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Règle 34 : troubles tropiques

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La brésilienne Júlia Murat réalise, avec Règle 34, une œuvre originale et forte. A travers le portrait d’une jeune fille noire, étudiante en droit le jour et camgirl la nuit, elle livre une réflexion politique très actuelle sur l’exploration des fantasmes, la violence qui traverse la société brésilienne et la manière dont la pornographie s’insinue dans nos vies. Règle 34 a reçu le Léopard d’Or du meilleur film au festival de Locarno en 2022. 

Séquence pré-générique : Simone, étudiante en droit le jour et camgirl le soir, se masturbe en gros plan pour ses fans… Les tokens pleuvent, la belle affiche un large sourire, et le rabbit entre ses cuisses achève de faire son office. 

Ces premières images donnent le ton de Règle 34, plaisante réalisation de la brésilienne Julia Murat. Un film au titre énigmatique, sauf, bien sûr, pour les plus geeks d’entre vous. La règle 34 est née dans les méandres du site 4chan, un site de partage d’images et de vidéos, créée en 2003 par un nerd new yorkais à peine pubère surnommé Moot, de son vrai nom Christopher Poole. Si vous ne connaissez pas 4chan, sachez que vous n’en ratez pas grand-chose, ce site consistant en un salmigondis de mèmes stupides, de trolls et de forums dont les seules limites semblent être celles de la bêtise humaine (qui, comme chacun le sait, n’en connait pas).

Les « règles d’Internet », quant à elles, sont un ensemble de lois et d’aphorismes plus ou moins absurdes, constamment remplacés et réorganisés. Les seules règles immuables sont les règles 63 : «  Pour chaque personnage masculin, il existe une version féminine (et vice-versa) » et 34 : « Si ça existe, il y a du porno à ce sujet (If it exists, there is porn of it) ». La règle 34, énoncée par un ado anglais ayant découvert avec stupeur une parodie porno de la BD Calvin et Hobbes, est rapidement devenue un mème Internet. Et la blague potache n’a pas tardé à devenir l’une des « lois » les plus célèbres du Net. La règle 35 la complète :  « S’il n’y a pas de pornographie sur ce sujet, il va bientôt y en avoir » !

On peut situer l’âge d’or de cette règle 34 pendant l’incroyable essor du porno sur Internet dans la deuxième partie des années 2000, quand les tubes et leurs tags ne jouaient pas encore leur rôle centralisateur, et que des milliers de petits sites spécialisés développaient des contenus de niche, susceptibles de répondre à tous les kinks imaginables. 

Cependant, si l’on considère les recherches improbables référencées sur les « Pornhub Insights », la règle 34 n’a rien perdu de son actualité, les porn addicts cherchant des vidéos sur des thèmes aussi divers que le couronnement de Charles III, Zelda ou encore la Champions League. 

Mais revenons à Simone. Julia Murat a développé un personnage attachant et pétri de paradoxes : comment une avocate en formation, spécialisée dans des affaires sordides de violences conjugales, peut-elle devenir camgirl le soir venu, et se laisser tenter, à la demande des ses fans, par des pratiques SM, telles que la strangulation ou l’asphyxie érotique ?

A travers le portrait de cette femme, Julia Murat nous parle avec empathie des préoccupations de la jeunesse brésilienne actuelle, et notamment, la soif de liberté des femmes dans un pays encore miné par le patriarcat. Interpellée par une interview de Sasha Grey dans laquelle la hardeuse décrivait son aventure dans le porno comme une volonté d’explorer ses limites physiques et intellectuelles, Julia Murat développe une réflexion sur la violence, celle que l’on subit, et celle que l’on choisit. Comment désirer la violence dans un pays ou les maltraitances conjugales font tellement de victimes ? Pour exorciser, sans doute, l’arbitraire du pouvoir, le racisme omniprésent, et les inégalités sociales… Mais si l’on s’approprie cette violence, si l’on en joue, saura-t-on toujours s’arrêter, comme dans le SM et ses règles strictement codifiées ?

Le personnage de Simone renvoie aussi à nos sociétés occidentales mondialisées, métissées, avides de liberté sexuelle, remettant en cause le modèle du couple hétéronormé, et abreuvées d’une pornographie qui depuis plus de vingt ans façonne nos fantasmes et s’immisce dans tous les aspects de l’existence. La quête de nouveaux défis et de nouvelles combinaisons sexuelles semble infinie pour Simone, et son besoin de se sentir exister, toujours plus intense. Jusqu’où ?

« Si ça existe, il y a du porno à ce sujet ».

Règle 34, de Julia Murat, avec Sol Miranda, Lucas Andrade, Lorena Comparato, Isabela Mariotto. 1h40. En salles actuellement. 

Pierre Des Esseintes est auteur et journaliste, spécialisé dans les questions de sexualité. De formation philosophique, il est également sexologue. Il a publié, aux éditions La Musardine, Osez la bisexualité, Osez le libertinage et Osez l’infidélité. Il est aussi l’auteur, aux éditions First, de Faire l’amour à un homme et 150 secrets pour rendre un homme fou de plaisir.

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