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69, entre tête-à-tête et tête-à-queue
Le 69, gâterie ultime ou déception annoncée ? On regarde ça d’un peu plus près avec un peu d’histoire, un petit sondage et quelques retours sur expérience…
Des turluttes baveuses aux tongue tornadoes ébouriffantes, le sexe oral est de nos jours un lieu commun du répertoire érotique, passage quasi-obligé de tout récital digne de ce nom, où que l’on se place sur le spectre des sexualités. Il est hélas très facile de pointer l’asymétrie de telles pratiques. La personne qui donne s’assujettit, exécute, voire obéit, quand celle qui reçoit profite, dirige, ordonne, pour parfois ne même pas se fatiguer à rendre la pareil. Or, la géométrie des corps permet une position qui résorbe toutes les injustices, une sorte de yin-yang du cul, un qu’on-s’en-suce parfait : le fameux 69 ! Et si l’on jetait un coup d’œil à la plus harmonieuse des figures charnelles ?
Contrairement à une légende urbaine persistante, le 69 n’est pas la soixante-neuvième position du Kama Sutra, bien qu’il y figure sous un titre poétique : « Lorsqu’un homme et une femme sont couchés en sens inverse, c’est-à-dire la tête de l’un vers les pieds de l’autre, et se livrent à cette espèce de congrès, cela s’appelle le congrès du corbeau. » C’est dire si l’idée de se butiner mutuellement le pistil est ancestrale. La première mention littéraire du nombre magique en tant que pratique sexuelle serait issue du Catéchisme libertin à l’usage des filles de joie et des jeunes demoiselles qui se destinent à embrasser cette profession, d’Anne-Josèphe Théroigne de Méricourt, icône révolutionnaire et féministe liégeoise, publié en 1791. On peut donc supposer que l’expression était déjà courante à cette époque.
Arithmétique des corps
Comme chacun l’aura donc deviné, l’origine d’un tel nom vient tout simplement de l’analogie entre les chiffres qui le composent et la position des corps pendant l’acte (les boucles représentent les têtes des gens qui font zwouig-zwouig, pour ceux du fond). La charge érotique du concept est d’ailleurs si forte qu’elle imprègne jusqu’aux mathématiques. Et il n’est désormais plus possible de conclure la septième dizaine sans recevoir les œillades lourdes de sens de son audience. Le 69 est dans toutes les têtes, mais est-il dans tous les lits ?
Il revêt en tout cas un potentiel universel. Contrairement à la plupart des pratiques intimes, nécessitant organes, orifices ou accessoire spécifiques, il sied à toutes les orientations, toutes les sexualités, sous réserve évidemment d’être ouvert aux interactions bucco-génitales. Cela dit, le débat persiste : s’agit-il vraiment d’une position sexuelle ? Après tout, tailler une pipe ou bouffer une chatte est souvent réduit à des préliminaires, l’amuse-bouche avant le plat de résistance, cette bonne vieille péné… Pourquoi le 69, sous prétexte qu’il combine deux rapports oraux en un, jouirait des mêmes honneurs qu’une levrette claquée, un rodéo amazonien, une catapulte javanaise, tous ces « vrais » rapports sexuels ?
Bon, c'est l'heure du grand débat :
— 🃏 Clint Brackmore 🃏 (@CtrlMajSuppr) February 16, 2023
M'sieur, dames (surtout mesdames d'ailleurs), donnez-moi votre avis à chaud sur le fameux 69. Avec le pourquoi si possible. ☯️
Merci !
Le numéro complémentaire
Peut-être tout bêtement parce qu’à travers l’évolution des mœurs, l’on tend à remettre en question l’impératif de la pénétration, l’injonction à l’orgasme, ce sommet illusoire, pour des valeurs érotiques plus concrètes, comme la réciprocité, la tendresse tactile, le plaisir partagé. D’ailleurs, le mâle moderne et déconstruit ne s’y trompe pas et érige bien souvent le 69 en pinacle de sa sexualité. Son bâton de maréchal gravé aux ordres de l’égalité des genres humblement tendu au « sexe faible », il flâne, le nez en l’air, aux confins de la vallée de l’ombre de la petite mort, brebis moins égarée que convaincue de sa prochaine absolution. En prime, il a l’honneur, au demeurant bien mérité, de se faire pomper le dard par une amie forcément reconnaissante de tant de progressisme… Que demande le peuple ?
« Perso, j’adore. Rien de mieux que de se sentir l’un contre l’autre, à se procurer mutuellement du plaisir, tout en douceur. Puis, la vue est incroyable. Il faut aimer être « aux premières loges », mais il n’y a rien de plus intime. » – Clint Brackmore, gonzo-journaliste.
Sauf que du côté de la gente féminine, la réception est loin d’être aussi unanime. Bien plus critiques des concessions paritaires d’un patriarcat qui feint de s’amender, elles sont nombreuses à décrier le sixty-nine -que les anglophones désignent bien souvent à la française, by the way. Il faut dire que quand l’homme profite d’un panorama imprenable sur les reliefs de sa moitié, qu’il peut pétrir à sa guise en titillant la lucarne, les dames s’y sentent généralement aussi élégante qu’une orque échouée sur l’estran, à la merci d’un touriste enthousiaste et bien trop pressé de lui souffler dans l’évent. Si les manipulations s’avèrent certes agréables, le sentiment d’exhibition frise généralement l’obscène, ce que déplorent les pudiques posant leur intimité la plus crue sur le nez de leur partenaire.
« J’ai tendance à penser que les hommes aiment et les femmes moins. Moi, je n’aime pas vraiment, parce que je trouve que je suis trop concentrée sur le plaisir de mon partenaire et pas assez sur le mien. Aussi la position où je suis au dessus n’est pas la meilleure pour se détendre. Je ne pense pas pouvoir jouir en 69 par exemple. J’suis même pas sûre que ça soit vraiment kiffant au point d’arriver au bord. Entre la position inconfortable, le focus sur le plaisir de l’autre, et la gène qu’il ait la vue sur mon intimité sans zéro pudeur… » – Ibicella, créatrice findom.
Jouir et faire jouir
En outre, le grand oral peut vite relever de la gageure, l’angle d’attaque n’étant pas des plus adaptés aux activités envisagées. Quel gâchis tout de même, d’avoir élevé ses talents de fellatrice à un degré d’excellence qui renvoie les hommes à l’humilité la plus précoce, pour se débattre à l’envers avec un zob récalcitrant. En fait, loin d’abolir les injonctions, le 69 fait, aux yeux des femmes, plutôt l’effet d’une soutenance devant jury, nécessitant d’être tout à la fois féminine et technique, adroite et décontractée, impeccablement apprêtée et inexorablement salope, du côté face comme du côté pile. C’est dire si se concentrer sur son propre plaisir au milieu de toute cette pression tient de l’utopie. Parce qu’il faudrait jouir, par-dessus le marché…
Définitivement, le 69 n’est donc pas la position sexuelle ultime, capable de satisfaire simultanément les désirs d’amour de tout un chacun, en réconciliant les deux sexes d’un orgasme synchronisé d’un bout à l’autre du matelas. C’eut été trop facile. Mais n’est-ce pas trop lui en demander ? L’on gagnerait peut-être à considérer ce singulier corps-à-corps pour ce qu’il est, un moment de partage dépouillé des impératifs de performance, une parenthèse aphone au milieu des cris, un statu quo temporaire au cœur du duel. En somme, une simple mise en bouche en prévision de douceurs plus croustillantes.
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