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Toutes bi or not toutes bi ?
Grâce aux stars comme Pink, Lady Gaga, Emma de Caunes, ou encore Kristen Stewart, qui revendiquent publiquement leur attirance pour les femmes, la parole et les mœurs se libèrent. Évolution des mentalités ou effet de mode, les femmes hésitent de moins en moins à vivre leur bisexualité. Pourquoi cette sexualité semble-t-elle mieux assumée par les femmes que par les hommes ? Est-ce un effet de mode, ou une tendance « naturelle » chez les femmes ?
La bisexualité, une menace pour les hommes… mais pas pour les femmes.
Catherine Deschamps, socio-anthropologue (qui a collaboré à l’ouvrage Bisexualité, le dernier tabou) affirme que « la bisexualité féminine serait socialement mieux acceptée aujourd’hui que la bisexualité masculine. D’abord, parce que les femmes revendiquent plus volontiers leur bisexualité que les hommes, davantage portés à la clandestinité. »
Ce que confirme Valérie Baud, porte-parole de l’association Bi’cause : « historiquement, les relations entre femmes n’étaient pas considérées comme des relations sexuelles. J’ai recueilli des témoignages de femmes hétéros, en couple avec un homme, qui avouent avoir envie d’une relation avec une femme. Sur le coup, le compagnon trouve ça génial, très excitant. Tant que ça reste purement sexuel, ça alimente un fantasme. Pour les hommes, c’est encore différent. C’est la virilité qui est mise en cause. »
Pourquoi la bisexualité est-elle beaucoup plus redoutée par les hommes que par les femmes ? Parce que, tout simplement, il est plus difficile d’être un homme ! Le petit garçon met un certain temps à se détacher de sa mère, et ce n’est qu’à partir de ce moment-là qu’il pourra désirer une autre femme. L’homme mène un combat contre cette union primaire, qui, même si elle est dépassée, reste au cœur de l’identité masculine. Le danger se trouve dans un désir de régression vers l’état originel. Pour les femmes, l’homosexualité que constitue la relation mère-fille lors des premiers mois n’est pas forcément une menace. Ce lien augmente plutôt, chez la fille, le sentiment d’identité. Quand la symbiose primaire fait défaut, il arrive souvent que la fille se consacre plus tard à la recherche d’une « bonne mère » dans des relations homosexuelles. Mais en général, cette identification primaire à la mère donne à la féminité des bases solides. Ainsi, les femmes en analyse prennent moins au sérieux les relations homosexuelles que les hommes. Elles sont le plus souvent, pour elles, sans conséquences. La bisexualité masculine, à l’inverse, est une menace dirigée contre le sentiment d’identité de genre. Disons simplement que le sentiment que l’on a d’être un homme est moins solidement ancré que ne l’est, chez les femmes, le sentiment de la féminité. Le sentiment d’appartenance au sexe masculin recouvre une union primitive avec la mère. La bisexualité est donc bien une menace. L’homme est à la fois attiré et terrifié par la perspective d’une nouvelle fusion avec la mère.
Qui sont les bisexuelles ?
Les bisexuelles, dans leur grande majorité, se cachent. Selon Catherine Deschamps, « la plupart de ceux qui ont une pratique bisexuelle se disent homos ou hétéros. D’abord parce que ces catégories sont socialement mieux acceptées, et aussi car leur attirance envers les hommes et envers les femmes ne s’exprime pas dans les mêmes proportions. »
Karine, mariée et mère de deux enfants, a vécu sa première expérience sexuelle avec une femme à 43 ans. « J’avais expérimenté des baisers et des caresses avec d’autres filles quand j’étais étudiante, mais ça n’avait jamais été très loin. Après, j’ai vécu une vie de femme mariée standard, avant de divorcer. Jusqu’à ce que je rencontre Stéphanie et que nous couchions ensemble, ma bisexualité est restée en stand-by. Peut-être que l’orientation sexuelle n’est qu’une question de rencontre !” »
La bisexualité demeure parfois un fantasme. Une bisexuelle peut vivre sa vie d’hétéro tout en gardant au fond d’elle-même une attirance pour le même sexe, qui restera latente et se révélera un jour (ou pas). Nombreuses sont les femmes qui se sentent bisexuelles tout en ayant des relations exclusivement hétéros ou homos. Autrement dit, on peut être bi dans l’âme sans forcément vivre sa bisexualité. Le sexologue et psychanalyste Claude Esturgie souligne que « notre éducation ne nous permet pas toujours d’exprimer nos préférences sexuelles. Pour certains, la bisexualité peut être une phase transitoire entre une hétérosexualité insatisfaisante et une homosexualité qu’ils ne sont pas encore prêts à admettre. Pour d’autres, elle est un mode de vie qui correspond à une réelle inclination envers les deux sexes. »
Marie, 42 ans, kinésithérapeute, est une « vraie » bisexuelle, capable de s’investir avec un homme ou une femme, indifféremment : « J’ai longtemps cru que j’allais devenir une vraie lesbienne. Ce n’est pas que les garçons ne m’attiraient pas, mais je trouvais qu’ils ne savaient pas y faire avec les femmes. Je me dis qu’aujourd’hui, à mon âge, j’aurais aimé autant d’hommes que de femmes. Une passion avec un homme, suivie d’une aventure avec une femme, puis l’inverse… Cela vient certainement de mon éducation. Rien n’était tabou à la maison, quand j’étais ado. On parlait librement de sexualité. Cela m’a permis d’assumer mes envies. »
Et il est également important de souligner que rien, dans la sexualité d’un individu, n’est jamais définitif. Ainsi, une hétérosexuelle qui découvre l’amour avec une femme à 40 ans peut être considérée comme bisexuelle, puisque son vécu est à la fois hétérosexuel et homosexuel. Mais elle pourra très bien estimer qu’elle a totalement « viré de bord » et se sentir exclusivement lesbienne. Elle peut aussi refuser de se poser la question de savoir quelle est son identité sexuelle. Selon le psychiatre Jean-Roger Dintrans, « la bisexualité est souvent vécue chez les femmes sur le mode du jeu. Il s’agit d’une bisexualité qui n’est pas engageante, au sens où il n’y a pas d’investissement affectif. » Une fille peut donc aimer en embrasser une autre, ou coucher avec elle, sans pour autant être bisexuelle. Autrement dit, on peut assumer ses désirs pour l’un et l’autre sexe, sans remettre en question son orientation sexuelle fondamentale. Solène, 37 ans, aime les hommes et les femmes, mais par-dessus tout adore le sexe, et l’assume : « faire l’amour avec un homme ou avec une femme, sourit-elle, ce n’est pas du tout la même chose. Avec une femme, l’échange permet une fusion car nous savons comment nous fonctionnons. Quand je fais l’amour avec un homme, je cherche la différence, ce qui m’échappe. C’est pour cela que j’aime autant sucer une queue. J’éprouve du désir pour le même et pour le différent. Pourquoi choisir ? »
C’est pour cela sans doute, que dans la dernière Enquête sur la sexualité en France , réalisée par Michel Bozon et Nathalie Bajos, seules 0,8 % des femmes se revendiquent bisexuelles. Pour les hommes, ce pourcentage monte à 1,1%. Mais entre les envies, les expériences réelles ou fantasmées, ce que l’on assume ou pas, comment rendre compte en un chiffre de la complexité de nos sexualités ?
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