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Les cinémas pour adultes passent hors-champ ?

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Transformés en crèche ou en karaoké, les cinémas pornographiques ont tous baissé le rideau face à l’offre de contenus en ligne. Tous sauf un. 

Je me souviens que ces films étaient tournés en 35 mm, avec un scénario. Je me souviens que les seins des actrices étaient vrais, mais que leurs poils l’étaient tout autant. Je me souviens de Giscard descendant les Champs-Elysées devant les affiches de films pornos. Je me souviens qu’on a quand même bien rigolé à l’époque.

Le synopsis du film L’âge d’or du X sent les fauteuils de skaï et les kleenex vendus comme des pop-corns, les tickets en papier à l’encre baveuse et le rideau de velours rouge comme une frontière. Un âge d’or du film pour adultes et de ses salles de projections, les cinémas pornographiques. Beaux jours bien lointains, en témoigne l’annonce en septembre de la fermeture du Moderne à Lausanne. C’est la fin de plus de 75 ans de diffusion de coïts, 1 300 places dont un balcon de 400 sièges, et du rang de dernier cinéma pornographique de suisse romande. Le lieu va radicalement changer d’usage puisque sa réhabilitation est destinée à l’ouverture… d’une crèche. 

“La France porno”

De l’autre côté de la frontière aussi, les cinémas pornographiques sont devenus des raretés, monuments presque historiques, témoignages d’une époque révolue. L’époque où films traditionnels et films érotiques se partagaient l’affiche, d’abord. En 1974, le président de la République Valéry Giscard d’Estaing réforme le cinéma pour adultes. La mise en place d’une censure moins stricte et d’aides publiques encourage la créativité lascive, une vague impudique envahit les grands écrans. Réalisateurs et producteurs s’en donnent à coeur joie : sur 501 longs métrages distribués dans l’Hexagone, 128 sont des films dits “érotiques” qui réalisent 16 % des entrées.

 “Parfois, une file d’attente se formait le dimanche le long de la rue Anatole-France”, se souvient dans Var Matin un Toulonnais au sujet du Pax, cinéma érotique dont la réhabilitation en karaoké géant s’est achevée fin septembre. Il y a même des cinéma où elle prend le pas sur la production traditionnelle : “9 films sur 12 certaines semaines à Metz !”, comptabilise le Républicain lorrain

La même année, le fauteuil en rotin d’Emmanuelle est projeté au grand public et provoque des érections massives. Paris Match consacre une couverture à cette atmosphère de débauche : la photographie de trois respectables aïeules devant une affiche explicite et un titre “La France porno”. Des salles s’ouvrent plus ou moins sauvagement pour diffuser Les Tripoteuses, Rêves humides ou Ma femme vous plaît, j’adore la vôtre

7 000 entrées par semaine
Les onanistes se réjouissent mais une partie de l’opinion publique s’offusque de cette immoralité en 35 mm. La fin de la récréation sera vite sifflée. En octobre 1975, après un très joli lapsus à l’Assemblée qui fait dire à un député “M. le ministre, durcissez votre sexe ! Euh pardon, votre texte !”, la “loi X” est introduite. Elle entraîne un changement de taxation, la fin des aides publiques, l’interdiction d’affichage et surtout une distribution réservée aux salles spécialisées, définies par le Centre national du cinéma (CNC). Une mise à mort législative qui ostracise le cinéma pornographique et le confine à un circuit de distribution en marge.  

De nombreux cinémas de quartier y voient une chance de résister face au développement des multisalles – plus grandes, plus confortables – et se reconvertissent. La France compte alors 158 salles spécialisées, en grande partie situées dans la capitale. L’un de ces temples, le Beverley, cumule 7 000 entrées par semaine. “Le grand avantage de ce genre de lieux, c’est que tout était possible: la rapidité et l’anonymat décomplexaient les spectateurs. Les relations sexuelles qui pouvaient y avoir étaient plutôt des échanges manuels et buccaux”, raconte Jean-Pierre, un ancien régulier des salles obscures à Salles-cinema. Le public est majoritairement masculin mais bigarré, “les caisses des cinémas pornos accueillaient toutes classes sociales confondues”. 

“Un temple du libertinage qui ferme”

Les bobines et les esprits chauffent… jusqu’à la seconde moitié des années 1980. Petites merveilles de technologies, les magnétoscopes envahissent les salons et les cassettes s’empilent. Plus besoin d’aller consulter les affiches, acheter un ticket, s’installer sur des sièges douteux pour admirer l’œuvre de chair. Elle est disponible là, dans le confort et la discrétion de son chez-soi. Derrière un rideau de perles et un avertissement, des pans de murs débordant de cassettes sont dédiés à l’érotisme et la pornographie dans les vidéos-clubs. “Le moment où l’on avait droit de pénétrer dans ce rayon et où le fantasme commençait, alors qu’on avait pas encore eu une seule image à se mettre sous les yeux”, raconte Guillaume Le Disez à La Voix du X. Les cinémas pornographiques encaissent le coup : il ne reste alors qu’une vingtaine de salles ouvertes à Paris et la fréquentation y est en baisse.  

La démocratisation d’Internet (avec un charmant intermède Minitel rose) et l’accès presque illimité aux contenus pour adultes sera le dernier clou dans le cercueil des salles X. Ces dernières années, les fermetures des ultimes résistants se sont succédé dans la capitale comme ailleurs. La Scala, Le Méry, Le Ritz, L’Amsterdam-Pigalle, Hollywood Boulevard… Le mythique Beverley, passé à seulement 500 entrées hebdomadaires, a donné sa dernière séance en 2019. “C’est le dernier temple du libertinage à l’ancienne qui ferme. Dommage ! Ces lieux servaient d’exutoire ! Il ne reste plus que les sites pornos… “, regrette Maxime, un habitué. 

Le dernier cinéma pornographique de France

À Paris, il semble ne rester que les souvenirs de L’Atlas. Sans agrément CNC, le lieu n’est officiellement plus un cinéma pornographique mais ses salles sont toujours ouvertes, accessibles aux corps avides de partage. “Un super lundi après-midi, du monde, des queues, du jus. Parfait. A refaire très vite, merci Messieurs”, commente un spectateur. 

Pour trouver le “dernier cinéma pornographique” de France, il faut se rendre à Bordeaux où le Complexe Aquitain résiste encore et toujours. Cours de la Marne, la façade de néons rouge presque anachronique dissimule un univers multiple : deux salles de cinéma, espace bar, sexshop, partie club échangiste ou BDSM, cabines de projection privées, spectacles et soirées thématiques, concerts de reggae et événements gang-bang ou bukkake… Le bâtiment centenaire, qui abritait jusqu’en 1980 un cinéma UGC des plus traditionnels, est un véritable temple du sexe. Ouverture tous les jours de la semaine avec un ticket d’entrée illimité, la promesse de plaisirs infinis. Le Complexe Aquitain est une joyeuse anomalie dans un paysage fait d’annonces de réhabilitation d’anciennes salles obscures. 

Effeuillage public et rencontres privées

Sa longévité tient peut-être dans sa volonté d’être “libertin” avant d’être pornographique. Soirées à thème “grands tatoués”, exhibition, gays et lesbiennes ou “no limit” se succèdent dans la salle à l’étage, où préside le mythique fauteuil en rotin d’Emmanuelle. Les liens se créent, les couples plus ou moins légitimes batifolent et reviennent se faire une toile lors des journées qui leur sont consacrées (homosexuel et bisexuel le lundi, mixte le jeudi et mardi). “L’avantage du cinéma, c’est qu’on peut faire des rencontres. Bon aujourd’hui, comme je suis hétéro ce n’est pas de chance pour moi, donc je zone un peu. Mais j’avais une longue pause dans mon boulot donc je suis venu. Je viens environ une fois par semaine, même si je trouve la clientèle plus jeune dans les bars libertins qu’ici”, explique Serge, un habitué, à Rue89

Comme beaucoup, il vient à la recherche d’une “belle surprise”, une compagne de salle obscure suffisamment cordiale pour partager un moment voluptueux. Car les échanges entre spectateurs sont inhérents à l’expérience du cinéma érotico-pornographique. Dans l’ouvrage Beverley, le dernier porno de Paris, un spectateur de l’époque se remémore ces instants : « Dans les salles, il n’était pas rare que des femmes y montrent volontiers leurs avantages (…) Une femme splendide qui, devant son mari, proposa sans souci devant l’écran un effeuillage pour le plus grand bonheur des spectateurs, arrêtée par la direction à l’instant où elle sortit un sex-toy. » 

Des décennies plus tard, au Complexe Aquitain, l’équipe porte toujours un œil attentif à ce qui se déroule dans l’obscurité, s’assurant de la bonne tenue des étreintes et de leur aspect consenti.  “On ne peut pas empêcher les gens de s’approcher et de draguer, mais dans l’ensemble ils sont quand même très respectueux”, note Yann, le gérant, dans le même article. Respect et discrétion – les demandes d’interview sont restées lettre morte, les communications sur les réseaux réduites au strict minimum. Le “dernier cinéma pornographique de France” préserve en silence l’héritage de l’onanisme vintage. Pour vivre heureux – et longtemps, il faut bien vivre un peu caché.  

 

Sources : “Entre deux régimes de censure: Le cinéma pornographique en France, 1974-1975” – Edward Ousselin, “Gloire et déclin des salles XXX” – Francis Bordat, INA, Le Républicain Lorrain, Var Matin, Le Matin, France Culture, Ze Cinema, Salles-cinema, Rue89, Le Parisien, Le Figaro.

Après plusieurs années en tant que pigiste dans un média régional, Rodrigue se lance dans le milieu du X.

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