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Réhabilitons le cocu

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Coup de projecteur sur le « cuck », archétype érotique dénigré, mais ô combien central dans l’univers de nos fantasmes.

Indignité, servilité, veulerie, le cocu, ou « cuck » en anglais (diminutif de « cuckold ») serait coupable de toutes les tares. Car à l’heure où le terme est adressé à tout bout de champ dans le débat public, le cuck n’est plus seulement la victime douloureuse ou conciliante d’un adultère, il en devient par sa faiblesse de caractère le responsable de tous les maux contemporains de notre société qui va mal : tromperie, effondrement du mariage et des valeurs familiales traditionnelles voire féminisme, lesbianisme et grand remplacement selon la radicalité du bord politique. N’en jetez plus. En plus de devoir encaisser les penchants pluralistes de madame, le cocu doit supporter l’opprobre de ses pairs : la double peine sur fond de double péné… Et si, plutôt que de lui jeter la pierre, l’on reconnaissait en lui le diplomate, le généreux, l’accommodant, le magnanime. Après tout, sans lui le royaume de nos fantasmes se verrait amputé d’une de ses contrées les plus florissantes.

Vous auriez dû vous méfier du bel étalon…

L’étalon de Troie

Loin d’être un concept moderne, l’archétype du cocu trouve en réalité ses fondations au plus profond de notre histoire culturelle, dans l’Iliade d’Homère. La légendaire Guerre de Troie, référence littéraire absolue du monde occidental, a ainsi pour principal motif l’adultère mal digéré du roi Ménélas, sa sublime épouse Hélène ayant été offerte (ou du moins livrée) au prince troyen Paris, par la déesse Aphrodite. Bafoué, car la fidélité des épouses est alors moins une affaire d’amour que d’honneur, le cocu originel mettra à feu et à sang le royaume de son rival pour récupérer sa conquête légitime.

Fort de cette parabole bien peu féministe sur les conséquences de la tromperie, les Grecs nous livrent un autre récit sur les affres du partage conjugal, celui de Candaule, roi de Lydie, aux mœurs plutôt libres. Le monarque est si fier de la beauté de sa dame qu’il laisse secrètement Gygès, son personal bodyguard, admirer leurs ébats, inventant alors le candaulisme. Jusqu’au jour où madame découvre son petit manège, surprend Gygès et lui propose le deal du siècle : soit il est exécuté sur-le-champ, soit il accepte d’assassiner son ami le roi, d’épouser la belle et de prétendre au trône. Au risque de vous surprendre, le triomphe des serments d’amitié virile n’est pas le sujet de l’épilogue….

Vient enfin Messaline. Car si les divers archétypes du cocu, le jaloux et le vaniteux, connaissent chacun une incarnation antique funeste, l’objet de leurs tourments, la femme libre, volage et insoumise méritait elle aussi une figure tutélaire. On est cette fois-ci au premier siècle de notre ère chez les Romains, pour lesquels l’intéressée fait un temps office d’impératrice. Troisième épouse de l’empereur Claude, on lui prête une réputation des plus sulfureuses : intransigeante, calculatrice, cruelle et surtout nymphomane. Avec la bénédiction de son illustre mari, qu’elle tient par les couilles, elle collectionne les amants dans un but aussi charnel que politique, asseyant sa position sur la queue turgescente des intrigants et des comploteurs. Habituée des bordels de Subure, où elle consomme autant qu’elle se produit, elle est l’Augusta Meretrix, la « putain impériale », dont les excès seront encore contés par les historiens de deux mille ans plus tard. Elle meurt avant trente ans, d’une conspiration retournée contre elle. La morale, elle, est sauve…

Mesdames Bovary

Cadrée par ces mythes historiques aux conclusions tragiques, la morale conjugale se cristallise autour de la notion de possession, en particulier de la femme par l’homme, pour des siècles et des siècles. Et, goût de la transgression oblige, les carcans moraux constituent un terrain particulièrement fertile au fantasme. Le dix-neuvième siècle achève d’ériger le cocu en symbole. Le chef d’œuvre de Gustave Flaubert Madame Bovary installe le cuck en soumis masochiste, tandis que le vaudeville tourne en ridicule sa naïveté crasse, sa complaisance aveugle. Quelle honte délectable, quelle humiliation exquise, quelle indicible excitation, que de voir son épouse, cette adorable salope, rompre le vœu de fidélité pour étancher son inextinguible besoin de débauche. Le cocu devient l’incarnation de la lâcheté innocente et de la résignation passive, l’antithèse absolue d’une virilité qui ne jure que par la conquête et la révolte. Vous sentez pointer la trique ?

Il n’en faut pas plus pour que le porno s’empare d’un tel motif et en fasse son plus fidèle marronnier, pompant sans complexe les intrigues de Feydeau, de l’amant sous le lit à la pipe sous la table. Or, malgré son rôle ingrat, c’est toujours le cocu, le héros de l’histoire, ses émotions à lui, les vecteurs de l’excitation du spectateur. Et pour cause, le cuckold porn est un genre de mecs, a fortiori de mecs conservateurs, qui voient dans ses séquences l’orgasmique transgression de leurs valeurs les plus chères.

Ce n’est pas moi qui le dit, mais le spécialiste en sexualité du Kinsley Institute Justin Lehmiller dans un article du Washington Post autour de l’affaire Jerry Falwell Jr. Rebondissant sur la mésaventure de cette figure de la communauté chrétienne évangélique, grillée depuis la révélation des plans candaulistes auxquels il s’adonnait avec sa femme, le chroniqueur souligne la prééminence de ce fantasme chez les hommes conservateurs. Selon un sondage réalisé pour les besoins de son livre Tell Me What You Want, quand 52% des hommes hétérosexuels affirment fantasmer à l’idée de voir leur partenaire aux mains d’autres hommes, ils sont 64% dans les franges revendiquées républicaines de la population contre seulement 49% chez les Démocrates. Une marge significative que le sociologue justifie comme tel :

« Etant donné que les partisans de droite tendent à avoir plus de restrictions concernant la sexualité en général, il est raisonnable de penser qu’ils ont accès à beaucoup de tabous potentiellement attrayants. Et parmi ces nombreux obstacles paradoxalement séduisants à la gratification sexuelle, le cuckolding est l’un des plus prééminents. Ils ne sont vraiment, vraiment pas supposés devenir des cocus, et encore moins le désirer ardemment.

Selon cette logique, un homme qui partage sa femme avec un autre homme ne se contente pas de violer un les diktats moraux et sociaux de la monogamie, il viole aussi la notion traditionnelle de la masculinité. Dans les yeux de nombreux hommes, le cuckolding est la forme d’émasculation ultime. C’est précisément pour cette raison que tant d’hommes de droite ont pris le pli d’employer le terme de « cuck » pour dénigrer les hommes qu’ils voient céder leur contrôle ou leur pouvoir ou s’humilier publiquement. C’est aussi pourquoi tant d’entre eux emploient le terme « cuckstervateurs » en référence aux hommes conservateurs qu’ils perçoivent comme basculant à gauche. »

Adultère et métissage vont souvent de paire…

La Sainte Trinité

Il n’y a qu’à voir combien le genre est irrigué de poncifs coloniaux et masculinistes pour s’en convaincre. Entre gangbangs de petites blondes par de grands éphèbes noirs bien membrés et féminisation outrancière du mari trompé par la femme parjure, le fantasme du cocu se fait volontiers rétrograde pour chatouiller la grosse veine tradi de son audience.

Evitons toutefois de jeter le cocu avec les draps du lit. Il est un symbole conservateur à double tranchant. Car si le cuck s’impose en gardien des valeurs traditionnelles : volonté d’appropriation, rejet de l’étranger (au ménage, au groupe, au pays), il est aussi l’incarnation de leur échec cuisant. En définitive, madame finit toujours par aller voir ailleurs, qui-plus-est avec un bellâtre généralement plus exotique que son régulier. En matière de diktat monogame, l’humiliation de l’un est l’émancipation de l’autre. À plus forte raison, et malgré ses bases réactionnaires, la séquence d’adultère est en réalité fédératrice. Etablie sur un triptyque conflictuelle : le mari, la femme et l’amant, elle satisfait en réalité tout le monde. Le traditionaliste y assouvit la pulsion masochiste de voir son pire cauchemar se réaliser virtuellement, la spectatrice s’y projette en Messaline pour qui dresse les chibres, brise les cœurs et fait vaciller les empires, le révolutionnaire y admire la revanche des opprimés sur l’oppresseur, le triomphe du chaos charnel sur l’ordre conjugal établi.

Aussi, célébrons le cuckold-porn pour le statu quo idéologique parfait qu’il incarne. Intarissable puit de fantasmes, il réconcilie les opposés dans la transgression, flattant les perversions narcissiques les plus sombres de chacun autour d’une communion cathartique.

Enfin, remercions le cocu, sans qui rien de tout cela ne serait possible. Moins criminel que victime ou complice, il mérite respect, sinon compassion. Sans mari obligeant, point d’aventures candaulistes ; sans époux ennuyeux, point de milfs chaudasses et désœuvrées ; sans conjoint trompé, point d’amant conquérant. Son martyre adultère est notre rédemption pornographique.

Titulaire d'une maîtrise en cinéma, auteur d'une Porn Study à l'Université Paris VII Diderot, Clint B. est aujourd'hui chroniqueur de l'actualité porno.

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