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SISEA, la loi américaine qui pourrait bien rayer le X de la carte

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Depuis l’édito du New York Times « The Children of Pornhub », qui taillait des croupières à la plateforme-phare de Mindgeek, la guerre contre le porno a repris de plus belle. Et la prochaine bataille risque bien de se jouer sur le champ de la législation américaine, à la faveur de SISEA, une nouvelle proposition de loi soutenue à la fois par le Sénateur républicain du Nebraska Ben Sasse et son homologue démocrate de l’Oregon Jeff Merkley. Sous ses airs de lutte contre la cyber-exploitation sexuelle, le texte pourrait bien en réalité sonner le glas du porno sur Internet tel que nous le connaissons et repousser les sex workers vers des confins toujours plus mal famés de la toile.

Un peu plus de deux ans après la promulgation controversée de SESTA/FOSTA qui, sous couvert de lutte contre le trafic sexuel, muselait déjà l’exercice du travail du sexe sur le Net, le législateur américain récidive avec le Stop Internet Sexual Exploitation Act, de son petit nom SISEA. Conçu pour « empêcher l’upload d’images pornographiques sur des plateformes en ligne sans le consentement des individus sur les images », ce nouvel arsenal juridique fait directement écho au papier du New York Times qui étrillait la modération en vigueur jusqu’alors sur Pornhub. Des mots mêmes de son promoteur démocrate Jeff Merkley, sur son site officiel, « bien que certaines plateformes en ligne aient annoncé des mesures pour changer leur pratiques, il y a encore beaucoup plus à faire. Nous devons nous assurer qu’aucune autre vie d’enfant, d’homme ou de femme ne soit détruite par ces sites. » Et le projet de loi de rebondir sur ces formules grandiloquentes pour contraindre légalement les hébergeurs de contenus pornographiques à une modération rigoureuse, intégrale et instantanée.

The Children Of Pornhub, le reportage du New York Times qui a mis le feu aux poudres

Les injonctions sont les suivantes :

  • Vérifier l’identité de chaque contributeur
  • Exiger de chaque contributeur qu’il fournisse un document nominatif signé confirmant le consentement de chaque personne figurant sur les images qu’il publie.
  • Permettre un recours légal contre un contributeur qui soumet des images pornographiques sans le consentement des individus qui y figurent.
  • Informer, au moyen d’une note ou d’une bannière, les visiteurs de leur possibilité de réclamer le retrait d’une vidéo dans laquelle apparaîtrait quelqu’un qui n’y aurait pas consenti, et leur expliquer la procédure.
  • Empêcher le téléchargement des séquences depuis la plateforme.
  • Disposer d’une hot-line accessible vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, pour traiter sans délai les demandes de retrait.
  • Supprimer les vidéos signalées sous deux heures maximum.
  • Disposer d’un logiciel empêchant la soumission ultérieure d’une vidéo précédemment supprimée.
  • Dénoncer les contrevenants auprès de la Federal Trade Commission
  • Créer une base de données comparative des individus ayant fait part de leur non-consentement et la solliciter à chaque nouvelle soumission de vidéo

Tout manquement à ces obligations exposerait la plateforme à des poursuites civiles en faveur des victimes.

Pour effacer des contenus chauds dans ta région, envoie PORNOCRIMINEL au 8 12 12

Appliquées aux plateformes de porno gratuit, ces directives certes draconiennes (Hot-line et modération sous deux heures ; et pourquoi pas une brigade d’intervention ?) pourraient presque tomber sous le coup du bon sens, à quelques détails près. Déjà, le fond du propos est quelque peu redondant. Car oui, aux Etats-Unis comme à peu près partout où il existe un droit à l’image, il est interdit de publier les photos de quiconque sans son consentement. Ainsi, le texte ne comble pas un vide juridique, il entend compenser un manque de moyens. Complètement dépassées par les enjeux de la communication moderne et numérique, incapable de penser et d’encadrer la liberté d’expression à l’aune des réseaux sociaux, les autorités bottent en touche. Elles préfèrent déléguer cette problématique aux canaux d’information ; ce qui nous amène au second problème : laisser à des entités privées la charge de policer le Net.

Les états sont en quête de souveraineté numérique, et tout spécialement depuis un certain coup d’état cultivé de longue date au plus profond du Net et des réseaux sociaux. Sauf qu’impuissants à mettre au pas les géants comme Twitter et Facebook, toujours plus perdus dans leur arbitrage par la censure, ils se rabattent en désespoir de cause sur les agrégateurs porno. Viols, trafic sexuel, pédocriminalité, il faut dire que le secteur est bien plus porteur en faits divers croustillants et racoleurs qu’un énième débat sur les pratiques orwelliennes des nouveaux Big Brothers. Et peu importe que ces derniers déversent sur le monde plus de violence, de terreur et d’abus que tout ce à quoi pourrait prétendre le pire des sites de cul. 

Du bienfondé de laisser la liberté d’expression aux mains de Facebook Twitter et cie.

La lutte contre le trafic d’être humain et l’exploitation sexuelle est en outre le nouveau cheval de bataille des anti-pornos radicaux. Constatant leur défaite sur le terrain idéologique de la morale sexuelle, les intégristes de la cause comme Exodus Cry se tournent vers des combats plus progressistes et universels pour justifier leur aversion pour le X, et montent en épingle les défaillances de l’industrie pour la condamner dans son ensemble sous l’étiquette du proxénétisme. Car c’est de cela qu’il s’agit. Par ses conditions de modération surréalistes et inapplicables, SISEA pourrait conduire à la purge du porno de toutes les plateformes et réseaux sociaux, ces derniers préférant certainement faire disparaître préventivement tout contenu licencieux plutôt que de mettre en jeu leur responsabilité légale pour quelques séquences. À terme, c’est toute la profession, des studios aux travailleurs indépendants, qui se verrait privée d’existence sur les grandes plateformes de communication (pour le plus grand bonheur des faussaires), réduite à se promouvoir clandestinement, sur des applications et des réseaux beaucoup moins fiables et sûrs, sous peine de disparaître.

Pour le moment, aucune date n’a été annoncée concernant l’examen d’un tel projet en commission. Mais vu l’attention médiatique portée à la débâcle de Pornhub, l’opinion publique semble acquise à un durcissement des législations à l’encontre du X-business ; une raison suffisante pour s’alarmer sur le sort réservé à des travailleurs du sexe déjà passablement ébranlés par cette pandémie qui n’en finit pas. Les décrets SESTA et FOSTA n’ont fait qu’amplifier leur précarité, il en sera de même pour SISEA, le petit dernier…

Titulaire d'une maîtrise en cinéma, auteur d'une Porn Study à l'Université Paris VII Diderot, Clint B. est aujourd'hui chroniqueur de l'actualité porno.

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