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L’addiction au porno enfin débunkée !

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C’est peut-être la fin d’une controverse scientifique vivace depuis plus de vingt ans dans le domaine de la médecine et de la psychologie. Quatre chercheurs, Josh Grubbs, Samuel Perry, Joshua Wilt, connus pour leurs travaux sur les problèmes liés à la pornographie aux Etats-Unis, et Rory Reid, qui a conduit l’essentiel des recherches sur le trouble hypersexuel, couramment appelé addiction sexuelle, pour le DSM-5 (l’ouvrage médical de référence sur les troubles mentaux), viennent de conclure une étude sur le concept d’ « addiction à la pornographie ». Et ces spécialistes sont formels, cette notion est obsolète, invalide du point de vue scientifique. La porno-dépendance n’est pas un diagnostic médical.

Pour comprendre les enjeux d’une telle conclusion, il est essentiel de détailler les tenants et les aboutissants de la « méta-analyse » au cœur de leurs travaux. Leur démarche n’a pas consisté à interroger de potentiels patients comme lors d’une étude clinique classique, mais à compiler l’ensemble des thèses sur le sujet afin de mettre en perspective leurs résultats. Ils aboutissent ainsi à une toute nouvelle terminologie des rapports entre consommation de pornographie et troubles du comportement.

Dans leur nouvelle approche, les propriétés addictives attribuées à la pornographie, dont les symptômes comme les conséquences sont pratiquement impossibles à décrire de manière clinique, s’avèrent bien moins pertinentes que ce qu’ils appellent les PPMI, pour caractériser ces troubles. Les PPMI, ce sont les Pornography Problems due to Moral Incongruence, ou Problèmes liés à la Pornographie dus à une Dissonance Morale, en français ; et c’est précisément l’ajout de cette notion de « dissonance morale » qui fait toute la différence.

Une théorie populaire, énoncée au début des années 90 par le psychologue Al Cooper, voudrait qu’avec l’essor d’Internet, l’anonymat, mais aussi l’accessibilité technique et pécuniaire au contenu adulte aient fait exploser les problèmes d’addiction à la pornographie. Or la seule mise à l’épreuve empirique de cette théorie, effectuée en 2004, tourna en sa défaveur. L’étude démontra qu’aucun des trois facteurs énoncés : anonymat, accessibilité technique et accessibilité pécuniaire ; n’avait d’influence vérifiable sur les comportements sexuels ou les usages du porno sur Internet. En revanche, ces facteurs ont indéniablement favorisé la consommation de porno chez des personnes incapables d’accorder cette consommation avec leurs valeurs morales. De fait, l’incompatibilité entre la conception morale d’une personne et le plaisir que celle-ci prend à visionner des images pornographiques devient alors source de mal-être. D’où l’idée de dissonance morale.

En clair, si la consommation de pornographie a effectivement explosé grâce à la démocratisation du web, les seules personnes à se plaindre d’une forme d’addiction à la pornographie sont celles pour qui le porno revêt avant tout un caractère hautement immoral. De fait, et pour paraphraser les chercheurs : « la dissonance morale induite par la consommation de pornographie est invariablement le meilleur indicateur du fait que le sujet connaît des problèmes liés à sa consommation de pornographie ; et la comparaison de l’ensemble des effets révèle qu’il s’agit invariablement d’un meilleur indicateur que la pornographie elle-même. »

Les experts proposent d’ailleurs une démonstration assez flagrante de ce théorème, avec comme base, l’analyse statistique des sept milles sujets interrogés pour les besoins des différentes études menées pendant les trois dernières décennies. De façon systématique, ceux qui reconnaissent souffrir de troubles liés à leur consommation de pornographie ne sont pas ceux qui en visionnent le plus, simplement ceux qui se sentent mal à chaque fois qu’ils le font. Paradoxalement, l’importance des cas de consommation problématique sans dissonance morale revendiquée est parfaitement négligeable du point de vue statistique, bien que les chercheurs ne nient pas la probable existence de tels cas.

En plus de faire consensus auprès de la communauté scientifique, qui semble dorénavant s’accorder à bannir le concept d’addiction à la pornographie de son index des pathologies, ces nouvelles perspectives soulignent, en outre, le rapport conflictuel que notre société entretient avec la sexualité et surtout avec son expression esthétique, la pornographie : une somme d’images et de sons qui véhicule de tels stigmates que certains de ses spectateurs souffrent moins d’en consommer que de se juger d’en consommer. Et cette panique morale dépasse largement le cadre des troubles du comportement : paupérisation entretenue du X-business, condamnation des fétichismes, stigmatisation des travailleurs du sexe… Une question s’impose alors. Puisque la pornographie n’a jamais été aussi universellement populaire, ne serait-il pas temps de réécrire les fondements de nos dogmes moraux afin de l’y intégrer, pour le bien de ceux qui en vivent comme pour le salut de ceux qui en souffrent ?

 

Sources:

https://www.psychologytoday.com/us/blog/women-who-stray/201808/science-stopped-believing-in-porn-addiction-you-should-too

https://link.springer.com/article/10.1007/s10508-018-1248-x

Titulaire d'une maîtrise en cinéma, auteur d'une Porn Study à l'Université Paris VII Diderot, Clint B. est aujourd'hui chroniqueur de l'actualité porno.

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