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Poilorama : touffu, mais pas rasoir !

Arte propose, sur son site Internet, une étonnante websérie documentaire, Poilorama, dix épisodes de cinq minutes consacrés à un élément souvent mal aimé de notre anatomie : le poil. Cette création expérimentale, nerveuse et décalée, intègre avec talent la culture geek dans le genre du docu. Poilorama nous explique comment, à force d’offensive marketing et de culture porn, le lisse a fini par triompher dans nos sociétés. Nous avons rencontré la talentueuse journaliste Emmanuelle Julien, auteure et co-réalisatrice (avec Olivier Dubois) de la série.
Propos recueillis par Pierre Des Esseintes.
La Voix du X : Comment est venue l’idée de ce sujet ?
Emmanuelle Julien : Toutes les femmes disent qu’elles s’épilent parce que c’est leur choix. Le problème, c’est qu’elles font toutes le même choix. Avec mon équipe, nous nous sommes demandé si c’en était vraiment un. Il y a un problème de liberté, et de conditionnement. Les femmes, et de plus en plus d’hommes, consacrent du temps et de l’argent à l’épilation. Nous avons voulu chercher les raisons de ce conditionnement. Moi-même, il m’arrive de me demander pourquoi je fais ces gestes-là. Pourquoi les gens y passent-ils autant de temps ? Qu’est-ce qui se passe dans leur tête, dans l’intimité de leur salle de bains ? Pourquoi supportent-ils la douleur que cela implique ? Contrairement à ce que le marketing veut nous faire croire, il ne s’agit pas d’un soin du corps…
Dans Poilorama, vous parlez surtout de l’épilation du pubis?
Je parle des zones intimes, des poils du pubis, mais aussi ceux des aisselles, et même de la barbe.
« Le diktat du lisse c’est : pas de poils, pas de graisse, pas de rides… On veut des gens minces, lisses, et jeunes. »
Dans la série, il est longuement question de l’obsession de notre époque pour le lisse…
Oui. Le diktat du lisse c’est : pas de poils, pas de graisse, pas de rides… On veut des gens minces, lisses, et jeunes. C’est ce qu’on nous vend dans la presse, dans la publicité.
Pourtant, ça fait très longtemps que les humains cherchent à se débarrasser de leurs poils. Les égyptiens étaient déjà intégralement épilés.
Oui, mais l’aristocratie seulement ! L’épilation a souvent été le privilège des castes supérieures. Les esclaves ne s’épilaient pas.
L’absence de poils est donc liée à la domination ?
Pas toujours. L’épilation peut être un signe de soumission. Raser quelqu’un c’est parfois le soumettre. On retrouve cela avec les femmes tondues à la libération. Et aussi dans certaines pratiques SM. Le dominant rase sa soumise. Cela se retrouve un peu avec la barbe en politique. Par exemple, on a longtemps associé la barbe avec la sagesse, l’autorité. Mais cela a disparu après la première guerre mondiale. Dans la Ve République, plus un seul homme politique n’a de barbe. Quand Sarkozy s’éloigne de la politique, il dit qu’il arrête de se raser. Mais si un homme est dans la conquête du pouvoir, il se rase.
Revenons à l’épilation du pubis. A partir de quelle époque est-elle arrivée en Occident ?
Au Moyen Âge, les chrétiens ne s’épilaient pas. On ne touche pas à l’œuvre de Dieu ! Mais lorsqu’ils sont partis en Croisades en Orient, ils ont découvert des femmes intégralement épilées. Ils ont ramené l’épilation en Europe. Cela se faisait dans les étuves. Mais ces lieux abritaient souvent la prostitution et ont fini par être interdits. L’épilation est passée de mode, pour revenir en force au début du XXe siècle, notamment avec Gillette, qui a lancé en 1915 la « campagne des aisselles » (« the great underarm campaign »). Gillette vendait des rasoirs aux hommes, il a donc voulu aussi en vendre aux femmes. La société a lancé une campagne extrêmement agressive de marketing «genré» : le Milady décolleté. C’était aussi le début des magazines féminins. Ces magazines n’ont jamais voulu apprendre des choses aux femmes, il s’agissait dès le début de leur vendre des produits. D’abord, par des publicités ciblant des femmes de la haute société, lectrices du Harper’s Bazaar. Les publicités dans ce magazine comparaient les femmes qui ne s’épilaient pas à des chiens : si vous ne vous épilez pas, vous serez « comme un chien » ! Votre mari va vous quitter ! Ce sont donc les riches, les people de l’époque qui ont donné le ton. Puis, la mode de l’épilation a touché des milieux plus populaires.
Les partisans du lisse soutiennent souvent que le poil, c’est sale…
C’est un point très important. Le poil est souvent situé près des orifices du corps. On associe le poil à la saleté, aux sécrétions, aux excréments. Or, avec l’aide du marketing, on va jeter le poil avec l’eau du bain. On va considérer que le poil est sale, lui aussi. Évidemment, le poil n’est pas sale en soi. Il est juste situé près d’endroits qui peuvent l’être. Le poil, associé à la saleté, est une construction cosmétique culturelle. Le poil fait transpirer, il provoque une macération. On va alors enlever le poil, et appliquer sur son corps lisse des produits désodorisants. Souvent dangereux, d’ailleurs.
« Les régimes totalitaires représentent souvent le corps sans poils. On associe le lisse, le net, avec l’ordre. »
Dans votre documentaire, Christian Bromberger, anthropologue, affirme que le lisse serait le symptôme d’une société totalitaire…
Les régimes totalitaires représentent souvent le corps sans poils. On associe le lisse, le net, avec l’ordre. Pas un poil ne doit dépasser !
Votre documentaire adopte-t-il un parti-pris de réhabilitation du poil ?
Non, nous nous ne sommes ni pro ni anti poil. On peut avoir l’impression que nous défendons le poil, mais nous ne faisons que parler de quelque chose qui se voit de moins en moins. Nous aurions pu faire un documentaire sur le lisse. Mais le lisse est partout autour de nous, en parler n’aurait pas d’intérêt. Nous, nous voulions expliquer pourquoi on chasse le poil.
Dans toute la série, une seule personne défend ouvertement le lisse…
Oui, l’artiste suisse Milo Moiré. C’était d’ailleurs compliqué de trouver quelqu’un qui parle du lisse en tant qu’artiste. On voulait quelqu’un qui représente le lisse pas seulement en termes d’épilation, mais aussi de jeunesse et de minceur.
À quel moment cette mode du lisse s’est-elle généralisée ?
Le diktat du lisse s’est vraiment imposé à la fin des années 90, début des années 2000. L’époque du porno chic. D’ailleurs, quand nous avons démarré notre enquête, tout le monde nous disait : « le lisse, c’est la faute du porno !». C’est vrai que le porno est en grande partie responsable de la disparition des poils. Mais ce qui est intéressant, c’est que ce ne sont pas les producteurs qui ont imposé ça aux femmes. Ce sont les femmes qui sont arrivées épilées sur les plateaux ! Je me suis rendue compte que c’était trop facile de charger le porno. En fait, c’est tout autant de la faute des magazines féminins. Les enjeux financiers y sont beaucoup plus importants que dans le porno. Les magazines féminins ce sont mis à vouloir gagner de plus en plus en dépensant moins. Dans les années 90, la rédactrice en chef du magazine 20 ans faisait travailler dans sa rédaction Simon Liberati, Alain Soral, ou Michel Houellebecq. Les financiers sont arrivés, et avec eux le politiquement correct. Les vrais journalistes ont été virés et remplacés par des minettes qui remplissaient des pages en faisant du copier collé de dossiers de presse ! C’était la fin de l’esprit critique. Y compris sur l’épilation, bien sûr. Et en 2010, on en arrive à ce putain de numéro de Elle, où l’on explique dans l’édito que les femmes sont libres de choisir ou non l’épilation du pubis, alors que le dossier de la semaine est consacré au pubis taillé, et entouré de pubs pour des produits dépilatoires !
A-t-il été difficile de trouver des gens qui acceptent de critiquer la presse féminine ?
Oui, ce fut un vrai problème !
« Le poil pubien représente la sexualité féminine déchaînée, qu’on ne peut contrôler. Cela a toujours fait peur aux hommes. »
Que révèle la mode du lisse sur notre sexualité ?
Ce sont majoritairement les femmes qui s’épilent intégralement. Le poil est associé à la saleté, et l’on considère que la femme doit être toujours plus propre que l’homme. Dans notre culture, la femme est impure. C’est une créature du diable, qui a commis le péché originel, et pendant toute son existence elle va devoir se nettoyer de cette impureté. De plus, le poil représente la sexualité. La sexualité féminine fait peur depuis toujours. Le poil pubien représente la sexualité féminine déchaînée, qu’on ne peut contrôler. Cela a toujours fait peur aux hommes. Quand les femmes ont eu le droit d’avorter, de prendre la pilule, les hommes ont eu peur que leur sexualité se déchaîne. Cette peur s’est réveillée avec l’annonce de la commercialisation du Viagra féminin. Dans la peinture, les femmes sont le plus souvent représentées avec le sexe lisse. Il ne faut pas que le tableau excite sexuellement le spectateur. En enlevant les poils, on désexualise la peinture. C’est pour cela que l’Origine du Monde de Courbet fut une œuvre tellement subversive. Ce n’est d’ailleurs pas la seule. L’Olympia de Manet cache son sexe mais on voit un chat dans la peinture, allusion à la chatte. La liberté guidant le peuple de Delacroix a également fait scandale, car elle a du poil sous son bras levé ! On cache les poils pour ne pas éveiller le désir de l’homme. Cela rejoint la question du voile. La femme paye pour le désir de l’homme.
« Les arbres paraissent beaucoup plus grands quand il n’y a pas de fougère à leurs pieds ! C’est un argument massue, si je puis dire ! »
Existe-t-il une sorte de querelle idéologique entre les « pro poil » et les « pro lisse » ?
J’ai remarqué que sur les réseaux sociaux, les gens aimaient s’affronter sur le mode pro poil contre anti poil. Les libertins sont très nombreux parmi les anti poil. Au-delà de l’hygiène, c’est une manière d’enlever un peu de sexe, de rendre le sexe présentable. Ensuite il y a la question du plaisir. Certains préfèrent sans poil, d’autres avec. D’autres encore aiment la sensation des poils qui repoussent. Moi, je défends l’idée que les poils, on a le droit de s’en foutre ! Mais ceux qui s’en foutent, on ne les entend jamais…
Qu’en est-il de l’épilation masculine ?
Les hommes s’épilent de plus en plus, soit à la demande de leurs femmes, soit pour eux-mêmes. Même les hipsters qui portent la barbe ont le pubis épilé. La virilité remonte dans la barbe. Et puis rappelons que les arbres paraissent beaucoup plus grands quand il n’y a pas de fougère à leurs pieds ! C’est un argument massue, si je puis dire !
Avec l’épilation, est-on dans le domaine de la modification corporelle ? N’est-ce pas la même démarche que le tatouage et le piercing ?
Le poil représente l’animalité. Les humains n’ont de cesse de s’en éloigner. Quand on a le corps parfaitement lisse, on peut être tenté de le faire tatouer. C’est une façon d’investir le corps, qui va porter notre identité.
Le poil est aujourd’hui récupéré par les féministes contre les diktats de la mode…
Dans les années 70, le poil a accompagné la libération des femmes. On le voyait aux jambes des féministes. Dans les années 90, avec la glorification des top models, on remarque que l’indépendance des femmes est acquise mais en même temps l’argent qu’elle gagne doit être investi dans leur apparence. Comme par hasard, c’est à ce moment que le poil disparaît complètement.
La dimension religieuse est curieusement absente dans votre documentaire.
C’est vrai. Nous avons trouvé qu’il y avait déjà eu beaucoup d’articles sur ces questions-là. J’en parle en interview mais pas dans le documentaire
Dans l’Islam, par exemple, le poil est impur…
Oui, en terre d’Islam les poils doivent être coupés tous les 40 jours, pour les hommes et les femmes. Ce n’est pas dans le Coran. C’est une tradition. Le poil est souvent impur, dans de nombreuses civilisations. Certaines cultures, assez rares, le glorifient. Au Cameroun par exemple, le poil est sexy. On aime les femmes qui ont de la moustache !
Avez-vous rencontré de vrais amateurs de poils ?
Oui. Il existe de vrais fétichistes du poil. Le site Internet téléchatte (http://www.telechatte.fr/) par exemple, est consacré aux chattes poilues. Mais en règle générale, le poil est ghettoïsé. Dans le porno, si on aime les femmes naturelles, on est renvoyé à une niche « hairy». Tu aimes le poil ? Allez hop, à la niche !
Comment interprétez-vous le phénomène Conchita Wurst ?
Conchita Wurst joue avec les genres. En cela elle est très actuelle. Elle a peut-être popularisé une esthétique. C’est assez fort, en termes de symbolique.
On sait que le physique des femmes obéit à des modes. À votre avis, le poil peut-il revenir ?
Non. Le lisse l’a emporté. Même s’il est vrai que l’on voit réapparaître des poils sous les bras de Madonna, Julia Roberts ou Laetitia Casta. Mais c’est juste pour faire le buzz. Ça m’étonnerait que ces femmes vivent tous les jours avec leurs poils. On verra toujours un peu de poil, par-ci par-là, mais le lisse est devenu la norme.
Les 2 premiers docs de la série Poilorama :
Pour regarder toute la série, c’est ici.
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