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Sex Story : la face couchée de l’Histoire
Savez-vous que le vibromasseur a été inventé par Cléopâtre ? Que c’est par la collecte d’un impôt dans un bordel que la Chapelle Sixtine a pu être financée ? Que les anciens Égyptiens ont inventé la contraception ? Que le mariage d’amour a moins de cent ans ? Voila quelques-unes des infos, parmi des centaines d’autres tout aussi passionnantes, que l’on peut découvrir dans la monumentale BD Sex Story de Philippe Brenot et Laetitia Coryn.
Le projet d’une histoire du sexe en BD germait depuis près de dix ans dans l’esprit de Philippe Brenot, psychiatre et anthropologue, directeur des enseignements de sexologie à l’université Paris Descartes. C’est en collaboration avec la dessinatrice Laetitia Coryn qu’il a pu le mener à bien. Voici donc, en BD, une histoire du sexe en Occident, depuis nos plus lointains ancêtres jusqu’à une réflexion prospective sur les prochaines décennies.
La Voix du X a rencontré Philippe Brenot, qui s’est expliqué sur le choix d’une dessinatrice : «il était évident pour moi que je devais réaliser cela avec une femme. Le regard de deux hommes sur la sexualité, cela n’aurait pas été crédible. Nous avons travaillé une année entière, tous les jours. Nous avons été surpris du résultat : tout à coup, nous nous sommes retrouvés avec 208 pages, l’équivalent de quatre albums de BD standards ! »
L’ambition de Philippe Brenot est d’essayer de «comprendre la sexualité en tant qu’anthropologue », en la plaçant dans une perspective historique. L’intérêt de la démarche est bien sûr d’essayer de comprendre ce que nous vivons aujourd’hui. « Nous avons vécu une révolution dans la sexualité dans les années 70, explique-t-il. Mais cela a surtout libéré la parole. Il existe aujourd’hui une grande misère sexuelle. Aujourd’hui, nos modèles sont ceux des magazines féminins, qui présentent une sexualité idéalisée, matinée de porno.» Philippe Brenot déplore l’absence d’éducation à la sexualité : « quand on voit le succès de ma Manif pour tous, on se rend compte que l’homosexualité est très peu acceptée, et que 30 % de la société française n’a aucune idée de ce qu’est l’orientation sexuelle. »
A la fin de la lecture de cette BD foisonnante, on comprend ce qui, finalement est proprement humain dans la sexualité : l’amour, et la domination masculine. Deux leitmotiv de cet album. « La domination masculine, explique Philippe Brenot, commence à partir du moment ou les hommes comprennent qu’ils y ont pour quelque chose dans l’engendrement. Quand les hommes se sont rendus compte du lien de paternité, ils ont instauré le mariage, et enfermé les femmes. » Des formes de féminisme apparaissent alors, ici et là, pour tenter de contrer cet ordre masculin, avec Aspasie de Milet, compagne de Périclès, ou Ovide, qui insistera, dans l’Art d’aimer, sur l’importance de la jouissance des femmes.
Mais c’est là le fond de l’histoire. La Sex Story de Philippe Brenot est avant tout ludique, grâce au trait totalement décomplexé de Laetitia Coryn. « Quand je parle de l’homosexualité à Babylone, explique Philippe Brenot, Laetitia dessine un homme se faisant sodomiser en public. Par écrit ça ne passerait pas, mais en dessin ça marche très bien ! »
Sex Story remet en question quelques idées reçues sur des périodes que l’on associe, à tort, à des parenthèses de liberté sexuelle : Babylone, la Rome Antique, le XVIIIe siècle « libertin », ou le Directoire et ses femmes portant des robes transparentes. En fait, soutient Philippe Brenot, « la liberté sexuelle a toujours été celle des hommes. Les festivités de l’Antiquité, les orgies par exemple, permettaient de résoudre les problèmes de fécondité. »
Philippe Brenot poursuit : «ces femmes libérées du Directoire, qui se promenaient seins nus, étaient des actrices, ou des prostituées ! De la même façon, on parle souvent du XVIIIe siècle libertin. Mais le libertinage ne concernait même pas 1 % de la population ! Le peuple était contraint par les familles, dans lesquelles régnait une grande promiscuité. Les femmes étaient violées en permanence. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, une femme sur six mourrait en couches. La religion interdisait toute méthode contraceptive, comme le coït interrompu. Pour une raison simple : la mortalité infantile était très importante. Et évidemment, le plaisir féminin ne devait même pas exister! »
La seule période trouvant grâce aux yeux de notre anthropologue est l’Egypte ancienne : «les femmes, en Egypte, étaient les égales des hommes. Les Egyptiens avaient même mis au point des méthodes contraceptives très avancées : ils avaient compris que certaines herbes étaient hormonalement contraceptives. Le premier stérilet a été inventé en Egypte. Or, la liberté des femmes passe par la contraception. »
Sex Story rappelle que toutes les sociétés ont codifié la sexualité, toujours au détriment des femmes : « longtemps, nous éclaire Philippe Brenot, l’adultère ne fut que féminin. Dans toutes les sociétés, le mariage permettait de transmettre des biens. Les femmes elles-mêmes constituaient des biens. Pour que la transmission s’effectue dans les meilleures conditions, il fallait éliminer ce qui était dangereux : la libre sexualité féminine. C’est pourquoi la femme célibataire a toujours été la bête noire des sociétés traditionnelles. Elle représente celle qui peut saboter une union existante. Les grands monothéismes vont instaurer le mariage solide, condamner la séparation, et énoncer des interdits sexuels. »
A la fin de Sex Story, les auteurs abordent la période actuelle et, entre autres, l’accès illimité au porno sur Internet. Et posent les questions qui nous préoccupent tous : le porno aura-t-il des conséquences à long terme sur notre sexualité ? « Bien sûr, tranche Philippe Brenot. On oublie trop souvent que la sexualité n’est pas “naturelle”. C’est un comportement acquis. Chez les animaux ça marche bien : ils apprennent en regardant les autres. Nous, humains, avons pour modèle principal le porno ! L’idée de performance est passée dans les mœurs : le bon amant doit pouvoir baiser pendant une heure, la femme doit avoir un orgasme lors de chaque rapport.» On en revient toujours à ce triste constat : nous manquons cruellement d’éducation à la sexualité.
L’avenir envisagé à la fin de la BD est assez proche du Meilleur de Mondes d’Huxley. Philippe Brenot imagine la jouissance sexuelle par le moyen de puces électroniques : « dans l’avenir, pour obtenir un orgasme, on se posera des électrodes dans le cerveau ! » Il envisage également une dépénalisation universelle de l’homosexualité. Laetitia Coryn l’illustre par les représentants de l’Iran et du Yémen célébrant l’événement en s’embrassant sur la bouche à l’ONU. Belle provocation !
Sex Story présente une somme d’infos impressionnante, à tel point qu’il faudra sans doute le relire plusieurs fois… Quelques petites erreurs entachent le livre, ici et là : les péripatéticiens étaient les élèves d’Aristote et non de Platon ; les tribus d’Israël étaient au nombre de douze, et pas de sept… Mais c’est sans doute le prix d’un projet aussi encyclopédique ! Le mémo à la fin est très utile, pour comprendre les notions fondamentales de la sexualité : l’orientation sexuelle, la perversion, la normalité…
Sex story : tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe…
Sex Story, Philippe Brenot et Laetitia Coryn, éd. Les Arènes, 208 p., 24,90 €.
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