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[Critique ciné] L’amour est une fête, l’orgasme est une fin
1982. Jack Lang, alors Ministre de la culture, décide de faire le ménage dans le paysage cinématographique français et d’en finir définitivement avec le X, cette balafre obscène et avilissante dans notre beau cinéma d’auteur national. La loi X, promue par Giscard en 1974, autour de laquelle producteurs, exploitants et autorités s’accordaient jusqu’alors avec complaisance, est dorénavant appliquée stricto sensu. Taxation prohibitive des créateurs, exploitation en salle refusée, descente de police dans les cinémas clandestins, les pornographes sont harcelés, mis à bas. Avec eux, c’est le monde du charme à la française et de la nuit parisienne qui bascule, faisant peu à peu de Pigalle le tripot sordide et moribond que l’on connaît aujourd’hui.
C’est dans cette période charnière que L’amour est une fête, dernier long-métrage de Cédric Anger, situe son intrigue. Franck et Serge (respectivement Guillaume Canet et Gilles Lellouche), d’abord présentés comme les tenanciers du Mirodrome, un peep show qui peine à faire sa place dans ce quartier où, sous les néons, règnent la magouille et le racket, sont en réalité deux policiers de la brigade des mœurs, infiltrés dans le milieu afin d’y réaliser un coup de filet retentissant. L’arrestation d’un ponte de la luxure dans une affaire de grand banditisme serait en effet une aubaine pour l’Etat, qui aurait alors les coudées franches pour lancer sa grande croisade contre la grivoiserie. Malheureusement, tout n’est pas aussi simple…
À cheval entre film policier et comédie de mœurs, L’amour est une fête n’est jamais ni vraiment l’un ni vraiment l’autre, se révélant finalement en quête initiatique pour ses deux héros. Par pur calcul commercial, les infiltrés entreprennent de réaliser des « loops », ces clips explicites destinés à promouvoir les danseuses de leur cabaret coquin, afin de viabiliser leur affaire et de ferrer un gros poisson. Alors pris en tenaille entre leur sens du devoir et les obligations inhérentes à leur couverture, ils plongent un peu malgré eux au cœur du métier pornographique, et font la connaissance d’êtres aussi entiers qu’absurdes, aux préoccupations bien éloignées des enjeux de pouvoir qu’implique le business du sexe : des strip-teaseuses ingénues, un authentique étalon sexuel aussi niais que vilain, un hardeur obnubilé par ses partenaires, un réalisateur pointilleux, car expert dans son domaine marginal. Le caïd local lui-même, qui prend le Mirodrome sous sa coupe à grand renfort d’intimidations, est-il un parrain manipulateur ou un sex-gourou cocaïné ?
Avec sa photographie duveteuse et colorée, typique des productions érotiques de l’époque qu’il s’applique à retranscrire, le film parvient, non sans quelque maladresse, à brouiller les pistes, pour mieux révéler sa thèse. Flics et truands, pseudos d’actrices et alias d’agents doubles, miroirs sans tain et faux-semblants, dans un univers de duperie ordinaire, collective, le plaisir, lui, est toujours sincère. En vecteur primordial de plaisir, le sexe n’est alors plus un moyen parmi d’autres, une nouvelle magouille, un autre prétexte, mais une fin en soi. Et sa quête est peut-être la plus légitime de toutes.
Malgré une réalisation assez sage, aussi bien sur le plan formel que grivois (beaucoup de nichons, mais quand même assez peu de zézette), l’œuvre témoigne de ce bon vieux temps du porno où ses acteurs, qu’ils soient devant ou derrière la caméra, queutards invétérés ou esthètes de la bagatelle, petits exploitants cracra ou magnats du X, n’aspiraient qu’à la volupté. Si cet hédonisme post-« libération sexuelle » est sans doute plus fantasmé qu’avéré, il a le mérite de rappeler l’essence même de notre art. À l’heure où l’on place le porno au centre d’enjeux politiques, économiques et sociétaux qui le dépassent largement, cette forme d’expression devrait n’avoir qu’un seul but, qu’une seule vocation, procurer du plaisir à ceux qui le font et ceux qui le voient.
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