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Le Hentai, cas d’école de l’impossible censure du porno

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À l’instar du X en France, qui tire son nom de la loi du même nom promulguée sous Giscard, le porno japonais tombe sous le coup d’une législation aussi ambiguë que répressive : l’Article 175 du Code Pénal. Cet article qui, comme en France, s’applique à juguler la promotion de l’obscénité au sein de la société nippone, souffre des mêmes vices que son homologue : l’impossibilité de définir l’obscénité en termes objectifs, sans y inclure pêle-mêle les descriptions biologiques et les manuels médicaux, et le contournement de la sacro-sainte liberté d’expression. Mais plutôt que d’opter pour une censure déguisée, car économique, comme chez nous, la Cour Suprême japonaise a, elle, choisi de trancher dans le vif : les poils pubiens, c’est obscène, les parties génitales, c’est obscène, les actes sexuels, c’est obscène. Toute personne distribuant, vendant, ou montrant de telles images encourt jusqu’à 2 ans de prison et 2 500 000 yens d’amende (notez bien que la possession à titre personnel n’est pas condamnée).

Avec d’aussi rigoureux critères, la législation japonaise semble particulièrement robuste. D’ailleurs, l’intégralité de la production pornographique nippone s’y conforme. Toute représentation graphique d’un organe sexuel ou d’une pénétration est donc dûment camouflée à l’aide d’un masquage flou ou pixellisé particulièrement hideux. La création porno est à ce prix, et ce statu quo semblait fait pour durer. Mais ça, c’était sans compter sur le hentai…

Le hentai, ou « seijin manga » comme on le nomme là-bas (littéralement « manga pour adultes »), c’est donc ce genre de bande dessinée pornographique particulièrement foisonnant que produisent les Japonais. Soumis comme les autres à la législation en vigueur concernant la représentation des actes sexuels, ce médium, par son potentiel graphique infini, son imagination et son audace, a su s’affranchir des règles arbitraires édictées par la censure, prouvant par là l’absurdité d’une telle entreprise.

Les tentacules, ou la jurisprudence Arcimboldo

#aubergine

Soit. On n’a pas le droit de montrer des zobs. Mais il est stipulé nulle part qu’on ne peut pas représenter de turgescents tentacules gorgés de liquide visqueux et blanchâtre prêts à s’immiscer dans les orifices les plus intimes d’une jeune femme en détresse, pas vrai ? L’érotisme tentaculaire est loin d’être une nouveauté au pays du Soleil-Levant. En 1814, Hokusai représentait déjà Tamori, la pêcheuse légendaire, ravie par d’affreux poulpes dans son Rêve de la femme du pêcheur. Alors simple vision d’artiste, cette thématique ne devient une astuce de contournement de la censure qu’à l’initiative d’un certain Toshio Maeda, en 1990. Pour les besoins de son œuvre éminemment porno Demon Beast Invasion, le mangaka s’en donne à cœur joie, inventant ainsi un véritable sous-genre du hentai totalement hors de portée des censeurs pudibonds. C’est qu’un tel détournement renvoie à une problématique qui irrigue la théorie des arts figuratifs depuis la nuit des temps, d’Arcimboldo et ses salades de fruits anthropomorphes à Magritte et sa fameuse pipe : qu’est-ce qui est représenté ? Raisonner la censure de l’obscénité en terme de représentation est alors caduque. Il n’est de représentations phalliques que pour qui veut bien les voir ; tout l’inverse des critères objectifs nécessaires à l’élaboration d’une législation juste et indiscutable. Hentai 1 – Censure 0.

L’aventure intérieure

« Certes, on ne peut pas légiférer sur ce qui ressemble ou non à un phallus, mais au moins, la vulve est sauve », se disent les censeurs. Et pour le coup, ils n’ont pas tout à fait tort. Si la pornographie peut très avantageusement se passer d’organes sexuels masculins, elle s’affranchit très difficilement du concept d’orifice copulatoire. Il s’avère en outre beaucoup plus compliqué de symboliser une foufoune de façon à la fois réaliste et excitante sans offenser les Pères la Morale. Malgré tout, la loi japonaise, par sa précision tatillonne, invite inévitablement à jouer sur les mots. Et encore une fois, rien n’est précisé au sujet des vagins, voire des utérus. Oui, l’utérus, cet organe interne tout au bout du vagin qui accueille la gestation. Le hentai est donc le seul support pornographique sur lequel on occulte les minettes pour mieux représenter, avec force détails, les recoins les plus intimes de l’anatomie féminine. Et il ne s’agit en aucun cas d’un phénomène marginal, de la lubie insolite d’un auteur au fétichisme particulier. La vue en coupe est un motif récurrent du manga porno, et chaque dessinateur y va de sa petite intention artistique quant à ce à quoi ressemblerait la tuyauterie féminine, vue de l’intérieur. Si la portée érotique d’une telle représentation s’avère pour le moins discutable, sa dimension obscène évidente ressemble fort à un pied de nez farouche adressé à la censure. Y a-t-il en effet quelque chose de plus scabreux, de plus vulgairement charnel que la figuration des entrailles à des fins pornographiques ? Hentai 2 – Censure 0.

 

CRC, Computer Regenerated Cramouille

 

Comme précisé plus haut, au Japon, la possession d’œuvres explicites n’est pas, en elle-même, condamnée ; seule la diffusion de telles images est réprimée. Aussi, bien que certains créateurs ne se fatiguent même plus à dessiner des organes génitaux détaillés à leurs personnages, sachant qu’ils seront de toutes manières mutilés d’une abominable mosaïque, la plupart, par amour de l’art comme par détestation de l’inachevé, s’applique toujours à crayonner précisément de beaux et vigoureux attributs sexuels suintant de désir. Et au grand dam du législateur nippon, ces chefs d’œuvres sacrifiés sur l’hôtel de la bienséance ne sauraient rester censurés plus longtemps. DeepCreamPy, un algorithme de « dé-censure » basé sur le Deep Learning, promet de rendre toute leur puissance évocatrice à ces productions pornographiques. Simple d’utilisation – il suffit de marquer la zone à restaurer sur Photoshop puis de le laisser agir -, le programme rencontre un certain succès, plusieurs centaines de personnes se l’étant procuré. Bien qu’encore expérimental, le code promet même, à terme, d’être compatible avec la vidéo, ce qui porterait un coup très dur à la lutte contre la pornographie telle que la conçoit le Japon. Grâce à lui, n’importe quel quidam pourra bientôt re-sexualiser tous les hentai censurés qu’il s’est légalement procurés. Hentai 3 – Censure 0.

 

Le hentai est donc l’exemple parfait de la vanité des législations contre l’obscénité. Malgré une loi japonaise pensée pour être aussi exhaustive qu’inclusive, le « seijin manga » ne s’est jamais montré plus déviant, organique et scandaleux qu’en la respectant. Ce paradoxe naît en réalité d’une incompréhension totale du concept d’obscénité de la part du législateur. L’obscène ne désigne pas une somme arbitraire de motifs qu’il ne faudrait pas voir, ne pas montrer, mais consiste en la transgression d’interdits moraux de notre société. De fait, l’obscène se nourrit des règlements, chaque loi devenant un nouveau terrain d’expérimentation, un nouvel interdit à abuser ou à violer. Chaque tentative pour l’endiguer le rend ainsi plus tordu, plus dérangeant, sans jamais parvenir à l’éradiquer ; et pour cause. Chacun d’entre nous aspire à cette transgression cathartique que procure la pornographie, afin de pouvoir, le temps de quelques pages ou de quelques plans, céder virtuellement à ses plus viles pulsions, pour mieux redevenir, l’instant d’après, l’animal social et raisonné que cette société nous contraint à être…

Titulaire d'une maîtrise en cinéma, auteur d'une Porn Study à l'Université Paris VII Diderot, Clint B. est aujourd'hui chroniqueur de l'actualité porno.

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