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Libertinage

Bukkake, mythes et réalités

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Giboulées salées

Abondance liquide

Visage inondé

poète anonyme.

Pour nous, Européens, le Japon reste une terre de mythes et de légendes, située aux antipodes (ou presque) de notre beau pays. La subtilité de ses traditions nous échappe autant que la démesure de ses rituels nous fascine. Nogaku, bushido, seppuku, la simple évocation de ces noms aux sonorités lapidaires fait frémir, d’excitation ou d’effroi, le profane qui les entend, entrevoyant à peine les pratiques ancestrales qu’ils définissent. Et il n’est pas de domaine où les Japonnais cessent de nous ébaubir par leurs extraordinaires coutumes. Pas même le sexe. J’en veux pour preuve le Bukkake.

Selon la légende, le bukkake serait le châtiment infligé aux femmes adultères, depuis des temps immémoriaux, dans les campagnes les plus reculées du Japon féodal. À une époque où les guerres claniques faisaient rage, il n’était pas rare que les hommes quittent leurs tendres épouses, de longs mois durant, pour mener bataille. Que deviennent alors les serments de fidélité face à la solitude, l’incertitude de revoir l’être aimé, et le besoin d’attention des jeunes hommes rentrés du front à la faveur d’une blessure ? La chair est faible, en tout point du globe.

 

Mais gare à celle dont l’infidélité était découverte. À celle-ci, on ne jetait pas la pierre. Oh, non. Le Japon est un pays où on lave le sang par le sang, et le foutre par le foutre (remarquez qu’invoquer ici la loi du Talion serait une interprétation aussi douteuse qu’anachronique). La femme adultère était traînée en place publique, pieds et poings liés, puis agenouillée et offerte aux hommes du village qui l’humiliaient en éjaculant leur semence tiède sur son visage. À tour de rôle, chacun se masturbait devant la malheureuse, souvent partiellement dénudée pour accentuer la disgrâce, jusqu’à ce que tout ce que le village compte de mâle ait déversé sur elle rien de moins que des cataractes de sperme.

Hokusai, La Grande vague de Kanagawa, 1831, Gravure sur bois, 25,7 x 37,9 cm, MET

Sexe, humiliation, souillure, il y a dans cette pratique séculaire de quoi faire naître un fantasme déviant que ne renierait pas notre Marquis de Sade. Un fantasme que la pornographie filmée, toujours en quête de nouvelles expériences perverses à proposer à son spectateur, ne pouvait que s’approprier. Et le succès fut au rendez-vous. Malgré l’étrangeté toute japonaise de la pratique, le bukkake a traversé les frontières, des Blowbangs métissés de Dogfart, aux mises en scènes minimalistes des fameux German Goo Girls, en passant par les French-Bukkake de l’inénarrable Pascal OP. Partout dans le monde, la vague a déferlé.

 

Et si, malgré tout, cette belle histoire n’était qu’une invention ?

Trêve d’exotisme au ras-des-cerisiers. Aussi délicieusement folklorique que soit ce récit, il n’est sans doute qu’une invention éhontée de la production pornographique nippone pour promouvoir son art auprès d’occidentaux en mal d’orientalisme japonisant. Il n’existe, en effet, aucune source historique fiable relatant pareilles condamnations.

S’il ne fait nul doute que l’adultère féminin fut sévèrement puni dans le Japon médiéval (après tout, puisque la liberté sexuelle des femmes était réprimée de tout temps et en tout lieu, il n’y a pas de raison que le Japon soit exempt de ce genre d’exactions), l’existence d’un rituel expiatoire aussi sophistiqué et laborieux, pour un acte aussi banal, semble passablement discutable. Aussi, il est possible d’avancer une hypothèse beaucoup plus réaliste et pragmatique, expliquant l’origine du concept.

Le bukkake apparaît dans les productions audiovisuelles japonaises au milieu des années 80, en plein essor de la pornographie hardcore. Si en Occident, le genre culmine avec des pratiques extrêmes comme la double pénétration, cette position sexuelle n’a aucun intérêt filmique au Japon. L’article 175 du Code Pénal local limitant la liberté d’expression à l’obscénité, et définissant tacitement celle-ci par la représentation de la région pubienne, les pornographes sont contraints de masquer ou de « pixelliser » ces zones sous peine de lourdes sanctions. On comprend alors facilement que, par ce biais, un cadrage serré sur une double-péné ressemble moins à un gonzo bien baveux, qu’à un Picasso tendance cubiste.

Pablo Picasso, Pipe Rack and Still Life on a Table, 1911, oil and charcoal on canvas, 49,5 x 127 cm, METPour avoir tout de même quelque chose d’original à montrer, quelque chose d’hors-norme, quelque chose d’orgasmique, en outre quelque chose de bandant, les réalisateurs répondirent donc à Pablo Picasso par Jackson Pollock, et se concentrèrent sur le symptôme le plus concret de l’orgasme : l’émission de fluide, son déversement erratique et anarchique. Et dans une pornographie monomaniaque, accentuée par la propension des japonais à l’excès, toute pratique hors du commun devient un fétichisme, et un intérêt strictement formel pour l’éjaculation devient un style à part entière, où 50 hommes éjaculent de concert sur le visage d’une jeune femme. Le bukkake est né, et il suffisait de le revêtir d’un vernis folklorique pour qu’il conquière le monde.

Jackson Pollock, Autumn Rythm (number 30), 1950, enamel on canvas, 266,7 x 525,8 cm, METSi le rasoir d’Ockham nous dit que les causes les plus probables, sont les plus crédibles, alors le bukkake est cette vierge de fer phallique et métaphorique que vendait aux naïfs les marchands de curiosités de la Renaissance. Reste à expliquer l’attrait étrange des Japonais pour les fluides gluants et visqueux, qui trouve peut-être son origine dans une autre mystérieuse coutume. Qui sait ?

Sachez enfin que le terme « bukkake », au Japon, n’a pas la connotation sexuelle que lui attribuent les Occidentaux. Dérivé du terme « bukkakeru », qui signifie littéralement « asperger », « éclabousser d’eau », il est couramment utilisé pour dans différents domaines, notamment culinaire. Vous pouvez donc vous rendre dans un restaurant là-bas et commander un délicieux bukkake-udon, ou un savoureux bukkake-soba, qui désignent, vous vous en doutez, des plats en sauce.

Kakeudon

Mais méfiez-vous quand même…

Titulaire d'une maîtrise en cinéma, auteur d'une Porn Study à l'Université Paris VII Diderot, Clint B. est aujourd'hui chroniqueur de l'actualité porno.

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