projet s’intitulait Just After. Je voulais trouver différents types de personnes, représentant plusieurs générations, qui auraient posé devant moi juste après avoir fait l’amour. Mais je n’arrivais pas à trouver des modèles. Je n’imaginais pas demander à des amis ou des connaissances de poser pour moi après l’amour. Puis, un jour, une amie m’a invitée dans une soirée échangiste, à Londres. Cela se passait dans un manoir sublime, classé monument historique, en plein centre de la ville. Evidemment, il était hors de question de prendre des photos pendant la soirée. Mais pour la première fois, j’ai pu voir des gens faire l’amour sous mes yeux. Cette découverte m’a ouvert les yeux. Je me suis dit : waouh, le corps humain est magnifique ! Devant ces gens si beaux, j’ai évidemment regretté de ne pas pouvoir faire de clichés. Mais cela m’a donné des idées assez précises de ce que je voulais photographier.

6C’est au cours de cette soirée que vous avez rencontré Gazzman ?

Oui, ce soir-là j’ai reçu un petit coup de pouce du destin. Gazzman m’a invité sur l’un de ses tournages. C’est comme cela que j’ai renoncé au projet Just After, et que le projet It’s just love est né. J’ai eu la chance de rencontrer ce réalisateur, dont les productions ont des budgets honorables, des décors magnifiques, et surtout peu de filles retouchées. La plupart sont des girls next door. Dans ces conditions-là, je me suis dit que ce serait facile de faire de belles photos. J’ai été très agréablement surprise par le milieu du porno, que j’imaginais malsain. Parler avec les actrices et acteurs X m’a beaucoup apporté. Je voulais vraiment comprendre ce qui se passait dans leur tête pendant les scènes. Je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup d’humanité sur le tournage. Je ne m’attendais pas à autant de respect mutuel entre les acteurs. Je me suis même fait des amis, que j’étais heureuse de retrouver d’un film à l’autre.

Vous n’avez jamais eu envie de vous rendre sur d’autres tournages, dirigés par d’autres réalisateurs ?

Non, cela n’aurait pas été utile. Ma démarche ne consistait pas à faire un reportage sur le milieu du porno, mais de révéler la beauté, même là où on ne l’attend pas. Le porno a été le sujet où j’ai pu le mieux m’exprimer.

Le cadrage de vos photos est souvent complètement décalé, comme s’il ne fallait pas trop en montrer…

C’est vrai. Je me suis longtemps posé la question : dois-je montrer ou non les parties génitales ? Quand je suis arrivée sur le premier tournage, je ne voulais pas du tout faire de photos explicites, mais plutôt des portraits, ou du behind the scenes. L’une des toutes premières images que j’ai faites, c’est celle de l’acteur qui repasse.

À ce moment-là, vous étiez encore un peu prude ?

Exactement (rires) ! Mais ce qui est drôle avec le porno, c’est qu’on se désensibilise peu à peu. Je me souviens d’une actrice avec qui je suis rentrée en avion. Elle me racontait que, de retour d’un tournage, elle avait toujours besoin de trois jours de décompression. Sinon, elle était capable de montrer des photos à ses copains en leur disant : « tenez, regardez, c’est moi, en train de me faire enculer (rires) ! » J’ai eu le même problème, toutes proportions gardées. Je suis revenue avec des photos qui étaient très porno, et j’ai attendu quelque temps, avant de m’autocensurer. Il m’arrive de laisser les parties génitales visibles, mais c’est plus pour le fun. Je pense à la photo où un acteur tient son sexe dans sa main. Celui-ci est tellement gigantesque qu’on a l’impression qu’il tient une baguette. Il y a aussi cette photo où une actrice s’apprête à sucer deux mecs. On ne voit que le bout de leur sexe. Je ne voulais pas que ma série soit porno, mais plutôt esthétique et drôle.

Quelle photo de cette série préférez-vous ?

Celle dont je suis particulièrement fière, c’est celle de la double pénétration sur une table. Je la trouve belle, on dirait un tableau. J’ai mis beaucoup de temps à la prendre, car je ne voulais qu’aucun organe sexuel ne soit visible.

Quelles ont été vos influences en photographie ?

Je me suis souvent rendue à la National Gallery, à Londres. J’ai cherché l’inspiration dans des tableaux anciens, pour trouver des couleurs à utiliser pour les retouches. Je me suis beaucoup inspirée de peintres classiques : Le Caravage, Vallotton, et surtout Manet pour les couleurs de peau.

Ce travail vous a-t-il appris des choses sur votre propre sexualité ?

Je n’ai jamais subi l’influence du porno dans ma propre sexualité. Ça ne m’a jamais vraiment intéressée. La pornographie et la sexualité dans la vie privée sont deux choses totalement différentes. L’actrice Ava Courcelles m’a confié un jour : «si les gens connaissaient ma sexualité de couple, il trouveraient cela d’un ennui mortel !» La pornographie, c’est avant tout de la performance.

Que va devenir votre travail ?

L’exposition va tourner dans différents pays. J’ai des contacts prometteurs, notamment aux États-Unis. J’ai aussi un projet de livre.

L’exposition a eu lieu chez vous, à Amsterdam, en septembre dernier. Pourquoi avez-vous choisi d’exposer It’s just love à votre domicile ?

J’ai choisi de montrer mon travail dans ma propre maison, pour le mettre en scène comme une « expérience ». Je ne le sentais pas de le faire dans un espace vide. Je ne voulais en aucune façon choquer les gens. Quelques images sont plutôt explicites, et si vous les montrez hors contexte, ça peut être embarrassant. Je voulais aussi montrer que je suis une fille « normale ». Peu de gens ont accès à l’industrie pornographique, et je trouve qu’il est intéressant pour eux d’avoir un point de vue extérieur comme le mien, qui vit une vie « normale ». Pour les gens qui sont rentrés dans ma maison, qui ont expérimenté ces images dans mon environnement, c’était plutôt intéressant, je pense. De plus, le porno quitte rarement le domicile, il se consomme surtout chez soi. Cela fait de la maison le lieu idéal pour l’exposition.

16Et vous avez imaginé une mise en place particulière…

J’ai travaillé avec Gina Geoghegan, une créatrice et directrice artistique suédoise basée à Londres. Je lui ai demandé de recréer la sensation de boudoir à la française. Nous avons ajouté des sons, de la musique, des odeurs… C’était une expérience intégrale.

 

Comment utilisiez-vous la musique ?

J’ai fait installer un casque à côté de chaque photo, car je voulais que chacune d’elle soit liée à une chanson, que les visiteurs puissent écouter. En fait, j’ai fait un montage de chansons et de phrases prononcées par l’actrice Skin Diamond (si vous ne la connaissez pas, la voici dans une mémorable scène avec James Deen, NDLR). J’ai été fascinée par cette fille. Elle a une très forte personnalité. Elle n’a pas peur de revendiquer son plaisir. Je me souviens d’une scène que j’ai photographiée dans laquelle elle enchaînait les orgasmes. A la fin de la scène, les acteurs continuaient à baiser entre eux, hors caméra. C’était incroyable !

Selon vous, le plaisir est souvent présent dans le porno ?

Oui, le plaisir est là, palpable. Je l’ai ressenti.

http://sophieebrard.com/

Pierre Des Esseintes est auteur et journaliste, spécialisé dans les questions de sexualité. De formation philosophique, il est également sexologue. Il a publié, aux éditions La Musardine, Osez la bisexualité, Osez le libertinage et Osez l’infidélité. Il est aussi l’auteur, aux éditions First, de Faire l’amour à un homme et 150 secrets pour rendre un homme fou de plaisir.

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