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Femdom, en route vers le matriarcat ?

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À l’heure où le porno dans son ensemble est perçu par nos élites comme « un genre qui fait de la sexualité un théâtre d’humiliation et de violences faites à des femmes qui passent pour consentantes » (Emmanuel Macron, 20 novembre 2019), l’on oublie bien souvent de citer un domaine lubrique qui prend pourtant à revers les codes de l’envahissant patriarcat. Abréviation littérale de « domination féminine », le femdom regroupe un ensemble de fantasmes, de pratiques et de réalités qui pourraient bien, par leur popularité, faire vaciller toutes les idées préconçues quant à une pornographie vendue à la misogynie.

Maîtresse oh ma maîtresse

Puisque traitant d’autorité, le femdom se classe naturellement au sein des pratiques BDSM, avec toutefois une petite subtilité : le fait d’observer le rapport de domination selon un prisme genré, qui place la femme tout en haut de la chaîne alimentaire. Maîtresses, dominatrices, ou tout simplement dominas redoublent donc ici d’inventivité pour malmener leurs soumis, généralement mâles, aussi bien physiquement que verbalement ou psychologiquement. Aussi, dans une société qui théorise une opposition essentielle entre les sexes, la domination féminine se construit en contradiction avec l’ordre établi, au travers de spécificités propres.

Profession : Domina

Déjà, le femdom est une des rares disciplines sexuelles ouvertes à la professionnalisation, au-delà même de l’exploitation pornographique des pratiques. Pour une femme, le simple fait de commander est vu comme une compétence qui se monnaie, parfois très cher, tant il semble naturel que ces messieurs mènent les débats au pieu. Comme on dit, les hommes proposent, les femmes disposent. Et les soumis qui s’ignorent de se morfondre de n’être jamais pris en main par une patronne qui les traiterait comme les petites lavettes qu’ils sont au plus profond d’eux-mêmes. C’est là que les dominatrices professionnelles interviennent. Fortes d’un ascendant naturel sur les hommes et d’un savoir-faire inégalé en matière d’humiliation, ces expertes proposent à leurs ouailles un service prisé : les dépouiller des impératifs tyranniques de la virilité triomphante pour qu’ils s’abandonnent à l’autorité du sexe « faible » et se délectent sans vergogne d’un mépris ostentatoire, quand le monde autour d’eux se complaît entre estime hypocrite et dédain voilée. Un fantasme d’homme de pouvoir s’il en est.

Porter la culotte

Toutefois, il ne suffit pas de crier des ordres ponctués d’injures infamantes pour s’improviser domina. Une matronne digne de ce nom se doit évidemment de disposer de la tenue adéquate : une combinaison moulante de cuir et de latex, souvent couvrante, une paire de cuissardes ; de la panoplie idoine : fouet, cravache, bâillon, menottes ; et du décorum approprié : un donjon classieux, à mi-chemin entre le boudoir et la salle de torture. Ensuite, elle devra trouver quelques activités dégradantes à soumettre à ses sujets, pour assouvir leur profond besoin de vexation. À ce compte-là, tous les coups sont permis, dans les limites du consentement de l’intéressé. Du travestissement à la réification, de la souillure à l’exhibition publique, une maîtresse attentionnée fera fi de ses considérations quant à la dignité humaine pour trouver le point sensible, la faille dans la fierté de son soumis et l’exposer au grand jour. Le métier exige ainsi une profonde compréhension de la psychologie humaine, pour exercer efficacement et en toute sécurité.

Figures d’autorité

Tout ça pour dire que la question du coït s’avère très secondaire, lorsqu’elle n’est pas carrément balayée par des dames bien trop nobles pour s’avilir physiquement avec les gueux qui les sollicitent. Nombres d’entre elles réfutent d’ailleurs le qualificatif de « prostituée » (sans nécessairement le condamner). Pour autant, il n’est pas nécessaire de bannir toute interaction sexuelle ou assimilée. Qu’il s’agisse de punir ou de récompenser, les zones génitales sont de formidables catalyseurs d’intention. Le lamentable paillasson humain se montre récalcitrant ? Une petite séance de lattage de couilles (ballbusting) devrait lui remettre les pendules à l’heure. Le chien s’est montré impeccablement docile ? Le gratifier de quelques caresses, ou mieux, l’autoriser à laper un orteil odorant, un pied sale ou, comble du bonheur, une lèvre gonflée lui montrera certainement combien sa maîtresse est magnanime.

Matriarcat économique

Dans un registre inverse, certaines ne s’embarrassent ni de contacts physiques ni même de rencontres pour exercer leur pouvoir sur les mâles serviles. C’est le principe de la domination financière, ou findom. Généralement conclu sur les réseaux sociaux, ce genre de pacte est en quelques sortes le pendant radfem, option « Paola Tabet », du concept de sugar daddy. Là où le « papa sucre » joue au Bon Samaritain vicelard en épongeant les dépenses somptuaires d’une jeune femme ingénue et désargentée, la domina financière s’approprie dans sa lecture la plus littérale la notion d’échange économico-sexuel défendue par l’icône du féminisme matérialiste. En clair, son temps de femmes équivaut à de l’argent d’homme. La somme nécessaire pour susciter son attention, elle ne la réclame pas ; elle l’exige ! Un deal auquel de nombreux money slaves pas si désintéressés souscrivent, dans l’espoir de recevoir de leur reine un mot de remerciement passif-agressif, un message d’insulte personnalisé ou un doigt d’honneur en .jpg.

Tous ces pratiques fort exotiques entrent ainsi dans le cadre de la pornographie au sens large, en ce qu’elles reposent avant tout sur une performance théâtrale, une mise en scène dramatique codifiée et sexualisée. Ramenant la guerre des sexes à un conflit d’opérette où des femmes marchent sur les hommes consentant pour qu’ils expient les péchés d’un patriarcat antédiluvien, le femdom démontre toute la puissance cathartique du porno. Ni intrinsèquement sexiste, ni profondément moral, le fantasme n’a d’autre vocation que de nous réconcilier, dans la douleur et la jouissance, avec les contradictions de notre temps.

Titulaire d'une maîtrise en cinéma, auteur d'une Porn Study à l'Université Paris VII Diderot, Clint B. est aujourd'hui chroniqueur de l'actualité porno.

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