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Délivre-nous du mâle : la petite histoire du vibromasseur
Il est loin le temps de la promotion pudique du vibromasseur. Souvenez-vous cette époque où l’on présentait « l’objet du délit » au fond des catalogues de vente par correspondance, délicatement posé sur la joue d’une modèle impeccablement chaste, entre les sèches-cheveux et les épilateurs… Aujourd’hui, le vibro est tendance, il s’affiche partout sans vergogne. Design, ultra-technologique et disponible dans une improbable variété de couleurs et de formes, il s’est imposé en dépit de tous les tabous comme un authentique accessoire de mode, un symbole de l’indépendance sexuelle féminine. Vieux de plus d’un siècle, le nouveau « girl’s best friend » avait pourtant, à l’origine, une fonction quelque peu différente de celle qu’on lui connaît actuellement. Sérendipité, puritanisme et progrès technologique, voici la petite histoire du vibromasseur.
L’on serait évidemment tenté ici de corréler l’histoire du vibro à celle de son inerte cousin, le godemichet. Il s’agit là d’un anachronisme flagrant. Les premiers godes authentifiés comme tels auraient pratiquement trente-mille ans. Or, et si l’on omet cette fabuleuse légende qui voudrait que la grande Cléopâtre ait conçu en son temps un pourvoyeur actif d’orgasme, en enfermant quelques abeilles dans une boîte de papyrus, la réalité est intraitable. L’avènement du plaisir vibratoire n’a pu avoir lieu sans les miracles de la fée électricité.
La patiente anglaise
Flash-forward au XIXème siècle, donc, dans une Angleterre en pleine époque victorienne, chez un certain Joseph Mortimer Granville. Ce médecin, qui cherche un remède aux douleurs musculaires chroniques, planche sur un appareil : un petit marteau animé électriquement, destiné à masser, par vibration, les muscles endoloris. Le vibromasseur est né. Très vite, comme le soutient l’historienne Rachel Maines dans son livre Technologies de l’orgasme, son invention est reprise par des collègues un brin plus créatifs. Ces toubibs y voit un traitement idéal pour « l’hystérie », cette affliction toute féminine qui soumet ses porteuses, souvent les plus oisives et les plus éduquées d’ailleurs, à d’irrépressibles sautes d’humeurs. Ces symptômes, généralement corrélés à d’autres maux plus inquiétants comme le désir d’indépendance et l’auto-détermination, chez des femmes par ailleurs de plus en plus dépourvues de tâches ménagères auxquelles vaquer, sont fort heureusement aisément curables. Une simple stimulation génitale à l’aide du « marteau de Granville » permet la rémission complète de l’épisode pathologique, non sans traverser un « paroxysme hystérique » durant lequel madame gémit et convulse, la bouche entr’ouverte et les yeux dans le vague. « Ne vous en faites pas, Monsieur, c’est que le traitement agît. »
Et heureusement, puisqu’à peine ce nouveau protocole médical adopté, une véritable épidémie d’hystérie s’abat sur la Grande-Bretagne. Rechutes et contagion généralisée, les femmes de la bourgeoisie anglaise se pressent à la porte des docteurs « love » pour se faire titiller le berlingot ; et plutôt deux fois qu’une, car il vaut mieux prévenir que guérir…
Quoi ? Cette version de l’histoire digne d’un roman érotique salace vous paraît quelque peu fantaisiste ? C’est qu’elle est pas mal remise en cause aujourd’hui. En effet, si les historiens s’accordent dire qu’on faisait, à l’époque, bien peu de cas du désir féminin, on n’en était pas non plus à administrer orgasme sur orgasme à des nymphomanes en puissance, par méconnaissance des mécanismes et surtout des symptômes du climax sexuel. On ne trouve en outre aucune source médicale à même de corroborer les séances de masturbation thérapeutique suggérées par Mrs. Maine, comme le souligne en 2018 le Journal of Positive Sexuality.
Plus vraisemblablement, le « marteau de Granville » a fait son bonhomme de chemin dans la société victorienne, pour s’installer dans les foyers, comme appareil thérapeutique d’appoint aux usages « variés ». Et ce serait l’essor de la presse pornographique dans les années 20 qui aurait trahit le secret, révélant au grand jour le potentiel ludique de l’objet que toutes les heureuses propriétaires éludaient complaisamment. Dès lors, plus question d’exposer l’encombrant masturbateur personnel de madame au milieu du boudoir. Les mœurs se couvrent d’un hypocrite voile de puritanisme ; et le vibromasseur disparaît doucement des salons anglais comme des catalogues de vente par correspondance.
Au bonheur des dames
Mais c’est pour mieux renaître, quarante ans plus tard, en pleine libération sexuelle, avec la mise au point de la pile électrique et des batteries portatives. Miniaturisation, autonomie et discrétion, le vibromasseur revient en force, à la conquête du fantasme féminin. Peut alors reprendre l’éternelle danse du ventre autour des objets de plaisir sexuel vendus en tant que tels. C’est la grande époque du « masseur de joue » du catalogue La Redoute, « un accessoire décongestionnant de bien-être et de relaxation ». Il n’y a guère que lorsque le vibro se pare d’une forme d’une forme oblongue et profilée qu’on ose enfin admettre l’évidence. Oui, Mesdames, Messieurs, il s’agit bel et bien d’une bite de substitution.
Comme le dernier sursaut d’un patriarcat sexuel en déroute, c’est paradoxalement à travers une vision bassement phallocentrée de la chose que la société se met à concevoir la sexualité et le plaisir féminins autrement qu’allongée dans un lit, à subir le laborieux va-et-vient vaginal du mâle en rut. Mais le progrès est immuable ; et bientôt le vibromasseur s’émancipe de l’anatomie masculine, cet organe malhabile, pour adopter des formes et des reliefs bien plus adaptés à la morphologie du beau sexe.
Le pénis fait peur. Ce n’est pas moi qui le dit, ce sont les chiffres. Le vibromasseur n’a jamais été autant plébiscité que depuis qu’il s’en est affranchi. Si en 2007, elles étaient 9 % à admettre trouver parfois le réconfort auprès d’un frémissant sextoy, les femmes sont aujourd’hui plus de 50% à avoir déjà vibré de plaisir. Plus que jamais avant-garde technologique, le vibro a même fini par assujettir la science à la jouissance des dames, et chaque consortium scientifique y va de son innovation en matière de design ou de fonction, pour titiller toujours plus loin les tropiques de Vénus. Le vibromasseur du XXIème siècle ne semble plus avoir qu’un seul crédo :
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