Fin de la récréation pour Unlockt ?

L’application française est de plus en plus utilisée par les créateurs pour vendre des contenus explicites. Problème, elle l’interdit formellement dans ses conditions d’utilisation. Un usage détourné qui place l’entreprise dans une situation délicate, au risque de connaitre le même sort que Tumblr. 

En avril 2024, Unlockt a atteint les deux millions de téléchargements sur l’AppStore et le PlayStore. Un succès basé notamment sur la simplicité de son fonctionnement.

Less is more

Pour vendre du contenu sur Unlockt, il suffit de l’héberger sur l’appli et de partager un lien de téléchargement qui permettra de l’acquérir au prix fixé. Pas d’abonnement, de live ou autre, une extrême simplicité qui séduit vendeurs et acheteurs à l’heure où les plateformes empilent les fonctionnalités pour tenter de se démarquer. 

Derrière cette réussite, on retrouve Valentin Reverdi, un entrepreneur en série dont les précédents projets ont connu des fortunes diverses. On citera l’agence de publicité Cougar, fondée avec le vidéaste Sofyan Boudouni et qui a notamment représenté Seb La Frite, active pendant à peine un an et dont le nom de domaine renvoie désormais vers un site de comparateur de casinos en ligne. Ou encore l’appli Vertical, lancée en grande pompe à l’été 2017, toujours avec Sofyan Boudouni et toujours avec la présence de Seb La Frite, abandonnée en décembre de la même année.

Outre sa simplicité d’utilisation et l’expérience de son fondateur, Unlockt peut s’appuyer sur une communication bien rôdée. Les posts Tiktok réalisés par des influenceurs pour vanter les qualités de l’application sont nombreux. S’agit-il d’ailleurs de partenariats rémunérés ? En tout cas les posts en question ne le précisent pas, malgré l’obligation légale à ce sujet et nos questions à ce sujet sont restées sans réponse, tant à Unlockt qu’aux influenceurs concernés.

Vendre ses cours, vraiment ? 

L’entreprise annonce que l’application est pensée pour les étudiants qui voudraient vendre leurs cours. Un positionnement dont le modèle économique semble pour le moins farfelu. Unlockt annonce en effet sur son compte officiel Tiktok, dans un post daté du 4 octobre 2023, que ses utilisateurs gagnent en moyenne $200 par semaine en vendant leurs contenus. Soit $9600 par an pour un étudiant qui monnayerait ses prises de notes d’histoire de la poterie précolombienne à ses petits camarades d’université.

Le mécanisme est désormais bien connu. Beaucoup de plateformes, par une hypocrisie mêlée d’ingratitude, choisissent d’invisibiliser la part prépondérante des TDS dans leur modèle économique et préfèrent mettre en avant des profs de yoga ou des voyants, voire des étudiants dans le cas d’Unlockt, qui représentent pourtant une infime partie de leurs revenus

Évidemment la réalité est tout autre et l’application est majoritairement utilisée pour échanger des contenus explicites. Ce malgré l’interdiction de vendre de tels contenus, inscrite noir sur blanc dans les conditions d’utilisation. Une interdiction sans laquelle l’application ne pourrait être présente sur l’AppStore ou le PlayStore.

Extrait des conditions d’utilisation d’Unlockt

Dès le lancement de l’App Store en 2010, Steve Jobs avait été catégorique sur le sujet :  « Les gens qui veulent du porno peuvent acheter un téléphone Android. » Quatre ans plus tard, Google s’alignait sur Apple et interdisait à son tour toute application pornographique ou érotique sur le PlayStore. Ces deux magasins représentant un duopole absolu sur les applications mobiles, même si le Digital Market Act tente de briser cette hégémonie en ouvrant le marché à d’autres acteurs, il est impossible de télécharger une application à caractère sexuel ou érotique.

Cela explique notamment pourquoi OnlyFans ne possède pas d’application, mais est par contre présent sur les stores via OFTV, une version safe for work où les contenus explicites sont interdits. 

À qui la faute ?

Malgré l’interdiction de vente de contenus explicites inscrite dans les conditions d’utilisation d’Unlockt, qui est à blâmer si cela arrive ? La plateforme doit-elle modérer le contenu, et réagir si des contenus interdits sont partagés, notamment en supprimant les comptes des utilisateurs concernés ?

Dans les conditions d’utilisation, il est expliqué qu’en cas de contenu illicite, la personne qui achète le contenu en question doit informer Unlockt via une procédure bien spécifique, qui le supprimera si l’infraction est avérée. Si cela n’est pas fait dans les règles, Unlockt considère de facto ne pas être au courant de l’existence de ce contenu et n’est donc ne pas être tenu de procéder à son retrait. En outre, l’utilisateur s’engage à ne pas télécharger du contenu s’il est conscient de la nature explicite de ce dernier. Enfin, Unlockt prévient qu’il n’agit qu’en hébergeur de contenu, n’effectue pas de modération et ne peut pas être tenu responsable si du contenu illicite est partagé, sauf s’il en a été informé via la procédure décrite plus haut.

Il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir

Pourtant, il suffit de parcourir les posts effectués sur les réseaux sociaux par des comptes offrant un lien de téléchargement Unlockt pour se rendre compte de la nature des contenus. Contenus sur lesquels Unlockt touche une commission de 20%. À l’image d’Onlyfans, MYM ou Swame, ces contenus explicites représentent l’immense majorité des échanges et par extension l’immense majorité du chiffre d’affaires de l’entreprise.

Alors l’AppStore et le PlayStore vont-ils siffler la fin de la récréation en bannissant l’appli ? En 2018, Tumblr avait été supprimé de l’AppStore et n’avait pu le réintégrer qu’en interdisant réellement les contenus explicites, donc en mettant en place une modération effective.

Cette disparition des contenus explicites a fait plonger le trafic de Tumblr et a entrainé sa chute quelques mois plus tard. À voir si Unlockt subira le même sort…