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Peut-on fantasmer sur la soumission après #Metoo ?

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Peut-on fantasmer sur la soumission après #Metoo ?

Le mouvement #Metoo a bouleversé les rapports hommes/femmes, et notre sexualité. Mais a-t-il également remodelé les fantasmes féminins ? Une femme peut-elle encore, aujourd’hui, se dire féministe et assumer son inclination pour la soumission ? Le récent livre de Gillian Anderson, Nos désirs, nous apporte un éclairage intéressant. 

Femme de dos soumise

Femme avec les mains liées

Qu’est-ce qu’un fantasme ?

« Le but d’un fantasme : nous offrir un endroit où laisser libre cours en toute sécurité à nos désirs érotiques inassouvis et potentiellement dangereux ou dégradants, sans risque qu’ils outrepassent les limites de notre imagination ou de notre chambre à coucher ». Cet extrait de la préface de Nos Désirs, de Gillian Anderson, offre une parfaite définition du fantasme : un espace de liberté dans lequel des images mentales éveillent et soutiennent le désir.

Une enquête menée par Gillian Anderson

Inspirée par son rôle de sexologue dans l’excellente série Sex Education, Gillian Anderson a lancé un appel à contribution aux femmes du monde entier, à travers le portail en ligne de son projet, Dear Gillian. L’ex-enquêtrice des X-files a choisi 174 d’entre eux, puis les a classés, selon des thèmes comme « envie de sale » « kink », « pouvoir et soumission », « jeux de regards »… Il est intéressant de prendre connaissance de ces fantasmes de 2024, puis de relire l’ouvrage qui a inspiré le projet d’Anderson : l’anthologie révolutionnaire de Nancy Friday, My Secret Garden, publié en 1973. Si les femmes faisaient montre d’une liberté absolue chez Friday, on sent bien que la plupart des contributrices d’Anderson retiennent leur plume, ou se « corrigent ». Les fantasmes les plus intéressants – et les plus excitants – sont aussi les plus sincèrement sans tabou. Par exemple, ce récit très détaillé, dans lequel une femme s’imagine donnant le sein à un caissier au supermarché, pendant qu’il se masturbe…

La collection de fantasmes de Nos désirs nous apprend une chose troublante : en cinquante ans, les fantasmes féminins semblent moins facilement avouables qu’en 1973. Les fantasmes liés à la contrainte, à la captivité, sont très présents (et souvent nourris de clichés empruntés à 50 nuances de Grey), mais, loin d’être décomplexés, ils s’expriment avec gêne. Et à la relecture de My Secret Garden, on peut se demander si ce livre serait publiable aujourd’hui, avec ses fantasmes de viol, d’inceste ou de zoophilie.

L’influence de #Metoo

L’affaire #Metoo est évidemment passée par là. Petit rappel des faits : en 2017, le producteur Harvey Weinstein est mis en cause par les témoignages de douze femmes l’accusant d’agressions sexuelles, dans le New York Times et le New Yorker. L’actrice Alyssa Milano utilise le hashtag #Metoo pour recueillir des témoignages de femmes victimes de violences sexuelles. Le mouvement s’étend à 85 pays. Cette libération historique de la parole des femmes se poursuit aujourd’hui, avec des conséquences indéniables sur notre  manière de penser les rapports hommes/femmes dans la sexualité. 

L'influence de @MeToo

Personnes manifestant contre les violences sexuelles

#MeToo nous a notamment appris à réguler les dynamiques de pouvoir. Avec un dommage collatéral : les femmes ont tendance à s’autocensurer, même lorsqu’il s’agit de fantasmes. Concernant le fantasme du viol, Maïa Mazaurette écrivait, sur le site Madmoizelle, en 2011 : « Ce qui se passe dans notre tête nous appartient. Si vous vous masturbez en pensant à des petits chats morts, tant que vous ne passez pas à l’acte, personne ne peut vous le reprocher, ça fait partie de votre absolue liberté de penser. (…) Alors ensuite, évidemment, on peut avoir l’impression de trahir les femmes vraiment violées, de trahir les femmes en général. Sauf que je le répète, vous ne faites de mal à personne, donc vous priver d’une richesse fantasmatique revient juste à vous tirer une balle dans le pied. » Cela semble aller de soi, et pourtant, depuis #Metoo, les cartes sont rebattues. Pour autant, faudrait-il nier certains fantasmes féminins récurrents au nom d’un refus de la domination masculine ?

Des fantasmes de soumission encore plus assumés !

Qu’en est-il de celles qui résistent aux injonctions émancipatrices et qui choisissent de vivre leurs fantasmes de soumission ? Un exemple : En Marche Noire, nom d’un trouple formé par Hélène, Canan et Quentin, et basé sur des rapports de domination assumés. Ils ont choisi d’exposer leur sexualité privée en ligne, en se lançant dans le porno. Quentin présente ses deux copines comme des esclaves sexuelles, affichant sur Instagram leurs moues boudeuses tout en jurant obéissance à leur maître… Cela semble relever d’un jeu anodin pour quelqu’un qui consomme régulièrement du porno, mais pour une féministe, c’est déjà subversif, même si le consentement est là… 

Le fantasme de soumission : très présent chez les jeunes adultes

Le psychiatre et anthropologue Philippe Brenot affirme qu’ « aucune sexualité n’est identique. Elle suit l’expérience de chacun. Mais elle est aussi socialement construite, en fonction des images que propose la société. Le fantasme féminin le plus répandu, c’est l’expression de la puissance masculine dans un rapport sexuel. » Dans son étude menée en 2012, Philippe Brenot a constaté que « de nombreuses femmes expriment le désir d’être “prises fortement”. C’est un peu la continuité de la soumission féminine. Elles fantasment aussi sur des hommes qui ont une position sociale supérieure. On est encore dans la domination. D’ailleurs, aujourd’hui, on constate que les femmes, notamment les plus jeunes, assument de plus en plus leurs fantasmes de soumission. »

Propos confirmés par un sondage mené en 2021 par la boutique parisienne Démonia, spécialisée en produits fetish/SM : les 18-34 ans représentent 47 % des acheteurs du site, contre 42 % en 2017. Plus récemment, en novembre 2024, une étude sur les fantasmes des Français réalisée par la plateforme Appinio, révèle que « si le BDSM fait fantasmer 19 % des Français, on remarque que les jeunes adultes y portent un intérêt plus prononcé, avec notamment 32 % des 18-24 ans. »

Le BDSM adopté par de nombreux couples

Le BDSM adopté par de nombreux couples

Personne enchaînée avec les mains dans le dos

Alors, l’attirance pour l’esthétique fetish, mise en avant par certaines influenceuses, est un véritable désir de soumission, ou une simple façon de lâcher prise, dans une société où les rapports hommes/femmes se compliquent ? Philippe Brenot observe : « le BDSM apparait aujourd’hui, de plus en plus, comme une solution pour relancer son couple ! ». Certes, mais ces fantasmes sont-ils encore avouables dans un monde post #Metoo ? Dans le livre de Gillian Anderson, on sent parfois que les fantasmes de soumission culpabilisent les femmes. Lorsqu’une contributrice de Nos Désirs s’imagine être capturée par un groupe de cambrioleurs, et jouir lorsque l’un d’eux la pénètre, elle insiste sur le fait qu’elle est « féministe » et que son fantasme d’orgasme sous contrainte constitue pour elle une « échappatoire ».

Le paradoxe du fantasme de la soumission chez les femmes

« Comment interpréter, se demande Gillian Anderson, le fait que des femmes, qui vivent pourtant dans la peur constante d’une agression sexuelle, puissent rêver d’être enlevées et utilisées sexuellement, souvent par plus d’un homme ? » L’actrice ne se risque à aucune analyse, mais exprime néanmoins sa conviction : « très rares sont celles qui souhaiteraient voir advenir de telles situations dans la vraie vie ». Elle ajoute : « dans ces scénarios, la femme tient le rôle de la soumise, mais au fond, elle est aussi aux commandes ». Assumer son fantasme d’être soumise, et pourquoi pas le réaliser, peu importe : aujourd’hui, les femmes veulent faire leurs propres choix. Et c’est bien une démarche féministe.

Après #Metoo, les femmes ont voulu défendre non seulement le respect systématique du consentement, mais aussi la liberté d’examiner la manière dont leurs fantasmes sont construits, pour les vivre en toute connaissance de cause. Et cette révolution ne fait que commencer.

Pierre Des Esseintes est auteur et journaliste, spécialisé dans les questions de sexualité. De formation philosophique, il est également sexologue. Il a publié, aux éditions La Musardine, Osez la bisexualité, Osez le libertinage et Osez l’infidélité. Il est aussi l’auteur, aux éditions First, de Faire l’amour à un homme et 150 secrets pour rendre un homme fou de plaisir.

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