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Bio/Milieu du X

POV : Fais l’amour à la caméra

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À l’origine simple artifice de réalisation, le POV, pour « Point Of View », est devenu au fil des années un véritable lieu commun du porno. C’est simple, on pourrait pratiquement parler de genre pornographique à part entière, les scènes qui s’y rapportent faisant bien souvent de la vue subjective la pierre angulaire de leur mise en scène, leur argument masturbatoire « number one ». Peu importe l’histoire, le lieu, la situation, l’important étant de la vivre comme si on y était. Pour preuve, l’acronyme est bien souvent placardé dans le titre des séquences, avant même que l’on sache de quoi (et de qui) il retourne. Le plan subjectif est pourtant un geste filmique mal-aimé du cinéma traditionnel quand il n’est pas tout simplement relégué aux essais expérimentaux les plus pompeux. Mais alors, qu’est-ce qui rend le POV si sexy ?

Le chibre dont vous êtes le héros

 

L’argument le plus évident en faveur de la vue subjective, c’est bien entendu l’identification du spectateur. En voyant à travers les yeux mêmes du protagoniste de la séquence, le public quitte son statut de simple témoin pour celui de héros des événements. Et quel contexte est plus propice à cette « fiction dont vous êtes le héros » qu’une bonne scène porno ? Contrairement à une idée reçue plutôt courante, un film dit « traditionnel » ne s’évertue pas à retranscrire le point de vue du personnage qu’il dépeint mais, par la composition du cadre, le montage et les échelles de plans, s’efforce de façonner les sentiments du spectateur par rapport à ce personnage : envie, peur, compassion, colère, injustice, etc., selon les intentions du réalisateur. Ainsi, il ne verse dans la vue subjective qu’à de très rares occasions. Par opposition, le porno en « point de vue » s’affranchit justement de ce niveau de lecture supplémentaire pour faire correspondre le regard du spectateur à celui du héros de la scène, le golgoth à chibre éléphantesque qui prodigue les derniers outrages sexuels à sa pornstar de partenaire, une nymphe gracile, mais vorace.

 

Résumer cet effet de manche à de la paresse narrative et de l’économie de moyens (ne nous le cachons pas, c’est en partie vrai), est toutefois injuste. La praticité du dispositif, qui fait l’économie d’une équipe technique -le hardeur est tout à la fois cadreur, ingé son et réalisateur-, n’est rien au regard de l’immersion qu’il permet. Par métonymie, ce n’est plus seulement le point de vue du performeur que partage le spectateur, ce sont aussi ses sensations. Or, c’est le propos même du cinéma porno que de faire correspondre l’orgasme de ses personnages à celui de son public. Dans ce cinéma du charnel, de l’intime, de l’organique par excellence, le POV transcende son médium en brouillant les pistes entre fiction et réalité : fiction des événements, mais réalité de la jouissance !

On a dit dans les yeux

Cette plongée est encore renforcée par un élément essentiel, le « eye-contact ». Effet cinématographique plus tabou encore que la vue subjective, le fameux « regard caméra » a été particulièrement investi par la théorie du septième art. Du regard caméra à la fin de Monika, d’Ingmar Bergman (souvent considéré comme le premier du genre dans le cinéma moderne), Jean-Luc Godard dira d’ailleurs ceci : « Il faut avoir vu « Monika » rien que pour ces extraordinaires minutes où Harriet Andersson, avant de recoucher avec un type qu’elle avait plaqué, regarde fixement la caméra, ses yeux rieurs embués de désarroi, prenant le spectateur à témoin du mépris qu’elle a d’elle-même d’opter involontairement pour l’enfer contre le ciel. C’est le plan le plus triste de l’histoire du cinéma. » Point de tristesse dans le « eye-contact » à la sauce porno, les yeux étant généralement embués de tout sauf de larmes ou de désarroi ; mais une même adresse au spectateur, une même invitation à pénétrer non pas le corps, mais l’âme de l’héroïne. A fortiori, le « regard caméra » est lié, dès ses prémices, au sexe, au désir, à l’adultère. Et pour cause, regarder droit dans l’objectif de la caméra, ce n’est pas seulement en sonder son mécanisme optique, c’est communier avec le spectateur, c’est lui faire l’amour.

 

Abolissant le décor, l’hors-champ, le POV est l’interprétation cinématographique absolue du face-à-face amoureux. La proximité virtuelle qu’il instaure par le gros plan mime naturellement la transgression de la distance intime, cette limite à partir de laquelle, au cinéma comme dans la réalité, on voit l’autre de tellement près que ses attributs deviennent irréels, monstrueux, obscènes, et donc terriblement excitants. Il n’y a qu’à voir les réalisations des grands maîtres du genre que sont Rocco Siffredi ou Manuel Ferrara pour se rendre compte de la dimension éminemment charnelle du procédé.

Crazy in POV

 

Mais si le POV est si adapté à la représentation de l’interaction sexuelle, pourquoi la technique n’a-t-elle pas phagocyté tout le porno ? L’étendue des fantasmes pornographiques est immense et tous les spectateurs n’aspirent pas aux mêmes. En outre, l’immersion totale a ses limites. Elle cohabite par exemple assez mal avec d’autres dispositifs techniques, pour des questions de cadrage ou de confort du public. Le gros plan et le très gros plan rendent assez mal tout le décorum, le jeu et la dramaturgie d’une scène BDSM. De même, il peut-être assez dérangeant pour certains spectateurs d’avoir le sentiment de partager les orifices de l’actrice de leurs rêves avec d’autres lascars, lors d’une séquence de gang bang filmé depuis le point de vue de l’un de ses participants.

 

Le POV est donc la technique phare du gonzo, où seule compte la dimension viscérale de l’acte sexuel, reléguant, décor, contexte et narration au second plan ; le sexe au plus près du réel, un point c’est tout. Quant à savoir si le POV est sexiste, selon l’argument réduisant benoîtement ce genre à l’analyse  homme-sujet/femme-objet ; relativisons un peu. Déjà, parce que la pornographie gay s’est particulièrement bien accommodée du POV, sans que cela ne remette en question les fondements de ce dispositif. Ensuite, parce que cet argument est avant tout la problématique du porno dans son ensemble, (phallo-)centré autour du pénis et du triptyque fellation-levrette-éjaculation ; une dialectique dont même le POV dit « féminin » -donc filmé depuis le point de vue de madame- peine à s’extraire, montrant, lui aussi, essentiellement des gros plans de quéquette.

Titulaire d'une maîtrise en cinéma, auteur d'une Porn Study à l'Université Paris VII Diderot, Clint B. est aujourd'hui chroniqueur de l'actualité porno.

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