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Evil Angel met fin à l’exil de James Deen et l’engage pour le documentaire porno ‘Consent’

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Novembre 2015, James Deen, l’acteur prodige du porno américain, adulé pour sa gueule d’ange, son physique svelte et harmonieux, ses performances aussi brutales que spectaculaires, est au sommet du X-business. C’est alors que l’affaire éclate, comme un coup de tonnerre. Son ex, la délicate Stoya, l’accuse de viol dans un témoignage accablant. Les révélations tombent en cascades. Lily Labeau, Ashley Fires, Joanna Angel, c’est en tout une demi-douzaine de performeuses qui abondent dans ce sens, reportant elles aussi des faits d’agression sexuelle. Face à de telles accusations, les grands studios hardcore et BDSM que sont Kink.com, HardX.com et Evil Angel annoncent l’exclusion de l’acteur de toute collaboration future. Trois ans plus tard, Evil Angel, par la voix de son taulier John Stagliano, annonce la levée de l’exil de James Deen, et son embauche pour le documentaire porno Consent, qui traitera naturellement de la question du consentement dans le contexte pornographique…

L’indéboulonnable James Deen

Ces trois années n’ont pas été, à proprement parler, une traversée du désert pour James Deen. S’il a effectivement traîné une réputation d’infréquentable auprès de la plupart des grands studios californiens, ça ne l’a toutefois pas empêché de produire abondamment durant cette période, bookant et besognant certaines des actrices les plus populaires du X : Abella Danger, Adriana Chechik, Riley Reid… Il a en outre conservé une très grande réputation de performeur au sein de la profession. Aucun procès intenté, une présence ininterrompue dans le paysage pornographique US, sans rester lettre morte, les révélations sur ses comportements violents et ses abus semblent avoir eu, au mieux, une incidence marginale sur la carrière du « golden boy du X ».

Les victimes ne peuvent pas en dire autant. Ashley Fires, l’une des premières actrices à avoir corroboré les affirmations de Stoya, a irréversiblement pâti de s’être élevée contre James Deen. Comme elle le confiait au site Jezebel, son agent d’alors lui a très vite fait comprendre que sa prise de position réduirait mathématiquement les contrats qu’on lui proposerait. Son bourreau l’est aussi de travail, et les productions qui n’ont pas suivi les prérogatives de leurs consœurs préfèrent se passer d’actrices que d’acteurs. Elle quitte petit à petit la scène mainstream où son « inimitié » pour James Deen et ses « trucs de féminisme pro-femme » (des mots d’un réalisateur) ne sont pas vraiment à l’ordre du jour, pour se tourner vers les niches fétichistes, plus discrètes. Aujourd’hui encore, elle reste cantonnée aux productions femdom à petit budget pour avoir dénoncé ce qui n’aurait jamais dû être tu.

« Consentement », un projet cynique ?

Du côté d’Evil Angel, l’embauche de James Deen, aux dires de Stagliano, n’était pas une base fondamentale du projet Consent. Le documentaire explicite qui, d’après le son synopsis, alternera entre gonzo pur et coulisses révélateurs, entend interroger la complexité de la question du consentement dans le porno, a fortiori hardcore et BDSM ; une problématique encore trop peu investie par la théorie. Pour les besoins d’une scène sadomasochiste, la production souhaitait donc faire appel à la performeuse Casey Calvert ; un choix judicieux pour quiconque suit la scène SM d’un œil attentif. Non seulement l’actrice, Spiegler Girl reconnue, fait preuve d’un professionnalisme et d’un investissement physique sans réserve à chacune de ses apparitions, mais en plus sa sagesse et sa pertinence en font une candidate idéal à l’exercice de l’entretien sur les tenants et les aboutissants du consensus pornographique. Sauf que Casey l’a affirmé ; elle ne tournera cette séquence qu’avec James Deen.

 

John Stagliano se retrouve donc face à un dilemme. Puisqu’il ne peut imposer un autre partenaire à son actrice, ça irait à l’encontre du propos de son film, il doit choisir : se passer de l’érudition de Casey Calvert, son premier choix, ou lever le ban de James Deen ? Selon ses propres mots, confiés encore une fois au magazine Jezebel : « Trois ans, c’est une durée suffisante. Il a prouvé qu’il était capable d’être très poli, très juste et très prompt à s’enquérir de la permission de toutes les filles à tout moment. C’est ce qu’il m’a dit, C’est ce que les gens qui travaillent avec lui m’ont dit. » Et d’ajouter : « Premièrement, je ne sais pas combien de temps devrait durer la proscription, honnêtement. Deuxièmement, je n’avais pas toutes les informations. Troisièmement, tous mes concurrents tournent avec lui de toutes manières. Quatrièmement, il a admis avoir eu des comportements nocifs. » John Stagliano entérine ainsi un état de fait : controverse ou non, exclusion ou non, James Deen est indéboulonnable. Quitte à composer avec lui, ne vaut-il mieux pas le confronter frontalement ses fautes ? Ce sera manifestement l’un des axes de lecture de Consent. Un parti-pris défendable mais néanmoins discutable de la part du patron d’Evil Angel, récemment mis en cause dans une affaire d’infraction aux limites de deux actrices. Mais après tout, sans seconde chance, pas de rédemption. Pas vrai ?

Sans victime, pas de pardon.

Réhabilitation scandaleuse ou volonté de remuer la merde pour se rappeler que c’en est ? Il est trop tôt pour trancher, mais il y a quand même peu chances que le docu dépeigne James Deen en brute inconséquente. On peut néanmoins reconnaître à John Stagliano que lorsqu’il met les pieds dans le plat, il le fait jusqu’au bout ; et dans un souci d’analyse contradictoire, il a invité Lily Labeau, victime de James Deen, à prendre la parole dans Consent. Dans son entretien, tourné en présence de journalistes, l’actrice revient sur les abus qu’elle a subis de la part de James Deen, des séquelles de la gifle extrêmement violente qu’il lui a mise lors d’un tournage pour Kink, alors même que les claques figuraient sur sa liste de pratiques proscrites ; séquelles dont elle affirme encore souffrir aujourd’hui. Quant à savoir si ces trois années ont mis du plomb dans la tête du Petit Prince du X, elle préfère ne pas se prononcer, même après l’avoir confronté pour la première fois quelques jours plus tôt : « Je ne sais pas. Je n’en ai aucune idée. […] Mais vous êtes au courant, tout le monde est au courant, je ne pense pas qu’il se prêtera à nouveau à ce genre de choses » En tout cas, elle ne travaillera plus jamais avec lui.

Sans pour autant pardonner explicitement, elle se montre magnanime au sujet de la possible réhabilitation du paria. Et ses paroles sont sans doute les plus sages et les plus pertinentes de toute cette polémique :

« Nous avons pardonné des gens qui ont commis des actes vraiment dégueulasses dans cette industrie. C’est difficile, mais je pense qu’à l’intérieur de l’industrie, on comprend combien il est dur d’en être exclu. De ce point de vue, repousser James dans le public en disant ‘Tu es blacklisté, tu ne travailleras plus jamais’, d’une certaine manière, ce serait aussi le condamner à quelque chose de vraiment terrible. Beaucoup de gens l’apprécient, aiment travailler avec lui et ont des expériences positives avec lui. J’en suis contente. Je ne veux plus qu’il y ait de problèmes. C’est ce sentiment qui m’habite : je souhaite le meilleur, je souhaite qu’il soit accueilli à nouveau, que les choses se passent bien et qu’il y ait de belles histoires. Je le pense sincèrement car sinon, c’est quelqu’un d’autre qui sera traumatisé. »

Le pardon est décidément l’apanage des victimes.

Le documentaire Consent aura donc au moins un mérite, peut-être le seul, celui de soulever d’importantes questions de société dans une ère post-#metoo :

Le viol et l’agression sexuelle sont-ils réellement pardonnables ? Ou bien est-ce simplement que les agresseurs « présumés » l’emportent toujours à la fin ?

Titulaire d'une maîtrise en cinéma, auteur d'une Porn Study à l'Université Paris VII Diderot, Clint B. est aujourd'hui chroniqueur de l'actualité porno.

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