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Le porno est-il raciste ?

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« Latina », « Asian », « black », « ebony », ou « beurette » voire « blackette » dans la langue de Molière, les qualificatifs réducteurs ne manquent pas pour décrire scènes et acteurs dans les productions porno. À plus forte raison, le porno est-il discriminatoire ? Les tags « midget », « tranny » (argot dépréciatif désignant respectivement les personnes de petite taille et les personnes trans-genres), ou « BBW » (Big Beautiful Women) tendent à le démontrer.

Toutefois, il convient de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain et l’exemple des catégories porno nécessite d’être remis dans son contexte. La porn-culture telle qu’on la connaît aujourd’hui, c’est-à-dire basée sur une offre pléthorique, la plupart du temps consommée en streaming, est calquée sur le modèle d’exploitation de grands groupes américains spécialistes du référencement, comme MindGeek, propriétaire de Pornhub, Redtube, Youporn. De façon éminemment pragmatique (d’aucuns diraient cynique), pour juguler l’immense trafic de leurs sites avec l’offre colossale de produits, et aiguiller le plus efficacement possible le consommateur vers l’objet de son désir, ces groupes ont catalogué les fantasmes les plus courants : « big tits », « anal », « teen », etc. Et l’origine ethnique, ou du moins ses caractéristiques physiques supposées, est un fort catalyseur de fantasme. Ainsi, « Latina », « Asian », ou encore « beurette » se sont mis à côtoyer les fameux « lesbian », « double penetration » et autres « gangbang ».

Or, aux Etats-Unis, pays d’immigrés par excellence, où les seuls natifs sont les Amérindiens, plus ou moins marginalisés par la société, il est naturel de se réclamer de telles ou telles origines, communautés, quand en France, il y a une connotation réductrice à désigner quelqu’un par sa couleur de peau. En témoigne l’emploi parfaitement intégré du mot « interracial » : « interracial wedding », « interracial couple », quand nous autres français parlons pudiquement de mariage ou de couple « mixtes ». 

Là où le bât blesse, c’est dans les connotations attribuées à ces différentes catégories ethniques, les clichés attendus et les productions qui en découlent : les Asiatiques sont soumises et dociles, les Maghrébines pratiquent la sodomie, les noirs sont amateurs de gang-bangs (rapport aux ghettos), etc. Il n’y a, pour autant, pas de réel problème à éprouver une attirance sexuelle pour un groupe ethnique particulier, quand bien même elle serait héritée des pires clichés coloniaux. Après tout, personne ne choisit d’aimer le bondage ou le hentai à tentacule. Le fantasme n’a pas de valeur morale, puisqu’il n’est qu’un potentiel d’excitation, pas une vision consciente et raisonnée du monde. 

Le problème est du côté de la production, qui par facilité, réduit, non pas exclusivement (on trouve des contre-exemples) mais systématiquement, les acteurs racisés à l’expression des stéréotypes associés à leur ethnie. Et c’est précisément lorsqu’une représentation devient systématique qu’elle porte un propos sur le monde. L’imagerie post-coloniale, par exemple, n’est alors plus un fantasme de niche, mais devient un mode de représentation naturel car plébiscité de l’altérité. 

Le même problème a touché Hollywood, lors de la polémique sur l’absence d’acteurs noirs nommés aux Oscars. Outre la ségrégation de considérer qu’aucun acteur noir n’eut mérité la récompense cette année-là, ce fut l’absence de rôle d’envergure, proposé à des acteurs noirs sans raison ethnique, qui fut pointée du doigt. Dans le porno, très peu d’acteurs et d’actrices non blanc(he)s sont considérés pour leur talent de performeur plus que pour la couleur de leur peau.

On pourra rétorquer en prenant l’exemple de Manuel Wackenheim, personne de petite taille qui s’est longtemps battu pour la réhabilitation du lancer de nain en France, que dans notre société imparfaite, sans ces rôles stéréotypés, on n’aurait sans doute jamais laissé de place médiatique aux personnes stigmatisées, qu’elles le soient pour leur pigmentation ou leurs particularités physiques. Combien de carrières les productions DogFart ont-elles lancées ? Combien de récompenses ont remporté les acteurs de Blacked ?

Après tout, il est normal d’aimer se représenter en stéréotype, de se reconnaître dans une communauté même caricaturale, percluse de clichés. Car une communauté implique des semblables. Ce débat, ce choix, appartient justement aux communautés victimes de ce genre de stigmatisation, mais surtout aux individus qui les composent, individuellement : être reconnu pour ce qu’on est, en dépit d’une représentation stéréotypique ou voir sa différence être niée au profit d’un traitement égalitaire.

Pour conclure sur un parallèle approprié quoique plus neutre, on pourrait s’intéresser à la communauté des fans de musique métal. On pourrait constater que le métalleux, bien souvent chevelu et tatoué, apprécie de se retrouver une fois par an, parmi ses pairs tatoués et chevelus, pour se vautrer dans la boue du Hellfest en éructant la bière et les couplets de trash métal. Mais ce n’est pas pour autant que la société doit les bannir des concerts de Francis Cabrel, ou les dépeindre exclusivement en satanistes brûleurs de chapelles. C’est à l’individu que revient le choix de revendiquer ou non sa différence, de l’utiliser voire de la caricaturer.

Dans cette perspective, il serait temps que les productions porno renvoient à la marge fétichiste leur conception archaïque de l’altérité et cessent de caster leurs acteurs et leurs actrices exclusivement pour les connotations que véhiculent leurs physiques.

Titulaire d'une maîtrise en cinéma, auteur d'une Porn Study à l'Université Paris VII Diderot, Clint B. est aujourd'hui chroniqueur de l'actualité porno.

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