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Instagram avance, Twitter recule, comment veux-tu que l’on s’enc…
L’ère numérique est une période complexe pour le X-business. Si la première décennie des années 2000 a vu s’effondrer la rentabilité de la production pornographique (un problème partagé par l’ensemble de l’industrie culturelle immatérielle : musique, cinéma, télévision…), la nouvelle hégémonie des réseaux sociaux comme principaux canaux de communication ne va pas sans poser d’autres problèmes spécifiques aux travailleurs du porno. Nous assistons ainsi à la valse hésitation des plateformes comme Instagram et Twitter vis-à-vis du contenu adulte, certes attractif mais peu rentable et terriblement segmentant auprès d’une audience souhaitée indivisible et universelle. Lorsque l’une s’ouvre aux revendications légitimes des performeurs, l’autre durcit sa politique quant au partage d’images explicites. Un pas en avant, trois pas en arrière…
Numériquement correct
Pour bien saisir les enjeux entourant la promotion du contenu X sur le web, un petit point de contexte s’impose. Le haut débit, le streaming et la multiplication des appareils connectés a permis, ces quinze dernières années, l’expansion tous azimuts des sites de cul sur Internet ; au point que leur accessibilité enfantine est en passe de devenir un véritable problème de société. D’abord complaisant à l’égard du X, le business du web a changé son fusil d’épaule à mesure que la part des internautes mineurs s’est accrue et que les législations du monde entier se sont durcies quant à la diffusion de contenus sensibles. En plateformes centrales, primordiales, de la navigation 2.0, distribuant un trafic toujours plus massif, agrégeant une audience toujours plus grande, et donc toujours plus jeune, les réseaux sociaux ont été naturellement chargés de définir les contours de cette nouvelle norme du numériquement correct. Aussi, pour ne pas se retrouver dans le collimateur des différentes autorités nationales et conserver leurs parts de marché auprès des 8 – 18 ans, ils ont alors mis en place toute une série des mesures visant à purger leurs pages de l’odieuse pornographie : indexation des adresses et profils équivoques, filtres parentaux, shadowbanning, blacklisting, voire censure pure et simple.
Contre toute attente, les premières victimes de cette chasse aux sorcières ne sont pas les plateformes de streaming porno, essentiellement pirates, qui continuent de pulluler sur la toile au détour de chaque requête douteuse sur les moteurs de recherche. Ce sont les performeurs. Dans un star-system fondé sur l’image, la communication permanente et les communautés de followers, les acteurs et actrices porno, comme n’importe quelles vedettes, sont désormais tributaires de leur activité sur ces fameux réseaux sociaux pour faire tourner leur business. Mais entre stigmatisation générale et condamnation a priori, leur légitimité à se promouvoir sur le Net n’a jamais été aussi contestée. Reste-t-il la moindre place pour leur art et leur personnalité sur ces plateformes ? Instagram et Twitter sont en pleine tergiversation à ce sujet.
Instagram, sur la voie de la rédemption ?
Récemment épinglé pour son traitement partial, voire carrément discriminatoire des profils d’actrices pornographiques, souvent supprimés sans motif apparent et sans autre forme de procès, la filiale de Facebook a récemment fait amende honorable. En effet, le 19 juin dernier, en présence du reporter Gustavo Turner, qui relate l’événement au site Xbiz, son équipe de modération rencontrait les membres de l’Adult Performers Actors Guild (APAG), syndicat américain du porno, pour préciser sa procédure de bannissement et convenir d’une meilleure entente entre l’application et les performeurs inscrits. Le premier enjeu était la transparence. Et de ce point de vue, on peut acter que les représentants d’Instagram se sont montrés plutôt loquaces pour des séides de Big Brother. Oui, Instagram emploie bel et bien un programme de deep-learning pour mesurer « la quantité de peau » (une formule caricaturale employée par les deux parties) montrée sur les photos pour procéder à la modération. Non, cette IA ne procède pas systématiquement à la suppression de l’image ou du compte incriminé, « mais parfois, ça arrive. » Une suppression « mécanique » peut être contestée, l’appel est alors soumis à un modérateur humain. Les tétons (féminins) ne sont pas tolérés ; enfin, sauf s’il s‘agit de ceux de Kim K. ou de Miley Cyrus, l’équipe d’Instagram n’ayant pas détaillé cette contradiction. Chaque signalement est traité de manière indépendante, les campagnes de signalement sont donc vaines.
À travers un discours bien entendu policé, le contingent d’Instagram s’est ensuite étendu sur les motifs et les motivations d’une telle modération : rester une plateforme familiale ouverte à toutes les sensibilités (et donc mécaniquement nivelé par les moins tolérantes), et lutter contre l’exploitation sexuelle (« sex trafficking »). C’est pourquoi la plateforme condamne toute forme de sollicitation sexuelle, arguant autant de la potentielle jeunesse de la personne sollicitée que de la probable malveillance du solliciteur. Ainsi, les performeurs X et à plus forte raison les travailleurs du sexe seraient pris entre deux feux, victimes malheureuses des possibilités de falsification qu’offre Internet. En revanche, la firme entend se montrer intraitable vis-à-vis des chantages aux signalements et autres extorsions d’argent contre ré-activation, passion de quelques érotomanes pornophobes particulièrement nuisibles.
Côté progrès, le groupe Facebook s’est finalement engagé à réévaluer l’ensemble des comptes listés par l’APAG comme injustement effacés. Il a par ailleurs mis en place un système de formulaire de réclamation simplifié pour chaque application, pour les cas de suppression injustifiée. Enfin, il s’est engagé, par l’intermédiaire de ses représentants, à entamer un dialogue plus étroit avec les institutions de la profession pornographique, de sorte à permettre aux performeurs de communiquer sur leurs réseaux de manière plus équitable. De là à changer Instagram en nouvel Eldorado porno, il ne faut quand même pas rêver, mais on peut déjà se réjouir de cette ouverture aux revendications de la profession X qu’on n’espérait plus, voire d’une future coopération éclairée entre le X-business et la Silicon Valley.
here are the links to get your @instagram accounts back- be sure to follow the instructions and add our info to the comments xo https://t.co/1MbqQDR2ET
— Alana Evans (@alanaevansxxx) June 21, 2019
Twitter et le Nouvel Ordre Moral
Historiquement libéral vis-à-vis de la chose pornographique, le piaf faisait encore, il y a peu, figure de dernier havre de sérénité pour les acteurs et les actrices porno, au sein de la galaxie des plateformes mainstream. Cette époque est révolue. Après quelques mois d’un shadowbanning pour le moins discret (c’est le but de la méthode, me direz-vous), la silenciation du porno prend une tournure beaucoup plus directe et explicite à travers les nouveaux Terms of Service (ToS, les conditions d’utilisation) de l’application. Editées en mars dernier dans une certaine indifférence, ces règles de bonne conduite ont finalement été déterrées début juillet par quelques professionnels du divertissement adulte s’alarmant de voir leur travail assimilé sans détour aux contenus violents et haineux.
Jusqu’alors, les images pornographiques étaient bien entendu classées comme sensibles. Aussi, leur diffusion était prohibée dans les photos de profil, les bannières et les captations live. Du reste, elles se voyaient généralement recouvertes d’un disclaimer dans le fil d’actualité de tout utilisateur n’ayant pas préalablement affirmé sa volonté de les voir apparaître. La nouvelle politique, si elle ne fait montre que de changements subtils, établi un parallèle aussi inquiétant que rétrograde. En abolissant la distinction entre la pornographie et les autres contenus problématiques, elle ne se conforme pas seulement aux nouveaux besoins de vigilance et de protection vis-à-vis des mineurs, elle signe en fait un retour à l’ordre moral, dans lequel le sexe n’est pas seulement sujet sensible, mature, mais l’un des artifices du Malin, au même titre que la haine et la violence.
Ainsi, dans la section « Politique en matière de médias sensibles » des nouvelles conditions d’utilisation de Twitter, on apprend qu’en plus de l’interstitiel de censure déjà évoqué, « il existe aussi certains types de médias sensibles complètement interdits, car ils sont susceptibles de normaliser la violence et d’être à l’origine d’une souffrance pour ceux qui les voient. » La pornographie fait évidemment partie des potentiels concernés, comme on peut le constater sous le paragraphe à propos de « la violence explicite » et juste avant celui sur « les comportements sexuels violents », un nouvel ajout au catalogue. Le concept de comportements sexuels violents , à savoir « tout média qui décrit des violences associées à des actes sexuels, qu’elles soient réelles ou simulées » relève d’ailleurs des grands classiques de l’argumentaire anti-porno. Car pourquoi s’attarder la violence sexuelle en particulier quand ses différents aspects sont déjà couverts par les prérogatives concernant la violence explicite, si ce n’est pour porter l’estocade à la pornographie hardcore, pourtant légale et consensuelle ? Comme si ça ne suffisait pas, le sperme fait quant à lui son entrée au panthéon des fluides corporelles apparemment violents, au côté du sang et des matières fécales. On croit rêver…
Est-ce pour autant la fin du porno sur Twitter ? Pas vraiment. En dehors du très désagréable ghosting que subit la profession, la mise à sac n’a pas encore eu lieu. Simplement, le Grand Moineau met en garde tous les pornographes : leur présence ne relève que de sa gracieuse tolérance, et il a dorénavant toutes les justifications pour foutre les débauchés dehors à la moindre occasion.
Soit, le porno est le fléau de l’enfance. Soit, il est grand temps de faire du web un espace sûr et sain pour nos progénitures. Tant qu’on y est, admettons aussi que le Nouvel Ordre Moral des réseaux sociaux fera magiquement disparaître les torrents d’injures déversées, les prises à parti, les harcèlements, les discours de haine, les pensées radicales et les images insoutenables, pour faire de ces plateformes d’authentiques paradis virtuels. Mais quelle sera la place du porno dans ce futur idyllique ?
L’enjeux de la visibilité des acteurs et actrices porno n’est pas simplement de permettre aux pornstars de vendre leurs charmes Instagram aux pontes du textile « made in China » ou aux barons du cosmétique cancérigène comme n’importe quel influenceur. Il s’agit d’offrir aux travailleurs du X des canaux de communication fiables et ouverts pour promouvoir leurs productions, certes, mais aussi pour partager leurs conditions de vie, de travail, leurs coups de gueules et leurs coups de cœur. Il s’agit, à plus forte raison de reconnaître un secteur médiatique, culturel, voire artistique, de pouvoir débattre publiquement de ses tendances, de ses influences, de son rapport à la société. Faire taire les performeurs pornographiques, c’est jeter l’obscurantisme sur un business qui se meurt déjà de l’indifférence institutionnelle ; c’est jeter ces protagonistes dans les bras des plateformes qui n’ont de « porno-friendly » que l’apparence, telles que Mindgeek et consorts, dont on connaît déjà le goût pour le secret et le silence.
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