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Le calvaire d’une pornstar

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Depuis le début de l’année, Mercedes Carrera vit son Midnight Express. Pornstar jadis respectée et adulée, elle a été enfermée en attente de son jugement pour abus sexuels sur enfant de moins de 10 ans, possession de drogue et d’armes. Seulement voilà, au-delà du fait qu’elle clame son innocence, un confrère de Xbiz a mené l’enquête et a constaté que pour les actrices porno, il y a une justice à deux vitesses. Décryptage d’une potentielle erreur judiciaire aux conséquences dramatiques.

La soirée du 1er février 2019 a été marquée par un fait divers qui a choqué, c’est le moins que l’on puisse dire, les acteurs de l’industrie porno américaine : Mercedes Carrera, une de ses actrices milf les plus populaires, a été appréhendée avec son compagnon par la police à leur domicile de Rancho Cucamonga dans la vallée de San Bernardino, non loin de Los Angeles. A l’origine de ce raid, les accusations très graves qui émanent de l’ex-compagnon de l’actrice et père de leur petite fille : Carrera et son nouveau concubin auraient abusé sexuellement de l’enfant et dans le même temps, ils détiendraient de la méthamphétamine et des fusils automatiques. Depuis ce soir du 1er février, ils croupissent séparément dans le centre de détention du comté.

Le lynchage peut commencer

Quatre jours plus tard, le 5 février, la police du Comté publie un communiqué de presse qui sera repris par tous les médias. La teneur du communiqué est sans équivoque : un couple d’acteurs porno pédophiles a été mis hors d’état de nuire. Très rapidement, les réactions des gens du milieu fleurissent sur Twitter pour condamner les criminels ou du moins prendre leurs distances avec ces monstres infiltrés dans le porn et qui jettent l’opprobre sur tout un secteur. Sauve qui peut, ami(s) ou pas, il ne faut surtout pas se retrouver mêlé de près ou de loin à une histoire aussi radioactive et sordide. Rares sont ceux dans la corporation qui appellent à respecter la présomption d’innocence (de toute façon, ce concept est un ovni juridique aux States où les dossiers sont instruits à charge). Mercedes Carrera, adulée le 31 janvier à minuit, est désormais une taularde dont on souhaite la mort.

« Ma vie est un cauchemar depuis cet instant »

Une semaine après son arrestation, la pornstar est autorisée pour la seule et unique fois à publier un communiqué via Xbiz, l’un des deux médias officiels de l’industrie et dans lequel elle clame son innocence. Au cœur d’une bataille qui l’oppose à son ex-compagnon pour la garde de leur fille, elle accuse celui-ci d’avoir monté les accusations de toutes pièces. C’est le point de départ de l’enquête du journaliste Gustavo Turner. Fin mars, il réussit à décrocher une visite au centre de détention. Ca se passera comme dans les films : au téléphone, derrière une vitre de plexiglas, sous surveillance et sans la possibilité d’enregistrer. Il ne pourra compter que sur sa mémoire pour rédiger ses notes sur le parking et retranscrire l’appel au secours de l’actrice. Et ce qu’elle décrit, dixit Turner, est « le pire cauchemar de tous les travailleurs du sexe qui sont aussi parents ». 

« J’ai reçu un texto du père de ma fille me disant qu’il était en face de chez moi et qu’il m’avait ramené notre enfant après qu’ils eurent passé la journée ensemble se souvient Mercedes Carrera. J’étais à l’étage et quand je suis descendue pour ouvrir, plusieurs policiers sont rentrés en hurlant. Ma vie est un cauchemar depuis cet instant. Au début, j’ai pensé que c’était lié à des disputes que j’ai eues avec des gens sur Twitter. Puis, ils ont commencé à me poser plein de questions sur ma fille et des soit-disant vidéos. Je ne comprenais rien. J’ai déjà eu des tas de personnes chez moi, y compris des gens de l’industrie et tout le monde peut vous dire que j’ai toujours pris soin de préserver ma fille de ma vie porno. Elle est totalement séparée de ça. Ils ont pris les ordinateurs et les disques durs. Il y avait des scènes que j’avais réalisées pour mes sites, rien d’autre. Ils ont continué à me poser des questions sur les caméras et l’équipement. Mon compagnon est monteur professionnel dans le sport. Tout le monde le sait, il travaille sur des reportages pour ESPN. Le matériel n’avait rien de suspect ». 

Dans les rouages de la machine

Son calvaire commence par un weekend en cellule sans pouvoir communiquer avec qui que ce soit, histoire de l’attendrir. Puis, on lui fait enfiler un pyjama vert. Et le pyjama vert, ça fait d’elle une cible. « D’un côté, il y a celles en orange, comme dans la série Orange is the New Black et il y en a quelques-unes en combinaison verte comme moi. On nous dit que celles en vert sont les pires. On nous appelle les tueuses d’enfants ». Elle passe 21 heures par jour en cellule. Les trois heures restantes hors de sa cellule, les matons l’insultent et les autres détenues veulent la dérouiller à cause de la couleur de son uniforme. Depuis le début de sa détention, Mercedes Carrera n’a vu qu’une seule fois son avocat commis d’office et ne connaît toujours pas les chefs d’accusations. Communiquer avec sa fille lui est interdit. Pareil pour la liberté sous caution qu’on ne lui a même pas proposé. « D’autres détenues m’ont dit qu’elles étaient ici depuis plus de quatre ans en attente de jugement. Les avocats qui défilent ici disent toujours de plaider coupable, même si l’on est innocente, comme ça les charges sont allégées, votre cas est traité et vous êtes envoyée pour quelques années à la prison d’Etat ». Bienvenue dans la plus grande démocratie du monde. Ci-gît Tocqueville.

Des accusations inexactes pour une enquête viciée

A ce stade, rien n’indique que Mercedes Carrera soit innocente. D’ailleurs, si elle ne l’est pas, beaucoup penseront que ses conditions de détention ne sont pas assez dures. La justice des réseaux sociaux l’a déjà jugée coupable et condamnée à mort sans procès. Seulement grâce à la persévérance d’un journaliste porno qui fait bien son boulot, on découvre que cette histoire pue, que cette histoire a des relents de chasse aux sorcières sur fond de puritanisme. Pour son enquête, Gustavo Turner a dépiauté les communiqués de la police et les motifs d’inculpation, qui ne correspondent pas du tout. Il a établi une chronologie des faits et a rencontré l’avocat commis d’office de Carrera, un certain Wilkins, qui, renseignements pris, s’avère être une brèle conservatrice et dépressive qui ne se souvenait même plus être en charge de l’affaire. Au fil des investigations du journaliste, on découvre que les dés ont été pipés d’entrée. La descente chez l’actrice a été menée par le détective Donald Patton qui n’en est pas à sa première arrestation médiatisée. Le représentant de l’ordre adore la lumière et un oiseau comme Mercedes Carrera est une prise de choix. En outre, la plainte de l’ex-compagnon a été déposée la veille, ce qui laisse un temps ridicule pour investiguer sur des accusations aussi graves. L’élément le plus troublant de toute cette sordide histoire est qu’à aucun moment les déclarations de la police du comté n’évoquent la fille de Mercedes Carrera en tant que victime. Les accusations sont graves, péremptoires, mais non étayés par des preuves. Aucune vidéo n’a par exemple été versée au dossier, ni aucun témoignage. 

Chez ces gens-là, on ne baise pas, Monsieur, on ne baise pas… 

En revanche, ce que la police du comté de Rancho Cucamonga a mis en avant dès sa première communication, le 5 février, est résumé dans la sentence suivante : « à travers des investigations, il a été déterminé que cette personne était une actrice qui apparaissait fréquemment dans des vidéos pornographiques. Il a été déterminé que son compagnon est producteur et réalisateur de films pornographiques, de shows web et de cérémonies de remise des prix dans l’industrie du film pour adulte ». 

On touche ici un des fonds de « l’affaire Carrera ». Nonobstant le fait que la police se gourre quant à l’identité de son compagnon producteur, qu’ils ont confondu avec le photographe de porn Jay Allan, il semble indéniable que le background d’actrice porno constitue un crime ou du moins un facteur aggravant aux yeux des autorités judiciaires du comté. L’accusée en est en tout cas persuadée. A Gustavo Turner, elle confie : « Ça ne se serait jamais passé comme ça dans le comté de Los Angeles. A l’époque où j’ai commencé le porno, c’est le père de ma fille qui m’avait encouragée à le faire. Nous nous sommes séparés et depuis, nous nous arrangions entre nous pour la garde de notre fille. Il n’y avait pas de problème, y compris par rapport à mon travail. Puis, à la mort de son père, l’année dernière, tout a changé. C’était un homme porté sur la religion et il l’est devenu encore plus. Quatre mois avant cette fameuse nuit, il est venu chez moi et une dispute a éclaté entre lui et mon compagnon ». 

Pour Turner qui a enquêté de longues semaines sur place et même pour Mercedes Carrera, le comté de Rancho Cucamonga est une pièce du puzzle judiciaire à part entière. Souvent décrit comme un « État rouge au cœur de la Californie » (le rouge étant la couleur du parti Républicain), le comté est décrit par le journaliste de Xbiz comme habité par une obsession sécuritaire et puritaine. Militaires, drapeaux, uniformes, groupes de citoyens volontaires pour surveiller le voisinage et prévenir le crime (Darnand appelait ça la Milice), groupes d’adolescents entre 14 et 21 ans baptisés les Explorer Scout Units et recevant 100 heures d’entraînement militaire (arrestation, chaîne de commande, recherche et détection…) : la vallée qui abrite les plus belles vignes californiennes a des côtés kafkaïens. Nul doute qu’une actrice porno dans cet environnement faisait forcément tâche. Jugée coupable et punie pour sa mauvaise vie, Mercedes ne serait pas la première, d’autant que la performeuse s’est attirée la haine de l’alt right américaine sur les réseaux sociaux depuis quelques mois.  

Si elle sort de taule blanchie, elle se souviendra aussi et peut-être surtout qu’elle n’a pu compter sur personne dans le business, sauf sur un petit journaliste qui n’obtiendra jamais le Pulitzer pour son article, mais qui tient peut-être son affaire Dreyfus.

Journaliste professionnel depuis 2003. Rédacteur du magazine Hot Video de 2007 à 2014.

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