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Instagram et la chasse au porno

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Quiconque suit ses actrices porno préférées à travers les réseaux sociaux le sait : la moitié d’entre elles a déjà fait les frais d’une suspension, voire d’une suppression de compte de la part d’Instagram ; l’autre moitié vit quant à elle avec l’angoisse que ça lui arrive. Et à chaque nouveau profil de pornostar effacé par la filiale photographique de Facebook, un concert de commentateurs aussi pertinents que renseignés joint sa voie à la censure 2.0, des bonnes raisons plein la bouche : « Mè le porn cest interdi sur Insta, lol ! » Est-ce vraiment aussi simple ? Flou artistique concernant la nudité, modération muette et expéditive, partialité confondante de l’arbitrage, sous les dehors de la bienséance, ce cher Insta ne déguiserait-il pas une bonne vieille chasse aux sex workers ?

« Nous sommes conscients qu’il arrive parfois que des personnes veuillent partager des images de nudité à caractère artistique ou créatif, mais pour un bon nombre de raisons nous n’autorisons pas la nudité sur Instagram. Cela inclut les photos, les vidéos et les autres contenus numériques présentant des rapports sexuels, des organes génitaux ou des plans rapprochés de fesses entièrement exposées. Cela inclut également certaines photos de mamelons, mais les photos de cicatrices post-mastectomie et de femmes qui allaitent activement un enfant sont autorisées. La nudité dans les photos de peintures et de sculptures est également acceptable. »

Pas de sexes, pas de fesses, pas de poitrines féminines, bien que solide défenseur de la ségrégation mammaire des femmes, le règlement d’Instagram concernant la nudité a le mérite d’être clair. Rapporté au X-business, ça veut tout simplement dire « rien que du soft ». Qu’à cela ne tienne. Certaines actrices ont bien tenté de la jouer provoc’ au début, publiant de temps à autres des clichés des gratifications visqueuses que leur prodiguaient leurs partenaires, se faisant bannir derechef ; mais la plupart est rentrée dans le rang, ne se servant de la plateforme que comme simple outil promotionnel bon enfant où partager son quotidien pas banal d’actrice de cul. Les suspensions arbitraires n’ont pas cessé pour autant. Pire, il semblerait que la profession pornographique soit spécifiquement ciblée par le couperet numérique, avec des conséquences significatives.

Pour le commun des mortels, se voir banni d’un réseau social quelconque tient du désagrément. En quelques heures, le temps d’inventer une adresse mail fictive et de retrouver tous ses contacts, nous revoilà prêt à polluer la toile de nos fulgurances intellectuelles et de nos expérimentations artistiques. Lorsqu’on s’appelle Chanell Heart, et que l’on revendique plus de 252 000 followers, ce sont des mois de travail de fidélisation qui partent en fumée. Ostracisées sur les télévisions, les réseaux sociaux sont devenus, ces dernières années, des tremplins promotionnels incontournables pour les stars du X. Se voir bannir du jour au lendemain de l’une des plateformes, sans sommation et sans motif, est donc synonyme de pertes sèches pour l’intéressée, car à l’heure du porno gratuit seuls les fans les plus engagés consomment réellement.

Chanell Heart sur Instagram. Explicite, n’est-ce pas ?

De l’autre côté du réseau, Instagram ne fait pas dans la dentelle. Pressé par Apple, qui menace de l’interdire aux moins de 17 ans sur son App Store, et par les associations de protection de l’enfance (Protect Young Eyes pour ne citer qu’elle), son directoire subit un intense lobbying pour faire disparaître tout contenu un peu trop olé-olé ; le degré d’acceptabilité étant bien entendu à la libre appréciation des censeurs : tétons, seins, fesses, cuisses, poses suggestives, regards aguicheurs, etc. Pour ne pas se fâcher avec ses distributeurs ni perdre cette image proprette lui permettant de s’attribuer un marché toujours plus juvénile, la modération d’Insta tire donc à vue. Faute de stratégie globale ou d’algorithme suffisamment puissant pour chasser les paires de miches et les foufounes, on se tourne vers le bouc émissaire idéal, le porno, et on rase gratis. Et peu importe qu’il n’y ait rien de plus affriolants que quelques photos en bikini sur ces comptes. Le porte-parole de l’application l’explique très bien au magazine Jezebel : « Nous autorisons les contenus et les discussions ‘sex-positive’, mais étant donné la grande variété d’âges et de cultures des gens qui utilisent notre service, nous n’autorisons pas les contenus qui facilitent, encouragent ou coordonnent les rencontres sexuelles entre adultes. » Facebook, la maison-mère, renchérit ; elle restreint « le langage sexuellement explicite qui pourrait mener à une sollicitation, car une partie de l’audience au sein de notre communauté globale peut se montrer sensible vis-à-vis de ce type de contenu, et cela pourrait entraver la capacité des utilisateurs à se connecter à leurs amis et à la communauté au sens large. »

En clair, « ce n’est pas de notre faute ; c’est pour le bien de ‘la communauté globale’ », ou le nivellement par l’intolérance de chacun. Soit. Après tout, Instagram est libre de dicter les règles en vigueur sur son réseau. Là où le bât blesse, c’est dans l’application concrète de ces règles de bienséance. À l’heure où chaque actrice porno flippe que la moindre évocation de son métier soit assimilée à une provocation sexuelle, les comptes des Emily Ratajkowski, des Kendall Jenner, des Kim Kardashian rivalisent de tangas brésiliens, de topless et de nus intégraux. Il faut dire que cette dernière, en papesse des influenceuses, cumule pratiquement 140 millions d’abonnés sur l’appli, soit 2% de la population mondiale. Une « communauté globale » safe, inclusive et family-friendly, mais où l’on verrait les nichons de Madame West une fois de temps en temps, donc. Because business… Ironique lorsqu’on sait que la sextape de la starlette reste l’une des plus vues de l’histoire de l’humanité, faisant mathématiquement d’elle une authentique porn-star.

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Dans sa difficile quête d’un monde virtuel plus chaste, Instagram est heureusement aidé par quelques preux chevaliers de la morale sexuelle, ces types qui s’arrogent le droit de traîner dans la boue les actrices X par écran interposé. L’un d’entre eux – dont nous tairons le nom car, en média décent, nous refusons toute publicité aux terroristes – se montre particulièrement zélé. Très au fait de l’intransigeance d’IG pour les actrices X, il s’est lancé dans une véritable croisade contre la pornographie traquant et signalant les profils d’actrices porno, sans aucun motif, comme à la grande période de l’Inquisition. Puis, il s’en vante sur Twitter, sa réussite servant d’avertissement aux autres travailleurs du X-business. Car si son ambition est illusoire, sa réussite est, elle, très réelle. Il revendique plus de 250 suspensions de comptes. Confronté par Jezebel au sujet de ce cas de harcèlement caractérisé, Instagram botte en touche : rien ne prouve que ces signalements soient le fait d’une seule personne, et les comptes injustement suspendus (une poignée) ont été rétablis.

« Je vous préviens tous, vous qui contribuez à l’industrie du porno. Chaque pornstar, chaque site porno, chaque photographe porno ou même fans de pornstars, vous ne survivrez pas ! »

Pour l’Adulte Performers Actors Guild (APAG), un syndicat américain de la profession pornographique, ça ne suffit pas. La guilde dénonce la discrimination flagrante qu’Instagram applique à l’encontre du X-business. Dans une tribune publiée le 18 avril dernier sur son site, elle invite tous les performeurs discriminés à se faire connaître, afin de s’organiser et vraisemblablement d’entreprendre une riposte judiciaire. Au-dessus de ce genre de considération, les dirigeants d’Instagram n’ont pas daigné répondre à cette polémique. De toutes manières, depuis le 13 avril, tout contenu tendancieux qui n’enfreindrait pas explicitement les conditions d’utilisation pourrait malgré tout se voir arbitrairement « dé-référencés ». Aussi appelé « shadowban », cette stratégie ne consiste pas en une bête censure tapageuse. Au contraire, pas de vague. Les contenus polémiques ne sont plus supprimés, ils sont simplement exclus des résultat de recherche, et deviennent donc invisibles à qui ne sait pas spécifiquement qu’ils existent et leurs adresses précises.

Cette invisibilisation toujours plus grande de la pornographie sur les réseaux sociaux au profit, soit disant, de la navigation sécurisée des plus jeunes semble assez peu émouvoir l’opinion. Et pourtant, cette démarche pose d’importantes questions quant à notre consommation numérique. Internet doit-il nécessairement être un espace où les enfants peuvent naviguer en toute liberté ? Auquel cas, doit-on laisser aux GAFA le soin de régir la production artistique, la création, la culture, au nom de la « communauté globale » ? Quelle est alors la place du divertissement adulte, un loisir parfaitement légitime, au pays des i-Bisounours ?

Titulaire d'une maîtrise en cinéma, auteur d'une Porn Study à l'Université Paris VII Diderot, Clint B. est aujourd'hui chroniqueur de l'actualité porno.

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