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Le pénis captif, entre légende urbaine et controverse médicale

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À la base de n’importe quelle bonne légende urbaine, il y a toujours trois ingrédients : un événement hors du commun, bien entendu, des conséquences sensationnelles, pour le côté spectacle, mais surtout, une situation initiale vraisemblable. C’est d’ailleurs pour ça que les témoignages de contact extra-terrestre à base de lumières dans le ciel et de bruits étranges sont indubitablement plus crédibles que les histoires d’enlèvement, de sondage anal et de conversation en français avec E.T. Eh bien le mythe dit du « pénis captif », rentre pile dans cette catégorie : des prémices plutôt banales, un petit instant coquin avec sa dulcinée ; une péripétie surprenante, clac ! On reste coincé ; des conséquences spectaculaires, l’arrivée d’une ambulance, douze pompiers et quatre médecins présents sur les lieux, les uns tirant à force d’homme de part et d’autre de la « bête à deux dos », pendant que les autres sédatent madame et lubrifient monsieur. Grandiose, quoi ! Le souci, c’est que, dans le monde médical, le « penis captivus » (parce qu’en latin, ça fait plus sérieux) est en quelque sorte le Big Foot de la gynécologie, le requin de 16 mètres de l’obstétrique. Biologiquement, tout le monde s’accorde à dire que c’est sans doute possible ; mais sur les sept pelés qui, dans toute l’histoire de la science moderne, affirment l’avoir vu, de leurs yeux vus, la plupart vous raconterait avec la même conviction avoir vu Alf jouer avec son thermomètre magique. Trêve de préambule, retraçons ensemble l’histoire de la seule controverse médicale qui parle de zizi.

Alf, grand amateur de chatte…

D’après l’éminent British Medical Journal, les premières histoires de quelqu’un coincé dans quelqu’une datent du dix-huitième siècle. Le contexte : deux tourtereaux un brin blasphémateurs restés bloqués toute une nuit alors qu’ils forniquaient dans une église. Surpris au matin par le berger en personne, les brebis égarées ne furent délivrées qu’à grands coups de seaux d’eau (en deux mots, s’il vous plaît) déversés sur leurs parties. Outre le postulat fort douteux qu’un tel spasme musculaire puisse durer plusieurs heures, cette anecdote révèle avant tout la fonction première de toute légende urbaine : être la parabole idéale. Le Tout-Puissant a ainsi châtié les vilains pêcheurs qui copulaient en sa maison. Et cette perception d’un châtiment à une faute morale a fait long feu, puisqu’encore aujourd’hui, la plupart des récits de pénis captifs s’épanchent bien plus sur la situation adultère des coupables que sur les symptômes médicaux des patients. Bref, rien de follement probant pour le moment…

Heureusement, en 1884, les choses se précisent. Un authentique article médical est publié sur la question dans le Philadelphia Medical News, en réponse à une publication sur le vaginisme, une condition médicale nouvellement découverte où le vagin, soumis à d’intenses et douloureux spasmes, peut se contracter jusqu’à l’occlusion complète. Dans un concert d’éloges, le papier corrobore la thèse, allant jusqu’à associer le symptôme au fameux penis captivus tant recherché. En sus, il relate la mésaventure d’un couple fort embarrassé et fort endolori. L’eau et la glace n’y ayant rien fait, le médecin prit l’initiative de tranquilliser la malheureuse au chloroforme, ce qui permis de libérer l’amant. Et l’auteur, un certain Egerton Y. Davis, de conclure malicieusement sur l’épisode biblique de Phinéas empalant homme et femme pour l’éternité sur son gros javelot. Bravo ! Eurêka ! Hourra ! Le penis captivus est enfin documenté. Sauf que…

Sauf qu’en réalité, Egerton Y. Davis n’est autre que le nom de plume de William Osler, père de la médecine moderne (il a notamment imposé et développé le concept d’internat dans les écoles de médecine), collègue de l’éditeur du canard et surtout grand farceur devant l’Eternel. Atterré par la pédanterie de l’article sur vaginisme rédigé par son collègue Théophilus Parvin, le bougre s’est fendu d’un canular dans lequel le pauvre Théophilus, fier comme un pou, s’engouffre. L’article, entièrement bidon, devient une référence en la matière, perpétuant, popularisant et crédibilisant une fable déjà vieille comme le monde. Lorsque la supercherie est finalement révélée, la recherche médicale n’est pas plus avancée, et le pénis captif reste malgré tout insaisissable…

Jusqu’en 1980 ! Suite à la rétrospective du British Medical Journal, un toubib sort du bois. Dans un droit de réponse sobrement intitulé Penis captivus has occured, le docteur Brendan Musgrave fait état d’un cas auquel il fut confronté trente-trois ans plus tôt, alors qu’il était interne au Royal Isle of Wight County Hospital. L’homme dit se souvenir très précisément d’un couple un peu trop fusionnel, transporté sur un seul brancard depuis l’ambulance jusqu’au service des urgences. Un petit traitement anesthésique pour la patiente et les amoureux furent autorisés à sortir, manifestement sans séquelles. Pour appuyer ses dires, Musgrave va même jusqu’à contacter un collègue de l’époque, un certain Dr S. W. Wolfe, qui confirme d’un lapidaire « Je m’en souviens très bien ». Alors ! Si ça, c’est pas une preuve ? C’est en tout cas le seul témoignage crédible sur la question recensé au vingtième siècle.

Le mystère médical qui entoure le cockblock originel reste donc entier, ce qui constitue deux bonnes nouvelles. Premièrement, la fréquence statistique de ce genre de mésaventure s’avère franchement rassurante. Le risque de rester emprisonné dans madame pendant une folle partie de jambes en l’air se révèle extrêmement faible. Deuxièmement, si par malheur cela devait malgré tout vous arriver, ne paniquez pas. Appelez la presse, le British Medical Journal, la fac de médecine de la Sorbonne et votre généraliste (parce qu’on est quand même plus à l’aise de montrer ça à quelqu’un qu’on connaît). Vous verrez ; l’embarras de l’intervention médicale serait alors bien peu de chose au regard de l’aubaine d’être le premier cas humain officiellement recensé de quéquette coincée dans une foufoune de toute l’histoire de l’humanité. Ça en jette, non ?

Titulaire d'une maîtrise en cinéma, auteur d'une Porn Study à l'Université Paris VII Diderot, Clint B. est aujourd'hui chroniqueur de l'actualité porno.

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