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Hentai et cthulhophilie : la tentation du tentacule

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Le fantasme tentaculaire a dorénavant un nom : Cthulhophilie, du blase de l’insondable divinité lovecraftienne aux membres tortueux et à l’aura envoûtante. Invariablement associé à l’érotisme japonais, il est pourtant bien plus universel et fédérateur qu’on n’ose l’admettre.

Quiconque a déjà traîné ses guêtres du côté de la pornographie animée, a certainement entendu cet adage resté célèbre : « il n’est pas de bon hentai sans tentacule. » Et si la véracité de cet aphorisme reste discutable – je pense à toi, Taboo Charming Mother… -, force est de reconnaître l’importance esthétique des appendices gluants et préhensiles dans le manga pour adulte. Loin d’être une simple lubie de créateurs farfelues, le motif est né d’impératifs éditoriaux, pour s’installer durablement dans la production X japonaise et devenir l’un de ses gimmicks indissociables. Le tentacle porn n’est toutefois pas l’apanage de la culture asiatique et, très tôt, quelques artistes occidentaux ont osé s’y frotter. Une petite histoire du genre s’impose donc afin d’y voir un peu plus clair dans ce palpitant sac de nœud.

Tako to ama, Hokusai, 1814.

Octo/Pussy

Difficile de raconter l’histoire du tentacule pornographique sans évoquer Tako to ama, Le Rêve de la femme du pêcheur dans sa traduction francophone, fameuse estampe érotique japonaise du non moins célèbre Hokusai. Réalisée en 1814, cette peinture sur bois ouvrant le recueil Kinoe no Komatsu montre une « ama », ces pêcheuses en apnée traditionnelles de l’archipel, aux prises avec d’entreprenants céphalopodes. Ni l’étreinte des poulpes, ni la nudité de la femme ne laissent de doutes quant à la nature charnelle de leur relation. Moins captive qu’alanguie, offerte, l’humaine semble en tout cas apprécier les attentions orales de ces pieuvres visiblement amatrices de moule fraîche. Volontiers absurde ou frivole, la peinture japonaise n’hésitait alors pas à représenter au premier degré des actes particulièrement profanes, non sans une certaine dose de légèreté.

Paradoxalement, c’est en Europe, et plus précisément en France qu’apparaît la première représentation d’attaque de tentacules sur jeune vierge martyre, des mains de Martin Van Maele. Florilège de perspectives scabreuses sur le sexe et la mort, sa Grande Danse macabre des vifs, un recueil de gravures publié en 1905, donne à voir parmi diverses visions horrifiques un preux chevalier tentant d’estourbir de son sexe démesuré l’immonde créature infernale et tentaculaire dont les extrémités tactiles abusent éhontément des orifices d’une demoiselle en détresse.

La Grande Danse macabre des vifs, Martin Van Maele, 1905.

Plus tard, et toujours en occident, c’est dans The Dunwich Horror de Daniel Haller (1970), adaptation d’une nouvelle d’H.P. Lovecraft, puis dans l’Evil Dead de Sam Raimi de 1981, qu’on trouve les occurrences suivantes d’assauts tentaculo-sexuels. Dans un contexte plus horrifique qu’érotique, le premier dépeint l’agression fulgurante d’une abomination ineffable contre une victime terrifiée et mise à nue, tandis que le second décrit le viol de l’un des protagoniste par un arbre possédé par le Malin, branches et racines faisant office d’instruments de capture et de pénétration.

« Impossible de violer cette femme pleine de vices… »

En 1986, le tentacle porn revient enfin au Japon, pour s’imposer en tant que genre à la faveur de deux hentai : Guyver: Out of Control, un anime mêlant horreur et méchas de Yoshiki Takaya, et surtout le cultissime Urotsukidoji de Toshio Maeda, qui érige le tentacule en arme contestataire au service de la liberté d’expression pornographique. Il faut dire que le Code Pénal japonais pratique une censure rigoureuse de l’obscénité, via son article 175, qui se traduit par le statu quo suivant : la représentation des actes sexuels est admise dans les œuvres, pourvu que les parties génitales y soient dument masquées.

Urotsukidoji, Toshio Maeda, 1986

Sachant pertinemment que son éditeur risquerait l’arrestation si les démons inséminateurs de sa fictions était pourvu de pénis turgescents, Maeda contourne donc le problème. Aucun zizi, promis, juré ! Mais plutôt que d’édulcorer son œuvre, il introduit force tentacules dans un vide juridique somme toute béant. Le shokushu goukan est né ! (comprenez : « viol par tentacules »)

L’événement fait date et, en définitive, jurisprudence. Les appendices informes et grouillants feront dorénavant l’affaire pour remplacer les sexes masculins dans toute la production nippone hardcore. Mais encore faut-il que cette esthétique trouve son public, non ?

Taimanin Asagi, Black Lilith, 2005.

C’est en réalité la partie la plus simple de toute cette aventure, comme en témoignent les diverses représentations antérieures. Par son aspect étranger, primitif, le tentacule permet d’aborder un fantasme aussi répandu que complexe et problématique : le fantasme du viol. En débarrassant le sexe non-consensuel de sa composante genrée, humaine, éminemment sociale et politique, il évite le chausse-trappe intellectuel de devoir justifier sa propre fiction par le biais d’arguments moraux, rigoureusement incompatibles avec l’expression des fantasmes les plus tabous. En clair, on ne traite plus de la problématique du viol, de sa composante systémique, de ses implications misogynes. On montre des bestioles monstrueuses, extra-terrestres ou démoniaques, mues par le simple désir d’inséminer des orifices, et la détresse cathartique de l’objet de leur attention.  L’érotisme d’un crime sexuel, sans coupable à désigner ni victime traumatique. En outre, sa longueur et sa souplesse autorisent les bondages les plus fantaisistes, les explorations endoscopiques les plus exhaustives. C’est l’accessoire tout-en-un du fantasme BDSM.

Fort d’un exotisme certain et taillé pour échapper à la censure, la cthulhophilie a donc naturellement conquis le hentai et, au-delà, le porno dans son ensemble, au point que quelques productions filmiques s’acharnent aujourd’hui à retranscrire son étrangeté, au moyen d’improbables effets spéciaux. Parallèlement, l’appétit sexuel bestial transcrit par ce fétichisme s’est décliné, notamment au travers du vore, genre où les protagonistes sont carrément boulottés par diverses abominations. La preuve, s’il en fallait une, que le tentacule s’est forgé une place féconde dans l’éventail de nos fantasmes.

Les productions étranges et ambitieuse du studio Hentaied

*Image de couverture : Numeru Namada – Numenama-ten!, modèle Namada, photographie Kazan Yamamoto, 2016.

Titulaire d'une maîtrise en cinéma, auteur d'une Porn Study à l'Université Paris VII Diderot, Clint B. est aujourd'hui chroniqueur de l'actualité porno.

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