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Disparition de Barbara Hammer, pionnière de la pornographie lesbienne

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Atteinte d’un cancer des ovaires contre lequel elle avait épuisé tous les recours, la réalisatrice Barbara Hammer s’est éteinte ce 16 mars 2019, à 79 ans, après treize années de lutte contre la maladie. Figure incontournable de l’engagement queer et féministe, elle réalisa le premier film explicite lesbien en 1974, alors même que la pornographie entrait tout juste dans le champ de la culture mainstream avec l’immense succès des films Deep Throat et Behind the Green Door. Son œuvre, plurielle, construite autour du corps de la femme, de son plaisir comme de sa douleur, se révèle visionnaire des enjeux du porno indépendant d’aujourd’hui. Retour sur une artiste sans doute trop peu citée.

Il serait incorrect de réduire l’œuvre de Barbara Hammer à la pornographie ; elle en réfutait d’ailleurs le terme, en 1998, préférant qualifier son travail d’ « erotica ». Toutefois, à la lumière des enjeux qui alimentent aujourd’hui le porno indépendant, qu’il se revendique féministe ou queer, il serait tout aussi absurde de nier sa considérable influence dans le domaine. Son court-métrage expérimental Dyketactics, réalisé en 1974, d’une durée quatre minutes, fait figure de premier film explicite lesbien, à l’heure où le porno quitte justement l’obscurité du domaine légal de la censure, pour la lumière des projecteurs et des questions de sociétés, avec le succès en salle des premiers films pour adultes. Non pas que Dyketactics soit le premier film à représenter des relations homosexuelles entre femmes, et l’on doit sans aucun doute pouvoir trouver quelque film de bordel des années folles montrant des interactions saphiques pour exciter le client, le tribadisme étant un lieu commun du fantasme masculin. Non, si Dyketactics fait figure de premier film lesbien, c’est qu’il est le premier film à mettre en scène des rapports lesbiens à travers le regard et le corps d’une réalisatrice homosexuelle, jouant elle-même dans le film. Ainsi le métrage ne représente pas l’homosexualité féminine telles que les hommes la conçoivent à destination d’autres hommes, dépeignant des lesbiennes « tantôt impuissantes, tantôt totalement perverses », selon les mots de la critique Jacquelyn Zita, mais une sexualité lesbienne affranchie du regard masculin.

Le terme de cinéma est lui aussi à préciser lorsqu’il s’agit de l’œuvre de Barbara Hammer. Superpositions, surimpressions, collages et peinture sur la pellicule, l’œuvre de la défunte a plus à voir avec l’art plastique expérimental qu’avec le spectacle en salles obscures. À l’instar de Bruce Labruce dans la culture gay, avec son cinéma à la marge de la marge, alternatif même pour la pornographie, elle se positionne à l’avant-garde esthétique aux yeux de ses pairs plasticiens. Ses travaux font l’objet d’expositions et de récompenses de par le monde, du Museum of Modern Art de New York au Tate Modern de Londres en passant par le Jeu de Paume parisien, le Chinese Cultural University Digital Imaging Center de Tapei ou les festivals cinématographiques de Séoul et de Berlin. En militante queer et féministe convaincue, sa parole est elle aussi reconnue, qu’elle transparaisse de son goût cinématographique pour les sujets tabous de la sexualité féminine (menstruations, orgasme, etc.), ou qu’elle l’exprime directement lors de conférences. Lesbienne révélée sur le tard, à l’âge de trente ans, lorsqu’elle quitte son mari, son premier combat est en outre de remédier à l’invisibilisation de la communauté LGBT de l’histoire et de la culture. Nitrate Kisses, Tender Fictions et History Lessons, volets du triptyque Invisibles Histories, seront les manifestes de ce propos.

Son autre combat est évidemment celui contre la maladie, qu’en artiste et militante à l’autobiographie chevillée au corps, elle narre sous forme d’œuvres et d’engagement politique jusqu’a la fin. Ses dernières années furent donc marquées par sa prise de position en faveur de l’euthanasie. Elle décrit sa lutte et le soulagement que lui procure l’équitation durant sa chimiothérapie dans le court-métrage A Horse is Not a Metaphor. Elle donne trois conférences, intitulées The Art of Dying or (Palliative Art Making in an Age of Anxiety), l’automne dernier, et se fend même d’un entretien d’ « adieu », Barbara Hammer’s Exit Interview, pour le New Yorker, quelques jours avant son trépas.

Jusqu’au bout, Barbara Hammer aura fait de sa vie et de ses convictions des performances artistiques…

Titulaire d'une maîtrise en cinéma, auteur d'une Porn Study à l'Université Paris VII Diderot, Clint B. est aujourd'hui chroniqueur de l'actualité porno.

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