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Les Etats-Unis rejoignent la guerre contre le X… et contre le Web

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À la faveur d’une vague républicaine, les Etats-Unis se positionnent en faveur de la régulation d’âge. Une posture qui pourrait mettre en péril le X-business et la liberté des internautes.

Louisiane, puis Arkansas, Mississippi, Utah, Oregon, Texas… Sous l’impulsion du parti républicain, nombre d’états américains ont promulgué, ou sont en passe de le faire, des lois imposant aux sites X de vérifier l’âge de leurs visiteurs, afin d’endiguer l’accès des mineurs aux contenus pornographiques. Or, le X-business s’inquiète de voir la régulation du net tomber aux mains des officines les plus conservatrices du pays. Et à juste titre, car le pays en question, autrefois phare de l’émancipation individuelle et de la liberté d’expression, s’illustre aujourd’hui par ses régressions sans précédent en matière de justice sociale, de droits des femmes et des personnes LGBT, de l’interdiction de l’avortement (annulation de l’arrêt Roe v Wade), à l’invisibilisation des personnes gays et trans (le fameux Don’t Say Gay act). 

En France, les derniers recours contre l’application de la loi de vérification d’âge sur les sites pornographiques ont été déboutés successivement par la Cour de Cassation et le Conseil d’Etat. Les premiers jugements, sur le fond et non plus sur la forme, devraient donc avoir lieu chez nous dans le courant de l’année. À l’instar de notre beau pays, les Etats-Unis se mettent eux aussi, état par état, à considérer l’option de la vérification d’âge obligatoire pour les sites porno, avec la même méconnaissance des réalités du numérique, le même flou juridique et le même soupçon de censure pudibonde. Comme d’habitude, l’initiative part d’une bonne intention, la sempiternelle « protection des enfants », argument incontestable rebattu à l’envi dès qu’il s’agit d’imposer de nouvelles normes de contrôles des réseaux à la population. Ainsi, d’après le nouveau décret promulgué en Louisiane sous l’appellation d’Act 440, tous les sites dont le contenu comporte plus de 33% de messages à caractère pornographique sont dorénavant tenus de disposer d’un outil de vérification d’âge efficace de ses visiteurs. Le petit twist ici, c’est que n’importe quel parent est dès lors en mesure de traîner devant les tribunaux tout site qui contreviendrait à la législation. Et l’état de Louisiane d’offrir ce nouveau marché du contrôle d’identité à Envoc, société informatique privée un temps envisagée pour s’occuper de la numérisation des permis de conduire locaux. 

« Lavnirdézonfon »

Et comme ailleurs, la mesure ne va pas sans poser de menus problèmes, que l’industrie du X, par la voix de son association professionnelle, la Free Speech Coalition, s’est empressée de dénoncer. 

D’abord, la FSC souligne le problème de la collecte de données extrêmement personnelles et critiques (nom, âge, orientation, préférences et fétichismes sexuels) par des entités privées et commerciales. Loin d’être bénévole, cette collecte a de grandes chances d’alimenter le grand marché de la data qui met à prix chaque aspect de nos vies privées. Plus grave encore, le risque de fuite. Car il ne suffit pas de faire confiance aveuglément à l’entreprise qui promet de collecter nos informations pour le bien commun, ou à la politique d’état nécessairement partiale qui la sponsorise, il faut en plus présumer de sa capacité à parfaitement protéger ses informations contre le piratage. 

Dans un second temps, la FSC alerte l’opinion sur le risque de monopolisation du secteur par les multinationales du divertissement adulte, Mindgeek en tête, qui profiteraient grandement de cette injonction pour balayer tous les petits studios indépendants. Les moyens de telles mesures de vérification ne sont pas à la portée de n’importe quel site web, bien au contraire. Selon le volume et les méthodes utilisées, le coût d’un tel outil est d’environ 10 à 50 centimes par connexion. Autant dire que seuls les agrégateurs de trafic les plus massifs peuvent se permettre de tels dépenses. 

Enfin, l’association se fait l’écho des inquiétudes de la communauté LGBT, qui craint de voir les sites relatifs à la diversité sexuelle, qu’ils soient pornographiques ou non, tout simplement censurés. Depuis le Don’t Say Gay act promulgué en Floride en mars dernier, les états conservateurs prennent un virage homophobe particulièrement alarmant. Au nom encore une fois de la protection des enfants, le décret copié de législation en législation interdit entre autres toute évocation des orientations sexuelles et des identités de genre dans les écoles jusqu’au CE2, au point de purger les bibliothèques scolaires de tous les livres qui oseraient évoquer l’homosexualité. À ce titre, il n’y a donc pas à chercher bien loin pour percevoir comment l’act 440 de Louisiane pourrait être instrumentalisé de sorte à purger le web des plateformes LGBT. Les mêmes arguments servent les mêmes objectifs pour le compte des mêmes politiques réactionnaires. 

Au-delà de problématiques sociales soulignées par la Free Speech Coalition, la législation de Louisiane comporte en outre les mêmes failles structurelles que la récente loi française sur la question ; failles abondamment décrites sur nos pages, d’ailleurs. Faiblesse des moyens au regard des volumes concernés, application arbitraire basée sur la dénonciation, facilité enfantine du contournement via un simple VPN, l’inefficacité de ce genre de mesure n’est plus à démontrer. Et c’est sans compter le coup de canif porté à la liberté du web et des internautes que ce genre de loi promeut. Et si justement, la fin de l’anonymat numérique n’était pas précisément le but inavoué de posture de lutte contre la diffusion du X ?

Porno, labo d’essai

L’anonymat et la libre circulation de l’information sur Internet sont autant d’épines dans le pied des états souverains depuis la naissance du réseau. À tort ou à raison, ces postulats sont néanmoins à la base des échanges sur le Web. Or, pour reprendre la main sur le contrôle de l’information accessible à leurs citoyens, les gouvernements des plus totalitaires aux plus démocratiques travaillent à y mettre fin. On peut ainsi concevoir l’injonction à l’identification imposée aux sites pornographiques comme le laboratoire d’essai de ces nouvelles mesures de contrôle des populations.

Du point de vue expérimental, l’industrie du X a ainsi plusieurs avantages. D’abord, parce qu’elle est précurseuse, malgré elle, des transitions des modèles économiques de l’information et des biens culturelles. La transition numérique qui a provoqué l’effondrement puis la mutation du X-business au milieu des années 2000 avait déjà servi d’exemple aux industries de la musique, du cinéma et de la vidéo, pour leur transition vers une économie du streaming. 

Ensuite, le business pornographique, par sa mise au ban de la société, fait un terrain d’expérimentation parfait pour les législateurs les plus autoritaires. Qui se souciera de l’exclusion économique de quelques créateurs de contenus obscènes, de la stigmatisation de leurs clients, du énième bouleversement de leur économie du vice ? La réponse : personne. On peut donc décréter tout et n’importe quoi à son encontre, surtout si c’est pour le bien des enfants.

Enfin, par la masse et la diversité de consommateurs et consommatrices qu’il représente, le marché du X propose un échantillon-test tout à fait représentatif pour juger de la disposition de la population à se plier à de nouvelles normes, partager sa carte d’identité ou ses données biométriques pour se connecter par exemple.

Progressivement, législation locale par législation locale, les Etats-Unis intègrent donc discrètement le groupe des pays occidentaux (et donc nécessairement « démocratiques ») à assumer un contrôle rigoureux de ses internautes par le biais du porno. Ils rejoignent ainsi l’Inde, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France dans leur lutte contre l’indépendance du Web. La carte descriptive suivante, réalisée par la rédaction, permet en conclusion de se faire une idée plus précise de la lutte contre la circulation des contenus pornographiques sur Internet, et par une étrange coïncidence de l’état de la liberté de navigation des internautes à travers le monde.

Titulaire d'une maîtrise en cinéma, auteur d'une Porn Study à l'Université Paris VII Diderot, Clint B. est aujourd'hui chroniqueur de l'actualité porno.

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