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Rayon X, retour sur les années VHS avec Guillaume Le Disez
Rayon X, c’est une anthologie des plus belles, des plus absurdes, des plus incroyables jaquettes de VHS porno des années 80, à paraître très prochainement. C’est que la cassette n’est pas simplement cette technologie, ancêtre du Blu-Ray, depuis longtemps dépassée, c’est le témoin d’une époque, dont l’essor a joué un rôle essentiel dans la démocratisation du X. Et Claude Gaillard comme Guillaume Le Disez, auteurs de l’opus, espèrent bien mobiliser le plus grand nombre, pornophiles avertis ou simple curieux, autour de ce pan assez dingue de notre histoire. À l’occasion du lancement de leur campagne de financement participatif, nous nous sommes entretenus avec Guillaume Le Disez, pour ce qui ne devait être qu’une simple interview de présentation. Seulement voilà, l’homme étant aussi pertinent qu’intarissable, il nous replonge directement dans l’irrépressible ferveur porno des années 80. Rembobinage.
Bonjour, Guillaume Le Disez. Avant toutes choses, je tenais à dire que, n’ayant pas connu l’époque bénie des vidéo-clubs et des cassettes porno, je suis très content de découvrir qu’un livre revient sur cette période.
Depuis qu’on a lancé la campagne, on remarque justement que des gens qui n’ont pas connu la VHS s’intéressent au projet. On est très contents de ne pas avoir que des mecs de nos âges, la quarantaine bien tapée, qui réagissent bien au truc. Parce qu’effectivement, il y a une expérience associée au fait d’aller dans un endroit où on allait chercher ces films, qui suscite l’intérêt, même si on ne l’a pas connu. C’est en complet décalage avec ce qu’on vit aujourd’hui par rapport à la pornographie.
Peux-tu nous parler du projet Rayon X ?
Rayon X, c’est un projet qu’on écrit à 4 mains avec Claude Gaillard qui a déjà écrit plusieurs livres sur le cinéma de genre et notamment un livre sur les parodies porno, Les Pires parodies X sont souvent les meilleures. Claude, c’est le collectionneur de nous deux, celui qui a une masse de documents, photos affiches, assez invraisemblable. Pour le livre qu’il a écrit, il a collecté des centaines de visuels et de jaquettes de parodies porno qui est un genre très parlant, très évocateur. Il a un goût prononcé pour les jaquettes depuis des années. Ça faisait longtemps qu’il réfléchissait à faire quelque chose autour de ces jaquettes, qui correspondent à un moment assez particulier ; le moment où le porno a vraiment commencé à déferler dans les foyers. Quand il a commencé à m’en parler, ça a fait écho à tout un travail que j’ai fait autour du cinéma porno en 35mm des années 70, que j’ai beaucoup étudié en faisant mon livre sur la carrière de Brigitte Lahaie, Brigitte Lahaie les films de culte ; Brigitte Lahaie qui a fait une très courte carrière dans le X, avant la vidéo. Elle n’a jamais fait que du cinéma. On a tout de suite eu envie de travailler là-dessus. Moi, ça me permettait de continuer à raconter cette histoire qui avait commencé avec l’arrivée du porno dans les cinémas au milieu des années 70. Lorsque Brigitte arrête le porno, c’est le moment où commence la vidéo. Cela étant, sa notoriété, comme celle de beaucoup d’actrices mythiques de l’époque, est beaucoup passée par la vidéo, parce que la vidéo a rendu tous ses films beaucoup plus accessibles. Pour Claude, ça permettait de développer cet intérêt pour le matériel de communication tel qu’il se mettait en place à l’époque.
En quoi le communication autour du porno était-elle différente ?
On apprenait à communiquer sur le porno. Jusque-là, au tout début des années 80, à l’apparition de la vidéo, on n’avait pas le droit de faire de communication visuelle sur le porno en France. La loi X interdisait qu’on utilise des photos sur les affiches de films. On utilisait des affiches typographiques ; ces affiches colorées où l’on écrivait simplement le titre de film dans en très gros avec une police tape-à l’œil. Le producteur Francis Mischkind (patron d’Alpha France qui a produit toute la filmographie de Brigitte Lahaie, ndlr), m’a d’ailleurs confié qu’il s’était déjà retrouvé en garde à vue pour indécence sur la voie publique à cause de l’affiche d’un film qui s’appelait Entre-cuisses, où il y avait simplement le dessin d’une paire de fesses très, très suggérée.
Quand la vidéo arrive, il se passe quelque chose d’inédit. C’est l’apparition du mur de cassettes, où tous les films sont en concurrence les uns avec les autres alors que dans les cinémas, il y avait au maximum quatre films à l’affiche, et encore, dans les cinémas spécialisés. Souvent même ce qu’il se passait plutôt, c’est que le film de cul, il était diffusé dans un cinéma de province, à minuit, le samedi soir, quand les couples encanaillés avaient fait garder les enfants. Là, c’est vraiment nouveau. C’est la foire au porno qui commence, le début de l’abondance.
C’est aussi un marché qui s’organise avec des films qui sont mis en concurrence les uns avec les autres pour se faire louer. Un film qui se loue, c’est un film qui rapporte plus, qui va permettre à l’éditeur de continuer de produire des cassettes. Elles coûtaient très cher à l’époque. Une cassette de vidéo-club, avec des droits locatifs, ça valait plus de 600 francs, 90 euros, jusqu’à la fin des années 80. Le marché de la vidéo se met en place avec une expérimentation permanente sur comment on va donner envie au gens de choisir ce film-là plutôt qu’un autre. Ce n’est pas le tout de faire un beau visuel qui donne envie. Il faut en plus qu’il se distingue de celui de la cassette qui est juste à côté. Les éditeurs, les maquettistes, les publicistes expérimentent jour après jour. Certains adoptent des lignes qu’ils vont réussir à maintenir sur la durée, à se créer une identité graphique, une marque. Il y en a qui vont faire n’importe quoi, qui achètent des titres américains ou des films qui viennent de n’importe où et qui les re-titrent sauvagement. Il y en a qui mettent des actrices qui ne sont pas dans le film sur les jaquettes. Une espèce de Far West se met en place. C’est une expérience que la nouvelle génération n’a pas connu, question d’âge.
Tu peux nous raconter ?
Mettez-vous en situation. Vous allez au rayon porno du vidéo-club, pas seul, généralement avec des copains. Ça paraît assez dingue aujourd’hui, mais à l’époque, on regardait du porno à plusieurs. On est un petit peu trop jeune, mais le gérant n’est pas hyper-regardant, parce qu’il faut que ça tourne. Il n’y a pas de contrôle d’identité, au contraire des salles de ciné, qui étaient plus rigoureuses. Donc on va au vidéo-club à deux ou trois, avec une certaine appréhension, parce qu’on se dit qu’on n’a pas vraiment le droit d’être dans ce rayon, on choisit un film en chuchotant : « Nan, mais t’as vu, celui-là a l’air trop bien ! », « Celui-ci a l’air super ! » Puis, on ramène la cassette en loucedé pour ne pas se faire choper par les parents. Et on attend le moment où les parents sont partis, ou on va chez celui chez qui les parents ne sont pas là. Ou bien on va chez celui dont les parents sont extrêmement libéraux et qui laissent leurs enfants regarder du porno à 15 ans. Ça existait aussi. Et là, on découvre ce qu’on a fantasmé depuis l’après-midi. Alors, parfois, la promesse est tenue, parfois elle ne l’est pas du tout, mais bon on ne va pas se plaindre.
Le désir, l’expérience, le souvenir entre amis est plus fort que le film en lui-même.
Exactement. Et puis, on ne va pas râler. On n’ose pas aller râler. On n’a pas de raison d’en vouloir au gérant du vidéo-club, d’autant qu’il est parfois de bon conseil. Mais oui, c’est ça, c’est une expérience qui a lieu à plusieurs, ce n’est pas encore une expérience qui est aussi solitaire que celle de la consommation actuelle de porno. Il y a une espèce d’appel d’air, pour les gens de notre génération, que les « choses de la vie » commencent à travailler. C’est l’âge qui fait que ça travaille et qu’on a envie de voir des filles à poil, du sexe. On apprend aussi comme ça, à plusieurs. Il y a une forme d’inconscience ou d’innocence vis-à-vis du porno. C’est un loisir pratiquement comme un autre. Bon, on sait bien qu’on n’a pas vraiment le droit de le faire. Mais c’était moins…
… clivant ?
Eh bah, paradoxalement, on consomme peut-être moins de porno qu’aujourd’hui, parce que je pense qu’on n’en a jamais consommé autant que depuis internet. Mais c’est moins honteux. Il y a évidemment des gens que ça choque, mais pas tant que ça. On en parle vachement. Les actrices sont souvent invitées sur les plateaux, chez Ardisson, par exemple. Alpha France sponsorise une bagnole sur le rallye de Monte Carlo ; une bagnole avec « les films X dont on parle » marqué dessus, à Monte Carlo, en 83 ! Il n’y a pas encore eu le retour de bâton. Il y a une forme d’innocence. C’est nouveau, ça déferle, c’est social, ce qui marque bien le contraste par rapport à aujourd’hui. Enormément de gens regarde du porno. Beaucoup s’équipent en magnétoscope, aussi pour en voir. En même temps, ce n’est pas encore un marché bien organisé comme il le sera à partir des années 90. Après, par contre, on va avoir un marché du X beaucoup plus « à l’américaine », beaucoup plus professionnel, peut-être aussi un peu moins authentique. Les actrices vont apprendre à contrôler leur image, à faire de bonnes interviews et signer des contrats sous exclusivité. Ce sera le grand règne de Dorcel ; un porno qui est un peu moins naturel, plus marketé, mieux marketé. Et qui donnera lieu à un affect qui est un peu différent. Beaucoup de notre génération préfèrent les premières années de Dorcel, aux années 90 où le porno va commencer à s’afficher à Cannes avec les Hots d’Or et où de vrais stars vont émerger. C’est un porno qui est déjà proche de la fin du marché vidéo. Après, Internet arrivera très, très vite et aura des conséquences hyper-rapidement. Le porno changera de statut. Ce sera aussi la fin d’une expérience liée au porno, où il y a un objet qu’on manipule, qu’on s’échange, qu’on transfert. Un objet qu’on attend.
DVD, T-shirts, VHS, livre au papier glacé et à la couverture rigide ; dans les contreparties que vous proposez pour le financement participatif, on sent un vrai culte de l’objet, du matériel. Ça fait partie de votre rapport au porno ?
Ça en fait complètement parti. Il est matérialisé, le porno. Ça veut dire aussi qu’il y a un décalage entre le moment où l’on choisit son film et le moment où on le regarde. Et ce déphasage se cristallise sur l’objet lui-même. L’objet contient du fantasme auquel on n’a pas encore accédé. Et c’est pour ça que c’est forcément un peu fétichiste. Les objets qu’on inclut dans les lots, ils traduisent aussi ça. On a voulu faire un beau livre avec une belle couverture, pas un fascicule. Les jaquettes qu’on reproduit à l’intérieur sont le plus proche possible de ce qu’on a pu recevoir de la part des éditeurs. On a aussi des jaquettes scannées en l’état, abimées, telles qu’elles étaient présentées sur les étalages. On replonge effectivement dans une époque où il y avait ce partage par les objets, qui n’étaient pas des produits dérivés comme les sont aujourd’hui les T-shirts Jacquie et Michel, qui sont rigolos à porter mais qui sont périphériques. La cassette contenait le porno. Vous aviez le sexe dans votre main ! Aujourd’hui, ça blase tout le monde d’avoir du porn à portée de smartphone. Mais à l’époque, dans un boitier de plastique un peu moche et pas très pratique à transporter, on avait la promesse de voir la très belle femme qu’il y avait sur la couverture faire tous les trucs dingues qui étaient marqués au dos de la jaquette.
C’était le coffre au trésor, la boîte de Pandore…
À chaque fois ! Le trésor c’était souvent qu’elle allait faire une fellation, une sodomie puis une scène entre filles, c’était insensé. Aujourd’hui, avec les tags, ça parait désuet. On se contentait de ça parce que c’était comme ça qu’on y accédait. Cette expérience qu’il y avait autour, elle se matérialisait aussi dans les jaquettes. C’est pour ça qu’on a voulu mettre énormément de jaquettes dans le livre. On veut montrer aussi que, des fois, les jaquettes sont belles, mais parfois, elles ne sont pas belles du tout. On se demande comment les éditeurs espéraient vendre un film avec des trucs pareils, mal faits, mal découpés, mal détourés, avec des slogan hyper-approximatifs, des fautes d’orthographe. Ça fait parti de ce qu’il y a de folklo dans cette époque-là.
II y avait des mauvaises surprises, mais y avait-il des bonnes surprises ? Des jaquettes pourries avec des très bons films, des promesses plus que tenues dedans ?
Il y avait toute une époque où les personnalités aujourd’hui considérées comme des stars, comme Brigitte Lahaie ou Marilyn Jess, n’étaient pas mentionnées. Brigitte Lahaie n’est devenue vraiment très célèbre que des années après avoir quitté le porno. Du coup, pour toute la première génération de cassettes, de 81 à 83, elle n’est pas sur la jaquette. Parce que dans les cinéma, il n’y avait pas de noms sur les affiches. Et donc il n’y avait pas encore de stars qui émergeaient. Les films ont été ré-édités par la suite, avec elle en star. On trouvait aussi des grands films américains, des chefs d’œuvres qui étaient sortis sous des titres à moitié francisé, franchouillards, alors qu’en fait, à l’intérieur, on pouvait découvrir Traci Lords.
C’est d’ailleurs pour ça que sur les affiches cinéma de l’époque, Brigitte Lahaie n’est pas citée, alors même qu’elle apparaît en taille réelle sur la photo, non ?
Là, on est exactement dans cette période où l’étau se desserre pour les exploitants de cinéma, qui saturent des affiches typographiques et se mettent à montrer des filles. C’est une période qui ne dure pas très longtemps, maximum deux ans, avant le retour de bâton.
Sous Jack Lang…
Exactement. Paradoxalement, le porno a été libéralisé en salle sous Giscard et c’est lorsque Mitterand et Lang sont arrivés au pouvoir que la « morale » s’est ré-imposée. En même temps, les pornocrates étaient plutôt gaullistes. Ils n’étaient pas de gauche, les gens du porno. C’est aussi pour ça qu’il ne leur a pas été fait de cadeaux. Il y a des réalisateurs comme jean-François Davy, comme Francis Mischkind, qui ont fait l’objet d’une chasse aux sorcières de la part des autorités, sous Jack Lang.
C’est tout le propos de L’Amour est une fête. Christophe Bier l’explique très bien. Si la loi X de 75 a stigmatisé le porno, a mis une croix infamante dessus, ce n’est que sous Mitterand qu’elle a été réellement appliquée.
Il y a eu un jeu de dupe entre 75 et 81, où on tolérait. Ça rapportait tellement d’argent. La billetterie des cinémas porno rapportait tellement de pognon, les billets était plus chers, plus taxés. C’était hyper-rentable donc on laissait faire. Quand il y a eu la gauche, ils ont décidé de sévir. Et ça a eu lieu exactement au moment où la vidéo émergeait. Du coup, ça a été totalement vain, puisque l’audience s’est reportée sur les cassettes. Et ça a même encouragé la vidéo. Il devenait encore plus embarrassant d’aller au cinéma voir des films porno ; sachant qu’en plus, il fallait avoir 18 ans. Et c’était surveillé ! Le porno a été plus stigmatisé en salle au moment où il n’avait jamais été aussi accessible grâce à la VHS. C’est donc devenu une espèce de loisir national. Jamais autant de gens n’avait consommé autant de porno en France, dans toute l’histoire de l’humanité. Ça fait partie de l’histoire de la culture porno.
C’est un peu la grande fête du porno, avant la transition vers des jours plus sombres, avec Internet et une sorte de nouveau tabou.
C’est ça ! Bizarrement, quand ça devient encore plus facile, quand il y a encore moins de barrières à l’entrée, on s’en cache encore plus. On comprend donc très bien la nostalgie qu’ont certains pour cette époque très libérée à propos du X. On fait un livre à ce sujet. C’était moins la honte. On en parlait vachement plus, dans les médias, à la télé. Il n’y avait pas une émission d’Ardisson sans qu’il soit question de porno. Le porno n’était pas le même, c’est une chose, mais on est dans un vrai paradoxe historique ; que le fait d’avoir vécu cette période ne nous rend pas plus apte à comprendre, mais qui le souligne d’autant plus. Malgré la facilité d’accès, l’usage extrêmement intensif du porno de la part de plein de gens, sans doute même de la part de beaucoup plus de gens qu’avant, on n’en a jamais aussi peu parlé.
Une sorte de retour à l’ordre moral, selon toi ? Ou quelque chose de plus complexe qu’un simple réflexe puritain ?
Je pense qu’il y a des aspects moraux promus par la moralité induite par Facebook ou les grandes plateformes sociales. Je pense aussi que si c’était aussi évident à l’époque, c’est qu’il y avait une place économique moins compliquée qu’aujourd’hui pour le porno. La mutation des sept-huit dernières années a engendré une destruction pure et simple de valeur. Si le porno avait un poids économique plus en accord avec ce qu’il représente en usage, ce serait moins la honte. La morale d’une plateforme comme Facebook s’amenderait sans complexe si le porno pesait économiquement les 25% qu’il pèse en trafic mondial, et si des entreprises hyper-problématiques dans leur gestion, comme Mindgeek avaient un chiffre d’affaire proportionnel au trafic qu’elles génèrent. Mindgeek est valorisée à seulement 80 millions de dollars, c’est ridicule.
À mon avis, il y a donc un aspect moral qui est très net, mais il y a aussi une dimension économique. Par contraste, le marché de la vidéo dans les années 80 représentait quelque chose comme 2 milliards, en euro constant, et la location pesait pour un tiers, tranquillement, soit 600 à 900 millions d’euros. Donc la question de la moralité ne se posait pas de la même manière. Ça représentait du chiffre d’affaires pour tout le monde. Les vidéo-clubs, c’était leur fond de commerce. Puis, il y avait le début du minitel rose, les CD-ROM interactifs, les CD vidéos. Le multimédia a été vachement boosté par le cul. Il y avait une importance économique du sexe au sens large et de la pornographie qui mettait tout le monde beaucoup plus à l’aise. Quand ça générait du boulot, quand ça faisait vivre tout un secteur d’activité émergent, qui créait des emplois, ça contentait tout le monde. Les gérants de vidéo-clubs roulaient en Porsche. Il s’en ouvrait partout, c’était très vite rentabilisé. On a voulu faire ressortir aussi ce contraste-là dans Rayon X. Si on y interroge des distributeurs, des éditeurs, des exploitants de vidéo-club, c’est justement pour illustrer ce poids économique.
Dans le livre, c’est donc ce tissu professionnel autour du X que vous décrivez ?
On s’est essentiellement placé du côté du marché, du réseau de distribution et des consommateurs, beaucoup plus que du côté des films eux-mêmes. On n’est pas dans une considération esthétique, cinématographique. En revanche, on interroge la manière dont on faisait des promesses aux clients à travers les jaquettes que l’on a sélectionnées. Ce qu’il y a de plus porno dans le bouquin, c’est finalement le dos des jaquettes qu’on reproduit dedans.
La nouvelle génération n’a même pas connu la VHS. Tu aurais un souvenir de vidéo-club à partager, pour lui donner une idée de ce que c’était de louer un film porno ?
Le souvenir que beaucoup de gens ont, c’est celui du rideau de perle qui était présent dans tous les vidéo-clubs, avec à côté un petit avertissement « réservé aux grandes personnes ». Il y avait une démarcation symbolique de l’arrière du vidéo-club où il ne fallait pas aller. Claude, qui est d’Ardèche, et moi, qui vivait en région parisienne, avons tous les deux ce souvenir de traverser ce rideau de perle. C’était ce moment où on ne se faisait pas rattraper par le vendeur, qui souvent n’était pas beaucoup plus vieux que nous. Le moment où l’on avait droit de pénétrer dans ce rayon et où le fantasme commençait, alors qu’on avait pas encore eu une seule image à se mettre sous les yeux. Dans l’expérience de l’époque, il y avait le fait d’attendre avant de voir son porno, ce que les générations d’aujourd’hui ne connaissent pas.
D’attendre donc y compris du point de vue de l’âge, d’être suffisamment vieux pour faire douter le gérant, donc…
C’est ça. C’était une attente à tiroir, une succession d’attentes qui donnait l’impression de l’avoir mérité, sa VHS, malgré sa définition douteuse, malgré le fait qu’elle pouvait avoir déjà satisfait beaucoup de clients avant nous, malgré les doublages hyper-aléatoires, délirants, traduits à la volée ou carrément ré-écrits. Des fois, on voyait des spectacles totalement incohérents, avec une histoire racontée en voix off qui n’était pas la même que ce qu’il se passait à l’écran.
*j’évoque alors le dialogue cultissime de Maîtresses très particulières*
Voilà ! On tombait sur des trucs comme ça, et on n’était pas prévenu. C’étaient des mecs qui s’étaient éclatés au doublage. Et nous, on mettait le film avec deux-trois copains, plein d’appréhension, parce qu’on avait quand même peur de se faire choper, et on tombait sur un truc de ce type-là. Ce n’était pas vraiment pour ça qu’on avait choisi la cassette, donc on vivait des expériences hyper-contrastées, on rigolait, on était émoustillé. Par rapport à aujourd’hui, où sur les tubes on tombe immédiatement sur ce qu’on cherche, ce n’était pas l’efficacité qui caractérisait l’expérience du visionnage de VHS. On ne regardait pas forcément tout, mais on se laissait emmener. C’était un ride. On serrait les fesses quand on allait chercher la cassette et on ne savait jamais sur quoi on allait tomber.
Il y avait toujours des surprises ?
Parfois, on tombait sur des trucs qui n’étaient pas marqués sur la jaquette. On voyait aussi des choses qu’on n’avait pas voulu voir, des trucs hyper-crades, sans aucun avertissement. Je me souviens d’une cassette que j’avais louée, où l’argument de vente était « le porno comme seuls les Allemands savent le faire ». On a compris qu’après ce que ça voulait dire. Les Allemands, ils faisaient de l’uro, c’était ça leur truc. Ça nous a tellement scotchés qu’on en a parlé à tout le monde. Pendant un mois, la cassette n’a pas dû revenir sur l’étalage. Tout le monde voulait voir ça. On n’avait jamais entendu parler de ça, qu’on pouvait se pisser dans la bouche. Personne ne nous l’avait dit ! « Deutsche Qualität », bin merci, hein…
Il y a un film de l’époque qui t’a hanté, dans le bon sens du terme, cette fois-ci ?
Les films dont je me souviens le mieux, je crois que ce sont les films Canal+, parce qu’on les voyait à plusieurs, que tout le monde les voyait et qu’on en parlait après. Alors forcément, il y a les films avec Brigitte. Ce n’est pas pour rien si trente ans plus tard, j’ai fait un bouquin autour de sa carrière. C’est qu’ils m’avaient vachement impressionnés. Les acteurs étaient beaux, ils avaient l’air de s’éclater. C’était super de découvrir le sexe comme ça, de découvrir le porno avec des gens qui faisaient du cul comme s’ils faisaient la fête, en n’ayant rien à foutre des conséquences. Puis, il y avait les films avec Marilyn Jess. Le premier film que j’ai vu avec elle, ça devait être sur Canal, c’était Sens Interdits. Il y a eu ensuite la découverte du X américain. Et là, c’était carrément exotique. Les filles avaient des marques de bronzage, elles commençaient déjà à avoir des faux seins, portaient des brushings invraisemblables. Et puis les couleurs étaient super-saturés, notamment à cause de la conversion NTSC/PAL. Les films étaient plus colorés que ce qu’on n’avait jamais vu. Quand on découvrait les pornos américains avec Traci Lords, comme Love Bites -dont on a mis la jaquette dans le livre-, ouais, on en prenait plein la gueule.
Le fantasme était encore très timide, très bon enfant, à l’époque, non ?
C’est vrai que tant c’était encore du cinéma, c’était assez classieux. Les films étaient faits pour être vus dans des salles, devant un public qui se tenait relativement bien. Quand il y a eu la VHS, il y a eu une certaine escalade. Les premiers films de John Love, le pseudonyme qu’utilisait Alain Payet pour faire du hard-crade, c’était tout de suite moins « prestige ». On a mis la jaquette d’Enculostop dans Rayon X. C’est un porno pour routier, quoi. « Passez votre permis à pine », disait la jaquette. On a vu que le fantasme de l’inaccessible n’était pas le seul à être cultivé. On s’est mis à faire des films très next door, jusqu’à ce qu’on arrive à Laetitia (pionnière du porno amateur français, ndlr). Ça a aussi fait arriver dans le porno des corps qu’on ne voyait pas.
Des gens qui n’auraient pas forcément eu « un physique de cinéma »…
Des gens qui n’auraient pas eu un physique pour Dorcel, ça, c’est clair. Et ça continue a existé aujourd’hui, il continue à y avoir un porno à deux vitesses. Le label Jacquie & Michel Elite montre bien qu’il y a deux porno, un porno glamour avec des gens beaux, et puis un porno avec les autres gens.
On a beau faire toute une histoire sur le porno chic, il n’est pas particulièrement plus populaire que le porno amateur. Au contraire, même.
Je pense qu’il est plus présentable, c’est sûr. Mais je ne pense pas qu’il soit plus populaire. Ce n’est pas un match de popularité. Ou alors, il ne faudrait pas que Dorcel s’en remette exclusivement au public pour déterminer s’ils sont plus populaires à l’applaudimètre que le porno amateur. Ils ne partent pas gagnant. Après, Dorcel a une esthétique qui s’est imposée, qui s’est diffusée au sein de la société. Vous prenez le Bachelor, ça à l’air d’être le début de la scène de partouze dans un Dorcel.
La VHS a aussi complètement changé les frontières de ce qui était à la marge et de ce qui ne l’était pas. Elle a permis au gens de réaliser des fantasmes durables, qui ont fait émerger des pans de la production et qui ont changé la sexualité de tout un tas de gens. Tout le monde avait accès aux video-clubs. Il y avait les gros éditeurs -on en interroge d’ailleurs dans le livre- qui n’ont pas eu les mêmes parcours : Francis Mischkind, pour qui ça a été très difficile de passer à la vidéo car il était encore très lié aux salles, qui ont une économie différente ; Marc Dorcel, pour qui ça s’est fait de façon très harmonieuse car il éditait auparavant des romans-photos porno, et qui a réussi a imposé son image parce que sa société était la mieux placée pour profiter de l’explosion de la VHS. Lorsque Canal+ s’est mis à nouer des partenariats au long cours, c’était impossible de ne pas passer par lui si l’on voulait des bons films de qualité.
Il y avait aussi quelques francs-tireurs qu’on retrouve dans Rayon X, des gens qui avait des marques pas connues, à la marge, et qui réussissaient parfois à cartonner dans en vidéo-club. Mais cartonner de chez cartonner. Certaines cassettes se vendaient en milliers voire en dizaines de milliers d’exemplaires.
Ça a été complexe de réunir le matériel, les intervenants autour de ce projet ?
Dans l’ensemble, non. D’abord parce que nous avions déjà pas mal de matériel en amont, puisque ce sont des sujets sur lesquels nous travaillions chacun de notre côté depuis longtemps. Le problème est plutôt qu’on a plus de jaquettes qu’on ne sera jamais capable d’en reproduire. Du côté des intervenants, non plus. Les gens qui ont connu cette époque, c’étaient des gros bonnets ; ils en parlent volontiers. Bien sûr, il y a bien le gérant d’un des derniers vidéo-clubs historiques de Paris qui a d’abord refusé, parce que sa clientèle d’aujourd’hui est plutôt familiale. Mais il nous a rappelé deux jours plus tard pour nous inviter, parce que ses vendeurs trouvaient ça hyper-cool, alors qu’ils étaient trop jeunes pour avoir connu ça à l’époque. On est dans quelque chose de ludique. D’ailleurs, nos T-shirts ont leur petit succès.
Je t’avoue que je vais sans doute craquer moi aussi pour les T-shirts et les inédits de Brigitte Lahaie.
Alors, en plus, je ne l’ai pas encore dit, mais les deux inédits, on va les faire dans un boitier au format VHS.
Ouh, attention !
Dedans, il y aura un calendrier vintage de Brigitte Lahaie, Le Bijou d’amour et Touchez pas au Zizi avec en bonus la version VHS Vision de Touchez pas au Zizi qui a été renommée. Le film est de 1978 et quand il est ressorti en VHS en 85, l’éditeur l’a re-titré l’Exécutrix, en faisant croire que c’était une version porno de l’Exécutrice (film non-pornographique avec Brigitte Lahaie, ndlr), avec une fausse jaquette mal dessinée qui rappelle celle du film original et des inserts porno à la hussarde, avec d’autres acteurs qui ne sont pas dans le film. J’ai récupéré les bobines au laboratoire, il y en une qui s’appelle « raccord pipe » et qui a du servir dans plein d’autres films.
Le pur collector, le culte de l’objet qui revient en force.
Exactement. Même si vous ne regardez pas les films, vous avez un objet qui vous fait marrer. Il nous fait marrer, en tout cas. C’est aussi pour ça qu’on monte ce projet. Il y a eu des bouquins sur le porno. Des bouquins assez sérieux, un peu chiants, pour rendre le sujet respectable. Je pense notamment au Cinéma X, rédigé sous la direction de Jacques Zimmer, qui est un bouquin que je n’aime pas du tout, parce que je ne comprends même plus de quoi il parle tellement il fait de distanciation. Alors que l’histoire du porno, c’est aussi l’histoire de l’expérience que les gens ont. Il y a quelque chose de l’ordre du contre-sens dans le fait de tout intellectualiser sur le porno. Et puis, nous n’avons pas cette prétention-là non plus. On veut aussi que ça reste fun et sexy.
Un objet « pop » en quelque sorte ? Vous n’avez pas la prétention de rendre le sujet sérieux et solennel…
On passerait à côté de ce que c’était à l’époque, quelque chose d’hyper-casual. Tout le monde était très détendu quand même. Vraiment !
Vous vouliez saisir la décontraction d’une époque vis-à-vis du X ?
La décontraction d’une époque qui est assez loin de nous pour qu’on en rie et, en même temps, pas tant que ça. Une période pas si loin que ça non plus. Parce qu’à partir du moment où les gens commencent à se mettre tout nus, ça réduit les différences. Les gens très beaux qu’il y a dans le porno haut de gamme aujourd’hui, on peut s’en sentir moins proche que des corps moins normés qu’il y avait dans les années 80. C’est toujours bien de se rappeler d’où on vient, par où on est passé, de la manière qu’on a eu, de façon collective ou déléguée, de mettre en scène ce qui nous faisait délirer sexuellement. N’oublions jamais ! N’oublions jamais qu’il y a aussi une histoire de ça. C’est pour aussi que ça nous intéresse, avec Claude, de parler de porno comme d’un objet de culture populaire dont on est partie prenante.
Je pense qu’on tient le mot de la fin de cette interview…
Qui va être trop longue. Je parle beaucoup.
Au contraire, c’était passionnant. Merci beaucoup Guillaume Le Disez.
Contribuez vous aussi au projet Rayon X, sur Kiss Kiss Bank Bank, jusqu’au dimanche 7 juillet.
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