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Mindgeek lance une campagne judiciaire contre le piratage de son porno

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Il faut pouvoir le dire sans s’étouffer. Mindgeek, la holding propriétaire des tubes gratuits Pornhub,  Youporn et Redtube, se met en branle contre le piratage du porno. Le piratage de tout le porno ? Bien sûr que non ; seulement celui qui concerne les scènes produites par les studios qu’elle possède (Brazzers, pour n’en citer qu’un). L’équipe juridique de la société MG Premium s’est ainsi illustrée, cette semaine, à travers deux initiatives particulièrement médiatisées : une plainte contre le site YesPornPlease, et la mise en demeure de près de 17 000 internautes suédois (16 594 adresses IP localisées en Suède, en tout cas) qui partagent illégalement ses films via BitTorrent.

Les recours juridiques contre les sites porno pirates sont suffisamment rares pour être remarquées. Le Web est une telle jungle qu’habituellement, le bras de fer entre producteurs et usurpateurs se joue sur le terrain du référencement, avec le tout puissant Google pour juge de paix. Soit le pirate est relégué aux tréfonds des annuaires de recherches, s’éteignant mollement faute de trafic ; soit il s’installe, au grand dam de ceux qu’il pille. Il peut alors jouer la carte de la légalité. En tant qu’hébergeur, il n’est pas tenu de vérifier les contenus qu’il distribue, simplement de les dépublier sur demande des ayant-droits (la fameuse requête DMCA). Mais il est tenu d’obtempérer, sans quoi il peut avoir affaire à la justice.

C’est là qu’intervient la plainte de MG Premium à l’encontre de YesPornPlease/Vshare.io (le site primordial dont YesPornPlease est finalement la vitrine). Mindgeek rapporte ainsi plus de 3000 infractions au droit d’auteur à la justice américaine, soit plus de 60 pages de résultats sur la plateforme incriminée, toutes ses requêtes à l’amiable étant restées lettre morte. Bien connu des productions du monde entier pour l’insolente impunité de son pillage, YesPornPlease est l’archétype du site pirate décomplexé comptant sur l’anarchie du Net pour prospérer. Toutes les plus basses manœuvres sont bonnes, relate l’accusation : procédure d’upload opaque et indirecte, visant à couvrir les téléchargements illicites ; incitation des utilisateurs au partage de contenus volés ; adresse de signalement DMCA bidon, pour sauver les apparences. Sauf que ce n’est pas au vieux singe qu’on apprend à faire la grimace. Et le groupe MindGeek, passé maître dans l’exploitation « raisonnée » et « légale » des œuvres des autres, via ses tubes, connaît toutes les ficelles, y compris celles qui permettent de toujours se trouver du bon côté de la loi. En outre, il voit d’un très mauvais œil qu’un soudard de la première heure vienne marcher sur ses platebandes, en se gavant au passage des séquences dont ses studios sont propriétaires.

Fais ce que je dis, pas ce que je fais…

MG Premium formule donc une plainte faisant le détail précis et circonstancié des magouilles de son confrère (et pour cause) ; un recours légal clé-en-main pour quiconque souhaiterait faire tomber un hébergeur un peu trop gourmand. Comble de l’ironie, nombre d’arguments apportés par l’accusation pourrait être retenus, stricto sensu, contre d’autres plateformes beaucoup moins étrangères à MindGeek. Petit florilège :

Sous couvert d’agir en distributeur d’ « user-generated content » (une plateforme de contribution amateur, ndlr), les accusés sont en fait directement et sciemment impliqués dans le trafic de dizaines de milliers de travaux piratés…

En vertu de la conduite suggérée ici, les accusés, en connaissance de cause, promeuvent, participent, facilitent, assistent, permettent, contribuent matériellement, encouragent et induisent les infractions au droit d’auteur et ce faisant ont enfreint, directement ou indirectement, et induit par l’intermédiaire d’autres l’infraction à la propriété intellectuelle des travaux protégés des plaignants…

Les accusés ont fait preuve d’une conduite intentionnelle, consciente, négligente ou volontairement aveugle suffisante pour démontrer qu’ils ont activement entrepris la collecte et la distribution des travaux protégés des plaignants…

Les accusés étaient conscients, activement ou progressivement, auraient du être conscients ou se sont montrés volontairement aveugles au fait que ce matériel protégé piraté était parmi les vidéos les plus populaires sur leur site Web…

Que ceux qui ont reconnu une célèbre plateforme de streaming lèvent la main.

Toute ressemblance avec d’autres plateformes serait purement fortuite.

Hypocrisie ou non, le plaignant réclame 150 000 dollars de dommages et intérêts par titre piraté (le maximum prévu par la loi américaine). À moins que YesPornPlease ne dispose d’une trésorerie d’un demi-milliard de dollars, on devrait assister à la dissolution du site, puis à sa résurrection, sous un autre nom, une autre adresse, un autre compte off-shore, jusqu’à la mise en examen suivante. Et ainsi de suite…

Bons baisers de Stockholm

Parallèlement, MG Premium s’attaque au BitTorrent en Suède, comme le révèle en premier lieu le site spécialisé TorrentFreak. La législation là-bas donne en effet la possibilité aux ayant-droits d’exiger auprès des fournisseurs d’accès les coordonnées des utilisateurs partageant frauduleusement leur propriété intellectuelle sur le réseau, afin d’engager des procédures au cas par cas. C’est ainsi que MindGeek a obtenu de la cours suédoise huit autorisations, lui permettant de réclamer l’identification de 16 594 adresses IP auprès des opérateurs concernés. Dans la foulée, le service contentieux de MG Premium a fait parvenir, par voie postale, une proposition de conciliation à l’attention des individus coupables d’avoir mis à disposition ses « films érotiques » sur la toile. Les termes de la reddition sont limpides : soit l’intéressé envoie immédiatement un joli chèque de 7 000 couronnes suédoises (environ 660 euros) à MindGeek, soit il s’expose à la poursuite des accusations devant un tribunal. Un petit coup de calculette plus tard et l’on aboutit à un gain net de 11 millions d’euros en faveur de l’expéditeur, moins le papier et l’encre…

C’est d’ailleurs ce que reproche l’opérateur Bahnhof, très à cheval sur la protection des internautes, à MG Premium : de camoufler une vaste opération « d’extorsion » sous les atours de la lutte contre le piratage, à la faveur d’une législation permissive. Par retour de communiqué, le géant du porno plaide quant à lui le test grandeur nature et promet d’ajuster ses stratégies dans « la perspective de protéger des milliers de productions audiovisuelles sous licence des infractions flagrantes. (…) Selon les cas, ces méthodes peuvent amener à cibler les administrateurs de sites, les vendeurs soutenant ces administrateurs et, dans certains contextes, les utilisateurs finaux qui partagent des contenus piratés ou en tirent avantage. » Bref, il n’exclut aucun recours. Enfin, sauf les utilisateurs de VPN, comme le fait très justement remarquer TorrentFreak. Il faut dire qu’en propriétaire du service VPNHub, qui permet à ses utilisateurs de masquer leurs adresses IP, il serait malvenu de la part de MindGeek de cracher dans la soupe.

En définitive, la grande campagne contre le piratage entreprise par MindGeek n’a pas pour vocation à suturer l’hémorragie économique dont souffre le porno ; seulement à préserver les intérêts de la firme, rappeler son hégémonie et bander les muscles. Elle fait ainsi valoir son statut de grand ordonnateur légal du business, délimitant les pratiques licites (le « piratage par omission » qui fait le succès de Pornhub) des manœuvres frauduleuses (le piratage des films Brazzers), en récoltant au passage quelques millions de dollars. Il s’agit paradoxalement de l’ultime aveu de faiblesse du porno gratuit, un business dont les acteurs sont condamnés à s’entre-dévorer perpétuellement à la faveur d’absurdes contorsions juridiques destinées à déguiser l’évidence : l’immanente nécessité de rémunérer le X. De fait, en s’aventurant sur le terrain légal, sur le banc des plaignants cette fois-ci, la multinationale MindGeek établit la charte de bonne conduite de tout hébergeur réglementaire. Elle devra désormais en répondre.

Titulaire d'une maîtrise en cinéma, auteur d'une Porn Study à l'Université Paris VII Diderot, Clint B. est aujourd'hui chroniqueur de l'actualité porno.

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