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Travail du sexe – La Californie abandonne la possession de préservatifs comme motif d’arrestation

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Saviez-vous qu’en Californie, le fait de se promener avec sur soi une quantité déraisonnable de préservatifs pouvait conduire droit en salle d’interrogatoire, à se justifier d’activités de type prostitutionnel ? Cette étrange législation, destinée à lutter contre le travail sexuel, sera en principe abandonnée au début de l’année prochaine, à la faveur d’une proposition soumise en février par le sénateur démocrate Scott Wiener. Il faut dire qu’un tel dispositif entraîne plus de problèmes qu’il n’en résout réellement, comme c’est souvent le cas lorsqu’il s’agit de réprimer la prostitution.

En Californie, prévention rime avec arrestation

Le 11 février dernier, le sénateur démocrate Scott Wiener donnait une conférence de presse à la St. James Infirmary, une clinique de San Francisco spécialisée dans « la santé des travailleurs du sexe de tous genres », dévoilant le Senate Bill 233 (SB 233, de son petit nom). Cette proposition de loi, qui sera discutée par le Sénat Californien dans les prochaines semaines pour une prise d’effet au début de l’année 2020, entend interdire les arrestations, les interrogatoires et les poursuites basées sur la possession de préservatifs comme indice de participation à des activités relevant du travail sexuel. Par ailleurs, elle promeut l’immunité pour les travailleurs du sexe qui témoigneraient auprès de la police d’actes criminels survenus dans l’exercice de leur métier.

Et il était temps, car les statistiques sont accablantes. Une étude de 2014, conduite par l’Université de Californie et la St. James Infirmary, rapportait ces chiffres : 60% des travailleurs du sexe font l’expérience d’une forme de violence au travail. Plus précisément, 32% des travailleurs du sexe témoignent d’agressions physiques et 29% d’agressions sexuelles au court d’un rapport tarifé. Des données qui décrivent explicitement l’exposition disproportionnée des prostitués à la violence et aux actes criminels, en Californie comme ailleurs. Or, dans un état où la prostitution est rigoureusement interdite, signaler ces actes à la police et par conséquent en dénoncer les criminels, c’est, en tant que travailleur du sexe, courir le risque d’être soi-même arrêté. Le même rapport souligne que 40% des interactions entre police et travailleurs du sexe, lorsque le travailleur en question est la victime d’un crime violent, sont vécues comme des expériences négatives.

Parallèlement, l’élévation de la capote au rang d’élément de preuve dans les poursuites contre les personnes qui se prostituent induit, sans surprise, des effets particulièrement délétères sur la prévention des maladies sexuellement transmissibles. Par peur de l’arrestation, certaines s’en passent, d’autres trouvent des alternatives particulièrement effroyables, dictées par une précarité sanitaire entretenue. L’Human Rights Watch, une ONG investie de la défense des droits de l’homme, rapporte en effet le cas d’une prostituée de Los Angeles qui utilisait des sacs plastiques en lieu et place de préservatifs pour ne pas s’exposer à la répression policière. Y a-t-il encore quelque chose à ajouter quant à la dimension aberrante d’une telle prérogative ? Que la prostitution soit contrainte ou choisie, se servir d’un moyen de protection comme d’un levier de pression légale relève d’une conception particulièrement cynique de la dissuasion, dont l’efficacité demeure factuellement douteuse.

C’est toute la problématique de la criminalisation directe ou indirecte de la prostitution, partout sur le globe et quoi qu’on pense d’une telle profession. Esclavage sexuel pour certains, expression absolue du droit de disposer de son corps pour d’autres ; il est particulièrement ardu pour le profane de se faire une idée précise, chaque camp avançant des chiffres sensiblement symétriques quant à l’auto-détermination des travailleurs du sexe, et ralliant des professionnels, actifs ou retraités prêts à condamner ou à défendre le métier. Tout le monde s’accorde en tout cas à dire que le milieu prostitutionnel est particulièrement précaire, obscur et stigmatisé. Et la conséquence systématique des politiques de répression est d’amplifier ces phénomènes, marginalisant toujours plus ceux qui en sont victimes.

En témoigne la loi française du 13 avril 2016, dite de « pénalisation du client ». Le rapport de Médecins du Monde sur le sujet est sans équivoque : le bilan est « catastrophique ». Faute de tarir la demande, elle assèche les portefeuilles de putes et insécurise un peu plus leurs conditions de travail. « La quasi-totalité des travailleur.se.s du sexe et toutes les associations interrogées décrivent une perte de pouvoir dans la relation avec le client  : ce dernier impose plus souvent ses conditions (rapports non protégés, baisse des prix, tentative de ne pas payer, etc.) parce qu’il est celui qui prend des risques. » On constate par ailleurs « une augmentation des violences multiformes » à leur encontre. L’alternative, formulée élégamment en « parcours de sortie de la prostitution », est elle aussi décriée par tous. Difficile d’accès, sous-financée, elle offre à celles et ceux qui raccrochent complètement, et à eux seulement, une aide financière de 330 euros -non cumulable avec le RSA ou l’ADA (Allocation pour Demandeur d’Asile)-, ainsi que des facilités de régularisation pour les concernés immigrés. Le rapport de Médecins du Monde en fait ce portrait : « Etant donné que le soutien n’est accordé qu’aux personnes qui s’engagent à totalement arrêter le travail du sexe, cela peut être considéré comme une atteinte à leur dignité, mais surtout cela paraît très irréaliste, notamment financièrement, pour beaucoup de travailleur.se.s du sexe. Elles/ils se voient imposer de s’engager à arrêter une activité qui n’est pas illégale. » CQFD.

Possession de préservatifs comme preuve à charge, loi sur le racolage, sur la pénalisation du client, sous leurs airs de prise de position éthique éclatantes, les législations répressives souffrent invariablement d’une profonde ambiguïté dans leurs objectifs. Que condamne-t-on ? Le proxénétisme, l’abus de faiblesse, ou le simple fait de louer son corps à des fins sexuelles ?

Qu’entend-on protéger ? Les prostitués (des autres et d’eux-même), ou l’ « ordre moral » ?

Qui trinque en définitive ? Toujours les mêmes ; les travailleurs du sexe déjà socialement marginalisés, financièrement stigmatisés et, in fine, légalement harcelés voire criminalisés.

Titulaire d'une maîtrise en cinéma, auteur d'une Porn Study à l'Université Paris VII Diderot, Clint B. est aujourd'hui chroniqueur de l'actualité porno.

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