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Pornhub pourra-t-il s’en remettre ?

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Le site Pornhub est passé de presque 13 millions de vidéos disponibles début décembre à moins de 3 millions. Avec plus de 75% de contenus en moins, la plateforme qui fait la loi sur le porn mondial depuis une décennie est vidée de sa substance. Pourra-t-elle s’en remettre ? Rien n’est moins sûr, d’autant que le jadis symbole du porno gratos sur le net fait figure d’exemple à punir. Décryptage.

Il était une fois Plata o plomo… L’argent ou le plomb. Le deal que proposait Pablo Escobar à ceux qui étaient sur sa route. Au tournant des années 2000, c’était à peu de choses près le deal que proposait Pornhub aux studios porno. En filigrane, les termes de l’accord n’avaient rien du gentlemen’s Agreement : « soit on vous rachète à nos conditions, soit on piratera votre contenu et vous ne vaudrez plus rien ». Ce mélange de chantage et de politique de la terre brûlée a fonctionné au-delà de toutes les espérances. Les boîtes se sont littéralement offertes par dizaines au géant canadien : Digital Playground, Reality Kings, Playboy… Ceux qui résistèrent à ce diktat en ressortirent rincés, furent obligés de collaborer d’une manière ou d’une autre, ou mirent carrément la clé sous la porte. La bataille dura quelques années et cessa, faute de combattant. Les pornocrates pouvaient s’étriper entre eux, après tout, personne n’en avait rien à foutre. Jusqu’en décembre 2020 donc, tout roulait. Pornhub s’était même rachetée une virginité, finançait des sondages, des programmes d’éducation et faisait du lobbying politique. Le grand Satan s’était mué en L’Abbé Pierre. Les bobos pouvaient acheter des casquettes, des sweats, des porte-clés avec le code couleur noir/blanc/orange de la marque. À l’instar de Netflix, la plateforme était devenue plus célèbre que les films qu’elle diffusait.

Bien mal acquis…

Un seul article de presse a suffi pour mettre le roi à nu. Un éditorial daté du 4 décembre de Nicholas Kristof dans le New York Times, le plus sérieux et respecté quotidien du monde (preuve si besoin était encore que le porteur du message est au moins aussi important que le message lui-même…). Un article à charge, baptisé « The Children of Pornhub » accusant Pornhub et ses sites sœurs de ne pas (ou mal) modérer le contenu diffusé. Revenge porn, vidéos pédophiles, viols : on trouverait toujours des milliers de vidéos criminelles uploadées par les utilisateurs sur la plateforme. L’article de presse est repris par tous les médias du monde. Les réseaux sociaux se déchaînent. Le scandale monte en haut lieu. C’est la panique à Montréal, au QG opérationnel de Mindgeek, la holding qui détient Pornhub et ses sites sœurs. Le début du grand nettoyage et un juste retour des choses. Car il faudrait être un grand naïf pour plaindre les Canadiens. Ils n’ont pensé qu’au fric des années durant et à aucun moment ils n’auraient pris le problème à bras-le-corps, si un journaliste activiste n’avait pas soulevé le lièvre. L’upload gratos de contenus était leur produit d’appel, ce qui leur permettait de gonfler artificiellement le nombre des updates et donc le trafic. Toutes celles et ceux qui voulaient faire retirer des vidéos devaient faire face à un parcours du combattant. Dorénavant, c’est tout le contraire. Dans le doute, tous les contenus amat’, homemade voire tout simplement moches à leurs yeux sont virés. Sur la partie premium de la plateforme, à peine plus de 268 000 vidéos sont disponibles.

 

Visa-Mastercard et le bouton nucléaire

Espèce d’hydre symptomatique de la mondialisation appliquée au porn, Mindgeek a son siège opérationnel au Canada, son siège social au Luxembourg et paye ses ayants-droits en dollars depuis Chypre. On y est donc au moins autant spécialisé porno qu’optimisation fiscale et gestion de biens. Sur ce point, l’article de presse a porté à la plateforme ce qui est sans doute le coup le plus dur : l’annonce par Mastercard et Visa que leurs cartes de crédit ne pourront plus être utilisées sur Pornhub, vaisseau amiral de Mindgeek. L’unique possibilité pour ceux qui veulent s’y abonner : le virement bancaire, autant dire que peu de monde va s’amuser à fournir son numéro de compte. Au niveau des revenus, seules restent donc les recettes publicitaires, ce qui fait une drôle de galipette même pour des génies du web business. Autre conséquence du tarissement des rentrées : les producteurs et les modèles qui pensaient encaisser leur rente avec leurs vidéos l’ont dans le petit. Réajusté mensuellement, le taux de partage pour 1000 vues (et qui détermine ce qui est reversé aux prod) a diminué de 60 % en décembre, par exemple, sans que les intéressés soient prévenus. Il se murmure même que des paiements de Mindgeek pour ses ayants-droits ont été refusés ce mois-ci par les banques pour cause de non couverture. Ça craint…

Une chasse aux sorcières

Un autre adage de l’histoire est qu’il ne faut jamais se réjouir du malheur d’autrui. Car derrière cette Bérézina, l’ombre de la censure plane. À travers un communiqué, Pornhub s’est dit victime d’un complot ourdi par deux organisations qui voudraient sa peau : Exodus Cry et le National Center on Sexual Exploitation. La première est un groupe évangéliste pro-Trump et la seconde était auparavant connue sous le nom de Morality in Media. Certes, le journaliste du NYT qui a mis le feu aux poudres n’en est pas à sa première charge contre le porn, mais pour le coup, la panique de Pornhub et son empressement à gicler les trois quarts de son catalogue est plutôt de nature à étayer les accusations de Kristof sur son laxisme. La négligence finit toujours par se payer cher… En parallèle et en pleine passation de pouvoir Trump-Biden, le scandale a pris des proportions politiques et donne du grain à moudre aux opposants du porno. Au congrès, Démocrates et Républicains commencent à se réunir au-delà des clivages pour proposer des projets modifiant la loi de 1996 relative à la liberté d’expression sur Internet. Connue comme le Premier amendement du web, cette loi qui garantit les libertés digitales fondamentales à une valeur quasi constitutionnelle. Autant dire qu’il ne faut y toucher qu’en tremblant, pour paraphraser Montesquieu. Pas sûr que son sens politique soit la qualité la plus partagée.

Journaliste professionnel depuis 2003. Rédacteur du magazine Hot Video de 2007 à 2014.

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