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Madame Claude

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Parler de Madame Claude c’est un peu comme évoquer un film de Melville : du velours rouge, des cigarettes, des putes, le zinc des bars, et des secrets plein les placards.

Retour sur la vie riche d’une femme multiple

Madame Claude s’appelle en réalité Fernande Grudet, et on comprend son changement de nom. On est en 1923, une période trouble, et sa famille a de modeste ressource : son père vend des sandwichs à la gare d’Angers. Toute sa vie Madame Claude voudra échapper à la misère des premiers jours qu’elle a connue, et elle se donnera vite les moyens de cette ambition. Cette fuite ira jusqu’à vouloir effacer ce passé puisque dans les mémoires qu’elle rédige, Allo oui ou les mémoires de Madame Claude elle se présente comme la fille d’un riche industriel. Il y a beaucoup d’inventivité dans ces mémoires, et des mensonges aussi, il est assez difficile de se représenter ce qui relève de la réalité ou de l’imagination féconde de son auteur. Son père serait mort résistant, elle-même déportée à Ravensbrück aurait sauvé Geneviève de Gaulle.

L’invention des call-girls

Assez vite à Paris elle se prostitue pour subvenir aux besoins d’une fille à laquelle elle a donné naissance très tôt : Madame Claude est fille-mère Elle fréquente les milieux du banditisme, et s’introduit de plus en plus dans les milieux. Mais elle veut aller plus loin, et gravir les échelons, jusqu’à créer une entreprise de prostitution de luxe qu’elle anime par téléphone depuis son appartement de la rue de Marignan. Madame Claude invente en fait en France le concept de call-girl ! En s’assurant de ne pas être elle-même au contact de ses filles et des clients, elle sécurise ainsi son activité et crée un cordon sanitaire autour d’elle-même. Cette combine fonctionne bien, et son adresse dans le 16e arrondissement de Paris, rue de Boulainvilliers, fait recette. Rapidement elle règne sur un harem de 500 filles.

Actrices et couturiers

Elle s’occupe bien d’elles, car elle-même a été prostituée, mais tous les changements esthétiques et vestimentaires qu’elle offre à ses filles, elle le leur facture. Et ça peut coûter cher car elle les fait s’habiller en robes de grands couturiers et recourir à la chirurgie esthétique. Ainsi les filles arrivent avec une dette conséquente, sur le modèle des geishas japonaises.

MC 7« Claude réglait toutes les factures, Dior, Vuitton, les coiffeurs, les médecins, et les filles devaient ensuite travailler pour la rembourser », explique Françoise Fabian qui a incarné la mère maquerelle en 1977. « C’était de la servitude sexuelle dans laquelle Claude prenait 30 % au passage. Elle aurait pris plus, mais elle disait que les filles l’auraient trahie si elle l’avait fait ». Souvent les filles qui échouent au Cour Florent, l’école des acteurs, atterrissent dans ses filets et on raconte dans certains milieux autorisés que telle ou telle fille d’acteur est passée dans le giron de Madame Claude.

La protection des secrets

Assez vite la réputation des filles de Madame Claude, qui ne manquent pas de culture ou de distinction et que l’on peut inviter au restaurant sans rougir inaugure une vision de la prostitution plus proche de l’escorting qui attire des hommes plus aisés, mais également plus proches des milieux du pouvoir. Ainsi les nombreuses confidences que Madame Claude entend, elle les note et s’en servira longtemps pour protéger ses intérêts. Les services secrets font partie de sa clientèle, et la brigade de répression du proxénétisme est régulièrement priée de regarder ailleurs, car elle fournit de nombreux services. Par ailleurs loin d’être une proxénète classique (elle n’a jamais fait l’objet d’une plainte de la part des personnes de son réseau), elle a souvent permis à celles qui l’ont quitté de le faire sans difficulté pour continuer une carrière d’actrice, de chef d’entreprise ou simplement une vie d’épouse d’un ancien client fortuné. C’est donc une personnalité complexe, ce qui lui permet d’échapper longtemps à la justice, mais finalement le destin se met lentement en branle.

MC 3L’État qui s’en mêle

Madame Claude devient riche, trop riche pour ne pas attirer l’attention. On estime qu’elle amassait ainsi 70000 francs par mois, en plus des avantages en natures, cadeaux, parfums, fourrures qu’un tel métier suppose. Madame Claude est poursuivie par le fisc, qui lui réclame 11 millions de francs, le président nouvellement élu, Valéry Giscard d’Estaing, entreprend de lutter plus fortement contre le proxénétisme, et aidé de son nouveau ministre de l’Intérieur Michel Poniatowski, il porte un coup dur à l’activité de Madame Claude.

MC 8La descente aux enfers ou le retour aux sources ?

Persuadée qu’il y a prescription en ce qui concerne ses ennuis fiscaux, elle revient en France, en 1985, est arrêtée et purge une peine de quatre mois de prison. À sa sortie de prison, elle tente de monter un nouveau réseau de prostitution. Poursuivie par la justice pour proxénétisme aggravé en 1992, elle est condamnée à six mois de prison ferme, trente mois avec sursis et un million de francs d’amende pour proxénétisme aggravé. Ayant fait appel, la chambre de la cour d’appel de Paris confirme la condamnation le 4 février 1993, à trois ans d’emprisonnement dont trente mois avec sursis, à cinq ans d’interdiction de séjour et autant de privation des droits civiques8. Elle est incarcérée ensuite à la Maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. Quand elle sera libérée elle rejoindra le sud, dans un petit appartement où elle finit ses jours pauvrement et loin de tous, un peu comme elle était née.

Qui étaient les clients de Madame Claude ?

Pas facile de savoir car Madame Claude gardait jalousement ses secrets et ses carnets d’adresse. On murmure néanmoins que différentes personnalités politiques auraient fait partie de sa clientèle, comme le président américain John F. Kennedy, Moshé Dayan ou le guide libyen Mouammar Kadhafi, mais aussi des célébrités du grand banditisme et de l’administration policière qui auraient assuré sa protection. Elle s’est liée avec des personnages d’origines les plus diverses, parmi lesquels Pierrot le Fou, Marlon Brando ou encore le neveu du roi Farouk, le milliardaire égyptien Ibrahimi.

Pigiste globe-trotter, essentiellement pour la presse américaine.

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