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C’est quoi le gonzo ?
« De toute façon, le gonzo a tué le porno… ». Si vous êtes féru de porn-culture, vous avez déjà entendu cette assertion au cours d’un débat entre puristes, sans doute au détour d’un argumentaire sur la légitimité de Clara Morgane ou d’une dissertation sur l’histoire ancestrale du bukkake. Mais qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire « le gonzo a tué le porno » ? C’est quoi, au fond, le « gonzo » ?
Un petit peu d’histoire…
Le terme « gonzo » n’est pas né à travers la pornographie, mais à travers le journalisme, et plus particulièrement le New Journalism américain, au milieu des années 70. Abandonnant le style télégraphique habituel de l’exercice d’information, le « nouveau journalisme » se tourne vers la littérature et ses techniques pour retranscrire l’actualité. L’article n’est plus un billet d’information, c’est une aventure, et le journaliste, son narrateur à la première personne. Des « auteurs » naissent alors et c’est Hunter S. Thompson (Fear and Loathing in Las Vegas, dont est tiré Las Vegas Parano) qui, le premier, reçoit le qualificatif de « gonzo ». Dans son entreprise forcenée de transcription du mode de vie des Hell’s Angels (Hell’s Angels: The Strange and Terrible Saga of the Outlaw Motorcycle Gangs), le reporter renonce sciemment à la sacro-sainte objectivité journalistique, pour infiltrer, à corps perdu, le gang de motards. Préférant traduire ses expériences, ses sentiments, plutôt que le contexte objectif des faits, il laisse à son lecteur le soin de porter lui-même un regard critique sur cette aventure et surtout le plaisir de ressentir, comme s’il y était, les sensations de l’appartenance à ce milieu dangereux et marginal. Le terme gonzo est alors associé à une plongée au cœur d’un sujet, sans recul critique.
Des couilles d’acteurs aux culs d’actrices, il n’y a qu’un pas, que franchit John Stagliano (propriétaire d’Evil Angel, pygmalion de Rocco Siffredi et légende vivante du porn-business) en 1989 avec le premier épisode de la série The Adventures of Buttman. Qualifié de premier porno « gonzo », il délaisse les contingences scénaristiques pour plonger au cœur de son propos : le sexe anal et les derrières de hardeuses filmés en gros plans.
Par opposition au courant journalistique dont elle tire son nom, c’est donc en abandonnant un artifice littéraire, celui de la narration, que la pornographie gonzo naît. Et les pornophiles d’alors crient au génie, « un nouveau genre pornographique est né ! », avant de déchanter quelques années plus tard…
C’est que le gonzo-porn n’est pas seulement novateur. Il est visionnaire. Lorsqu’Internet et le haut débit s’installent, notre façon de consommer la pornographie change. On ne réserve plus une soirée pour mater un petit film porno, loué la veille, en laissant l’excitation venir. Le X est disponible partout, tout le temps, et l’instant « branlette » peut enfin retourner à son essence même : un acte compulsif, expéditif. Le gonzo qui, par sa forme, entre immédiatement dans le vif du sujet, l’acte sexuel, correspond parfaitement à cette nouvelle conception de l’onanisme. On clique, on admire, on s’excite, on ajuste le time-code, on va à l’essentiel, on se caresse, on jouit. Et au pire, on clique ailleurs ; autre scène, autre fille, autre pratique, on recommence…
Le succès du genre est fulgurant. Le gonzo envahit les tubes et écrase toutes les alternatives esthétiques que compte la pornographie. Genre prodige des années 90, il devient, dans les années 2000, bourreau de son propre médium en même temps qu’incarnation fantasmée de tout ce qui est pourri au royaume du porno. Les pornographes de la vieille école, d’un indécrottable classicisme, comme les détracteurs de la pornographie, rivalisent alors d’arguments pour jeter l’opprobre sur le gonzo. « Absence de mise en scène », « mort du dialogue », « culte de la performance », « négation de l’érotisme », « désintérêt pour les costumes, les accessoires, les décors », « brutalité », « bestialité », « facilité », « paresse », les critiques sont aussi nombreuses… que contradictoires. À croire qu’il suffit de poser une caméra devant des gens qui baisent pour faire un gonzo.
Rien n’est plus faux.
Genre pornographique, voire même cinématographique, de la gratification instantanée, le gonzo est pétri d’intentions esthétiques, quoi qu’on pense de celles-ci. Des intentions qui se révèlent à la lumière des propriétés de son ancêtre journalistique. L’absence de recul n’est certes plus une posture critique, discursive, mais un parti-pris scénique, formel, duquel découle non seulement des choix de composition particuliers, mais aussi des méthodes de réalisation inédites.
Avec l’invention du POV, il fait mentir certaines des règles les plus élémentaires du cinéma traditionnel. Là où, dans le ciné grand public, le fait de filmer à travers les yeux d’un personnage est considéré comme une fantaisie de mise en scène aussi marginale qu’hasardeuse, le gonzo s’approprie la narration à la première personne dans sa forme la plus évidente, la plus pure. De fait, il renverse un autre tabou du cinéma mainstream, l’adresse direct à la caméra, lorsque l’actrice, un chibre colossal enfoncé dans la bouche jusqu’à la garde, lance un clin d’œil, tout à la fois, à son partenaire qui performe, à la caméra qui narre, et au spectateur qui s’excite par procuration.
L’immersion du spectateur s’intensifie, en outre, par l’usage du gros plan, qui lui montre une chatte, un sein ou un cul comme s’il était à la meilleure position pour les dévorer, le pif à quelques centimètres. L’érotisme y perd ce que l’obscénité y gagne. Et le gonzo s’en accommode, car il ne fait aucune différence entre le l’obscène et le sexy. En outre, il cultive cette esthétique du « trop » par les physiques hors-normes, bites colossales, seins démesurés, croupes vertigineuses, qu’il magnifie encore par des cadrages en contre-plongée et des objectifs « grand angle » distordant les perspectives.
Dans le gonzo, le sexe devient un spectacle, un numéro de cirque, un exercice prodigieux et court, conçu pour nous émerveiller à la première seconde. Ainsi, décors, costumes et accessoires sont réduits à leur plus simple fonction, flatter immédiatement le regard du spectateur. Villas baignées de soleil, bikinis aux couleurs chatoyantes, butt-plugs cristallins, le genre ambitionne de nous faire ressentir des rapports sexuels d’une intensité que nous ne vivrons jamais, dans des lieux que nous n’aurons jamais la chance de fouler, avec des nanas trop sexy pour être vraies.
C’est, enfin, le genre de la baise par excellence, le sexe dépouillé de toute intellectualisation, le Big Mac du cul : une orgie de saveurs et de sensations édulcorées dont on ne ressort certes pas grandi, mais repu. Nulle surprise alors que nombre de pornographes de renom, en chefs étoilés de la discipline, se soient élevés contre ce genre « fast food ». Mais le gonzo a-t-il, pour autant, tué le porno ?
Par son aspect prêt-à-consommer, son esthétique sans fioritures immédiatement accessible et gratifiante, ses codes archétypaux et universels, il est le produit idéal des supermarchés du porno que sont les tubes de streaming. Toutefois, il n’a pas entièrement phagocyté les autres genres de la pornographie, qui se sont même réinventés, pour correspondre aux nouveaux enjeux du porno : dynamisme des scènes de cul, diversification des échelles de plans.
De fait, si le porno d’arrière-garde a effectivement été marginalisé, le sens du récit n’est pas mort, dans le X. Plus dense, plus concise, la narration s’est convertie aux nouveaux standards de consommation, en s’inspirant de la tendance du gonzo à aller droit au but. Chaque dialogue, chaque réplique devient non plus un prétexte au sexe, mais une source d’excitation. Le porno perd en propos ce qu’il gagne en effet.
Le gonzo n’a donc pas tué le porno mais, quoi qu’on en pense, il l’a définitivement transformé.
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