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Chloé Saffy : « Pour écrire une bonne scène érotique, il faut faire partager ce qu’il se passe mentalement chez les personnages ! »

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Avec son roman La Règle de Trois, Chloé Saffy signe une comédie romantique rafraichissante, mettant en scène un attachant trio de trentenaires explorant de nouvelles combinaisons amoureuses et sexuelles. La confirmation d’une grande plume de la littérature érotique. Rencontre. 

Quelles sont les grandes étapes de ton parcours ?

J’ai écrit mon premier roman, Adore, il y a presque quinze ans. C’est Soaring Blue, sorti en 2018, qui a relancé mes publications, notamment dans le domaine de l’érotisme. Mon roman À fleur de chair est sorti en 2021. J’ai toujours été passionnée par l’érotisme, et maintenant, c’est de plus en plus affirmé. 

Pourquoi avoir choisi d’écrire de la littérature érotique ?

Je ne sais pas si c’est vraiment un choix. L’érotisme me passionne depuis toujours. J’ai grandi dans les années 80. Peut-être que mes souvenirs embellissent un peu les choses, mais pour moi, à l’époque, l’érotisme était très présent, à la télé, dans la publicité, au cinéma… Mon père lisait des bandes dessinées érotiques, des magazines comme l’Écho des Savanes, Lui, Newlook… À quatorze ans, j’ai commencé à lire de la littérature érotique. Bien sûr, ce n’était pas des livres recommandés par des copines ou des proches. Alors, je fouillais beaucoup, dans les bibliothèques, les librairies… 

Quelles ont été tes influences majeures ? 

J’ai beaucoup lu Régine Desforges. Je fais partie de cette génération de lectrices qui a adoré La Bicyclette Bleue. C’était une saga historique, mais l’érotisme imprégnait le caractère de Léa, l’héroïne. Et l’auteur ne mettait jamais de voile pudique sur les scènes de sexe. La Bicyclette Bleue fait partie de ces livres qui m’ont appris qu’une scène de sexe n’arrête pas l’histoire, mais s’inscrit dans la continuité. Les scènes de sexe doivent toujours dire quelque chose des personnages qui la vivent. C’est ce qui manque dans nombre de romans. Sur les vingt dernière années, j’ai été très marquée par Dolorosa Soror de Florence Dugas, Toute nue, de Lola Beccaria. J’ai adoré La Voie Humide, de Coralie Trinh Thi – même si ce n’est pas vraiment un texte érotique – pour la liberté que ce texte revendique, et pour le mode de vie très alternatif de l’auteur. Le livre a été réédité, et je regrette que la jeune génération soit passée à côté, malgré la préface de Virginie Despentes. Ma reddition, de Toni Bentley, est aussi un livre important, pour moi. 

Vous ne citez que des femmes…

Oui, même si j’ai appris récemment que Dolorosa Soror avait, en fait, été écrit par un homme ! j’aime le profil de ces femmes très libres, parfois soumises en apparence, mais qui se révèlent peu à peu très sûres de leurs choix.

Votre roman décrit parfaitement le fonctionnement du désir et du plaisir féminins. Les hommes, et en particulier les jeunes, auraient beaucoup à apprendre en le lisant ! 

Ce n’est pas toujours volontaire, mais c’est vrai que mon livre peut avoir une portée pédagogique ! Mon précédent roman se situait dans l’univers BDSM, et de nombreux lecteurs m’ont dit qu’après leur lecture, ils avaient mieux compris ce que les gens allaient chercher dans cette sexualité. Quand j’ai écrit La Règle de Trois, je voulais interpeller une jeune génération, qui ne lit pas de littérature érotique. C’était un pari pour moi. Souvent, les jeunes ont l’impression que la littérature érotique, c’est un truc de vieux qui ne les concerne pas ! 

En quoi la littérature érotique est-elle supérieure à l’image porno ? 

L’absence de l’image fait que le désir va s’épanouir différemment. Je suis dans l’éloge de la lenteur. Les jeunes générations devraient réapprendre cela. Aujourd’hui, tout va trop vite. La littérature érotique permet l’introspection, et encore plus la fiction. Les librairies sont inondées de livres pédagogiques ou éducatifs, ce qui est très bien, mais la fiction reste un genre regardé avec condescendance. Tous les textes traitant de sexualité, qui ont été mis en avant récemment dans les médias, relèvent presque tous de l’autofiction : Emma Becker, Ovidie… On ressent toujours le besoin, pour les journalistes, de valoriser le vécu, le côté « l’auteur l’a senti dans sa chair »… Je trouve qu’au contraire, il faut arriver à se détacher de ça. 

Quand on n’a pas d’images, on se projette plus facilement ? 

Oui, c’est un peu comme l’audio porn. J’ai écrit des scripts pour Le son du désir, pour Femtasy… On est dans l’immersion totale. Tout se passe par les mots, les sons, il faut prendre du temps pour soi, être tranquille, concentré. 

Pour construire vos personnages, vous vous êtes inspirée de connaissances réelles ? 

Oui, c’est toujours le cas quand on écrit. De nombreuses situations correspondent à des histoires que l’on m’a racontées. Je dirais que l’écriture d’un roman, c’est un tiers d’histoire personnelle, un tiers de choses qui nous ont été rapportées, et le dernier tiers relève de l’imagination. 

Quelle est la recette d’une bonne scène érotique ? 

Il ne s’agit pas de décrire seulement des actes. Ça ne se situe pas dans le factuel. Pour écrire une bonne scène érotique, il faut faire partager ce qui se passe mentalement chez les personnages. C’est l’alliance du mental et du physique. Il faut aussi penser à des petits détails que l’on n’a pas toujours dans ce genre de texte : les odeurs, les fluides, les sons…

Dans votre roman, deux filles trentenaires, Ophélie et Livia, doivent trouver une solution pour remplacer leur colocataire, après son départ. Contre toute attente, ce n’est pas une autre fille qui posera sa candidature, mais Milo, un garçon énigmatique et sensuel, qui va s’installer dans leur quotidien et bouleverser leur libido. Ils vont finalement former un trouple joyeux et libre… On s’attend toujours, dans ce type de configuration, à des trahisons, des drames. Dans votre roman, ce n’est pas le cas…

Oui, car c’est un livre qui a été écrit comme une comédie romantique. Sauf qu’ils sont trois, au lieu d’être deux ! Ce sont des personnages qui se rencontrent au bon moment, un moment d’euphorie, où les choses se passent bien, facilement. J’ai commencé à écrire en octobre 2021. À l’époque, on était encore corseté dans les répercussions du Covid. J’avais besoin d’écrire un roman dans lequel règne une totale liberté. Ça ne comprenait pas que le sexe. Ça voulait dire aussi rentrer d’un bar très tard dans la nuit, rentrer d’un festival de musique où tout le monde a transpiré… J’ai ajouté des choses vécues pendant ma jeunesse, dans les années 2000. Je voulais écrire quelque chose de joyeux, où l’on n’est pas dans la revendication, mais où tout ce que l’on fait devient presque politique. 

Le personnage de Milo, dans votre roman, est particulièrement intéressant et attachant… 

Oui, je ne voulais pas que le personnage masculin soit un mec parfait, encore moins « déconstruit » (je ne sais pas ce que ça veut dire !), mais juste un garçon dans le respect et l’attention, ce qui ne l’empêche pas d’être viril. 

Les références musicales sont omniprésentes dans votre livre… Vous ajoutez même une playlist à la fin. 

Aujourd’hui, les gens vivent avec un smartphone à la main. S’ils veulent en savoir plus, ils peuvent chercher tout de suite la musique… J’ai 42 ans, je fais partie de cette génération qui a été nourrie à la référence. J’ai toujours cité des musiques dans mes livres, mais c’est vrai que pour ce roman, je suis allée plus loin. J’ai été influencée par des lectures de romans des années 2000. Les auteurs, comme Bret Easton Ellis, le faisaient beaucoup, à l’époque.

Vos scènes de sexe sont toutes très explicites, et assez longues. C’est dans un but masturbatoire ? 

Oui, évidemment, je ne vais pas dire le contraire (rires) ! Et à mon sens , elles sont d’autant plus efficaces à ce niveau-là que je les ai amenées en prenant du temps. Un jour, on m’a demandé quelle était, selon moi, la différence entre la littérature érotique et la littérature porno. Lorsque j’écris de l’érotisme, il me faut vingt à trente pages pour arriver à une scène de sexe. Dans la littérature porno, il en faut cinq. Moi, ce qui m’intéresse, c’est la montée de la tension, du trouble, les séquences en sont d’autant plus explosives et excitantes  ! Ce qui m’intéresse aussi, c’est l’érotisme du quotidien. Mes scènes de sexe ne sont pas complètement extravagantes, et le lecteur peut se dire que, lui aussi, pourrait les vivre… 

Quel est le mot de plus érotique de la langue française, selon vous ? 

Suave. Je l’utilise souvent ! 

Et votre passage préféré dans la littérature érotique ? 

Je citerai un passage de La Voie Humide, de Coralie Trinh Thi :

« Un soir, il est venu avec un gode-ceinture. Je n’ai pas hésité une seconde, malgré mon aversion pour les gadgets sexuels. Le ridicule n’existait pas dans notre dimension. Je l’ai forcé à me sucer, en enfonçant mes ongles dans sa gorge, et puis je l’ai pénétré en le branlant, doucement, j’ai marqué une pause quand mes reins se sont collés contre ses fesses, en lui murmurant quelque chose à l’oreille, quelque chose de très sale et de très vulgaire, et je savais parfaitement comment faire parce que j’avais appris de l’autre côté du miroir, j’ai commencé à bouger en lui, je le branlais comme j’aimais être branlée pendant la sodomie, parfois je lui ordonnais de le faire lui-même, et je l’ai fait jouir plusieurs fois, dans la fureur. »

Chloé Saffy, La Règle de Trois, éd. La Musardine, 284 p., 18 €.

Pierre Des Esseintes est auteur et journaliste, spécialisé dans les questions de sexualité. De formation philosophique, il est également sexologue. Il a publié, aux éditions La Musardine, Osez la bisexualité, Osez le libertinage et Osez l’infidélité. Il est aussi l’auteur, aux éditions First, de Faire l’amour à un homme et 150 secrets pour rendre un homme fou de plaisir.

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