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La fronde des prisonniers de l’Iowa pour l’accès au porno !

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58 prisonniers du Fort Dodge Correctional Facility, dans l’Iowa traînent leur état en justice, pour les avoir privés d’accès à la pornographie à la faveur d’un changement de législation survenu en début d’année. En outre, ils réclament individuellement 25 000 dollars de dommages et intérêts pour le préjudice subi. Mais surtout, ils soulèvent quelques questions que le législateur américain n’a sans doute pas franchement envie de se poser : le porno est-il un droit constitutionnel ? Peut-on alors en priver les prisonniers ?

Une situation aussi ubuesque n’est évidemment pas le fruit d’un heureux hasard, mais résulte de circonstances exceptionnelles de longues dates sur lesquelles il est important de revenir. En 1988, estimant que les lois des prisons d’état concernant la pornographie étaient, du point de vue constitutionnel, aussi vagues qu’excessives, le Juge en Chef de la Cour Fédérale du District, Harold Vietor, instaure un nouveau système dans les prisons de l’Iowa. Jusqu’en 2017, ces pénitenciers disposaient de salles dédiées à la consultation de matériel pornographique, sur papier. Pour éviter tout débordement, les détenus devaient se référer au documentaliste avant chaque consultation, et rendre au surveillant chaque brochure consultée à la fin de la séance, brochures que ce dernier inspectait scrupuleusement à la recherche de pages manquantes et/ou de tentatives de contrebandes.

Lors de la révision des lois budgétaires des prisons de L’Iowa de 2018, un amendement a été subrepticement glissé au milieu de ce fatras législatif ; un amendement qui abolit les fameuses « pornography reading rooms ». Un débat éclate malgré tout, très vite éteint par les arguments du promoteur de l’amendement, Michael Savala, conseiller général du système carcéral de l’Iowa.

De un, « le département estime réellement que le fait que des détenus aient accès à ce genre de matériel ne tend pas vers une conscience et un comportement favorable à la société, notre responsabilité étant de changer l’état d’esprit des criminels vers un réintégration à la communauté. » Un argument en lui-même douteux, d’ailleurs empreint de supputation, comme en témoigne l’emploi du verbe « estimer » (« feel » en anglais). Aucune corrélation entre consommation de pornographie et comportement anti-social n’a jamais pu être établie scientifiquement, quel que soit le pays, les mœurs ou le contexte.

De deux, il est inconcevable que l’argent du contribuable puisse servir à acheter des revues porno pour les détenus. Ce raisonnement renvoie directement à la question des agréments de confort mis à disposition des personnes incarcérées ; un débat proprement insoluble puisqu’il s’applique à l’achat aussi bien des revues polissonnes que du matériel de sport ou des oreillers. Où et comment fixe-t-on une limite juridique ?

De trois, cette législation « reflète une politique déjà en vigueur au Bureau Fédéral des prisons » (qui, lui, gère les prisons « fédérales »). Cette dernière justification est au fond parfaitement recevable, si ce n’est que la logique d’uniformisation pose généralement beaucoup moins de problèmes éthiques lorsqu’il s’agit d’offrir de nouveaux droits à des citoyens que lorsqu’il s’agit d’en enlever.

Enfin le conseiller général argue de l’important coût matériel et humain d’un tel privilège et ce, sans compter le malaise des gardiennes de prisons confrontées audit matériel pornographique.

Cette défense, qui pour l’essentiel réduit le droit à une certaine conception de la morale, semblait parfaitement satisfaisante aux yeux de Michael Savala, qui la jugeait « apte à résister à une mise à l’épreuve lors d’un procès ». Un postulat qu’il aura tout le loisir de démontrer, puisqu’il n’aura pas fallu un an pour qu’un collectif de prisonniers saisisse la justice. Autant dire qu’il ne faudra pas se foirer, parce qu’à 25 000 balles de dommages et intérêts par tête de pipe en cas de défaite, le contribuable risque de regretter l’abonnement annuel à Playboy qu’il concédait à la prison de Fort Dodge.

Surtout, le jugement a de grandes chances de faire jurisprudence, une articulation essentielle du droit américain. Depuis 1973 et le test de Miller, la loi américaine concernant l’obscénité (et donc son pendant sexuel, la pornographie) est dans une forme de statu quo auquel personne n’a franchement envie de toucher. Pour pouvoir interdire le porno dans les prisons de manière constitutionnellement acceptable, il faut donc le frapper d’obscénité. Or d’après le fameux test de Miller, une œuvre est jugée obscène si le citoyen moyen, au regard des standards de sa communauté, y trouve un attrait lubrique ; et que l’œuvre soit explicitement offensante ainsi que dépourvue de valeur littéraire, artistique, politique ou scientifique. Outre les habituelles « valeurs de rachat » commune à la plupart des législation moderne sur la pornographie, la cour de justice de l’Iowa devra donc statuer sur « les standards actuels de sa communauté » en matière de lubricité ; une communauté qui, comme toutes les autres, est en mesure de consulter les pires bukkakes sadomasochiste sur internet, et ne s’en prive sans doute pas. Autant dire qu’entériner l’interdiction du dernier numéro de Penthouse dans la taule du coin s’annonce coton…

Titulaire d'une maîtrise en cinéma, auteur d'une Porn Study à l'Université Paris VII Diderot, Clint B. est aujourd'hui chroniqueur de l'actualité porno.

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