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Projekt Melody, l’idol virtuelle qui agace les camgirls

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Blade Runner 2020. Sur une planète Terre polluée au bord de l’effondrement civilisationnel, où les totalitarismes fleurissent comme autant de chrysanthèmes sur le tombeau de notre mémoire collective, l’humanité toute entière sombre dans l’apathie, le nihilisme et le désœuvrement. Sa dernière échappatoire, une sexualité par écrans interposés, avec de superbes nymphettes pour qui exhibition rime avec rémunération. Pour ces prolétaires de l’amour, le charbon à la forme d’une ogive de silicone rose fluo. Soir et weekend, elles triment sans relâche dans l’espoir de recevoir un jour à la hauteur de ce qu’elles offrent chaque nuit et, peut-être, de gagner suffisamment pour se mettre à l’abri. Mais ce rêve vient de voler en éclats. Projekt Melody, une intelligence artificielle conçue pour le plaisir, voit le jour. Modélisée sous les traits d’une adolescente aux mensurations aussi délicieuses qu’invraisemblables, elle pousse vers la sortie les modèles de chair et d’os devenus dorénavant obsolètes, leurs enveloppes bassement matérielles ne pouvant s’aligner face aux possibilités infinies d’une entité informatique. À l’aube de la singularité pornographique, l’être humain a-t-il encore un avenir érotique ?

Projekt Melody, c’est la dernière innovation technologique en matière de branlette sur Internet. Et si cette introduction quelque peu dramatique vous angoisse, l’article qui suit devrait remettre les pendules à l’heure. Mais pour saisir le concept, il convient de revenir à ses origines.

Lolita 3.0

Connaissez-vous Hatsune Miku ? Derrière ce nom à consonance japonaise se cache l’égérie promotionnelle d’un logiciel de synthèse vocale conçu pour produire des chansons sans que quiconque ait à cracher ses tripes dans un micro. Ferveur nippone pour les Idols et les concepts futuristes oblige, cet avatar d’adolescente kawai aux longues couettes turquoise s’impose spontanément comme un phénomène de société. Mangas, jeux vidéo, mais aussi concerts où la demoiselle « prend vie » sur un écran de verre pour chanter ses titres les plus célèbres, Miku devient la toute première superstar virtuelle.

Forcément, le concept se décline et bientôt c’est Kizuna Ai qui voit le jour, l’Hatsune Miku du Youtube Game. Poussant un peu plus loin les ambitions du côté du motion-capture, cette nouvelle itération revisite tous les poncifs de la plateforme (sketchs, vidéo-réactions, vlogs, tests de jeux vidéo, ASMR…) sous les traits, vous l’aurez deviné, d’une Lolita en image de synthèse aussi choupie que court-vêtue. La règle 34 étant un pilier fondamental d’Internet, l’arrivée d’une déclinaison porno de la poupée numérique japanisante n’était qu’une question de temps. Les otakus en rêvaient ; Project Melody l’a fait.

Days of Future Past

Dans les cartons depuis juillet 2019, date de création du compte Twitter éponyme, Projekt Melody se lance officiellement dans le business du show érotique « live » ce 7 février 2020, par l’intermédiaire de la plateforme Chaturbate. Le succès est immédiat : 11 000 spectateurs le premier soir. Dans sa chambre de « Virtual Little Tokyo », pleine de néons, de figurines Gundam et de posters d’animes culte, la nymphette de pixels aux mensurations défiant le bon sens et la gravité se dévoile, se dandine et se tripote pendant plusieurs heures. Aucun doute, ça racole le geek sans vergogne ; au point de tenter le bluff ultime : faire croire au monde que l’affolante Melody serait une intelligence artificielle autonome, mue par un leitmotiv dystopique : « Future is now ».

Immédiatement, une partie des camgirls de la plateforme montent au créneau, à juste titre, contre cette concurrence déloyale. Comment des modèles vivants peuvent-ils rivaliser avec une infatigable entité numérique ? Le simulation a-t-elle sa place sur la même plateforme que le spectacle vivant ? La personne derrière l’avatar, si personne il y a, est-elle bien majeure pour s’exhiber ainsi sur le Web ? Et surtout, comment se fait-il que Melody ait eu les faveurs de la homepage de Chaturbate dès ses premières minutes d’antenne ? Ces interrogations, plus ou moins rationnelles, révèlent en filigrane la précarité du caming pour les travailleuses qui s’y emploient : concurrence permanente, exposition publique, exigence administrative des plateformes (nom légal, pièces d’identité, etc.), investissement financier et temporel… Des contraintes rigoureuses dont Projekt Melody et l’équipe de développement qui est derrière se sont joués avec beaucoup d’astuce.

Evidemment que Projekt Melody s’est dûment acquitté des laissez-passer nécessaires pour diffuser sa démonstration technologique. En tout point, le projet fait montre d’une maîtrise marketing absolument remarquable. Un design taillé dans le fantasme geek de notre époque, irrigué de pop-culture japonaise (alors même que les développeurs sont vraisemblablement occidentaux) ; un compte Twitter aux interventions millimétrées, relayant les fanarts à son effigie et répondant aux polémiques avec l’argot numérique des adolescentes ricaines ; une chaîne Youtube débattant de la valeur artistique du hentai ; tout était calibré pour créer le buzz du siècle. L’intelligence derrière tout ça n’a rien d’artificielle.

Intelligence avec l’ennemi

D’ailleurs, si le concept s’avère prometteur et le rendu bluffant de prime abord, la technique n’est pas exempte d’imperfections. Les textures ont tendance à se chevaucher dès que ça gesticule, et l’uncanny valley n’est jamais loin, pour peu qu’on s’attarde sur les expressions faciales de l’intéressée -elle « glitche » explique-t-elle malicieusement. Pour le test de Turing, on repassera. Mais surtout, question acrobaties sexuelles, on a quand même vu plus spectaculaire ailleurs, et ce ne sont pas ces quelques chastes trifouillages que la demoiselle donne à voir qui vont mettre au rancart les performances anatomiques humaines. En somme, le véritable tour de force est médiatique : avoir réussi à imposer un produit virtuel sur une plateforme ultra-concurrentielle de caming (et donc conçue autour de l’authenticité), au nez et à la barbe de toutes les candidates pourtant bien réelles. C’est sans doute à ce niveau que se situe la véritable controverse de toute cette affaire. Car s’il y a une évidence, c’est que Chaturbate était dans la combine.

En validant l’inscription de Projekt Melody puis en lui accordant immédiatement la tête de gondole sur sa page d’accueil, l’équipe de modération de Chaturbate savait très bien ce qu’elle faisait. Après tout, la polémique servait les deux partis, aux détriments des travailleurs primaires de la profession. D’un côté, Projekt Melody profitait d’une exposition providentielle relayée par la controverse stérile sur sa légitimité. De l’autre, Chaturbate rappelait à tout son cheptel qu’elle est maîtresse absolue de la visibilité sur ses pages, qu’elle fait et défait les succès à son gré. À terme, Chaturbate propose pratiquement une démonstration concrète de sa politique. Si les live-shows pouvaient être assurés par de dociles avatars numériques, la plateforme se passerait volontiers de camgirls. Au fond, pourquoi Uber s’embarrasserait de chauffeur, si les voitures étaient autonomes ?

En outre, le cam-business n’est pas prêt de s’effondrer. En l’état, supposer que Projekt Melody va mettre les camgirls au chômage, c’est fantasmer la disparition des chanteuses à cause d’Hatsune Miku ; une absurdité. En revanche, toute cette affaire démontre une nouvelle fois le peu de cas que font les centrales de caming des créateurs de contenus. Il eut pourtant été possible de promouvoir l’innovation technologique que représente Projekt Melody sans pour autant mettre les travailleuses originelles en porte-à-faux. Collaboration avec les stars de la plateformes, partage d’antenne et shared content, les solutions étaient nombreuses pour qui souhaitait la jouer collectif…

Future is now…

… but camgirls aren’t past.

Titulaire d'une maîtrise en cinéma, auteur d'une Porn Study à l'Université Paris VII Diderot, Clint B. est aujourd'hui chroniqueur de l'actualité porno.

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